Jeunes coureurs : les dernières recommandations

Que la question soit celle des futurs records ou tout simplement de la bonne santé de la prochaine génération de sportifs, il est important de prendre soin de nos jeunes coureurs. Garçons comme filles.
Pourtant, la quasi-exclusivité des connaissances disponibles est obtenue chez des adultes. Comment s’adapter à la spécificité de ces jeunes ?

Les gendarmes et les voleurs de temps Ambazac 2011

Le running est populaire dans le monde entier et notamment auprès des jeunes.

D’ailleurs, les taux de participation chez les pré-adolescents (<12 ans) et adolescents (<18 ans) peuvent atteindre 40% dans certaines régions du monde.

Aux États-Unis par exemple, c’est la deuxième activité la plus courante chez les filles (35%) et les garçons (34%) de 12-15 ans.

 

 

Cependant, avec l’augmentation de la participation des jeunes, on observe aussi une augmentation des blessures liées à la course à pied. Celle-ci était de l’ordre de 34% entre 1994 et 2007 avec les 12-14 ans étant les plus touchés (46 pour 100 000 habitants des États-Unis). Heureusement, la plupart des blessures sont mineures, impliquant des entorses et des foulures ; les blessures plus graves (comme les fractures de stress) sont beaucoup moins fréquentes.

 

Dans ce contexte, certaines organisations de médecine sportive se sont concentrées sur les directives de sécurité pour les jeunes. Cependant, aucune recommandation spécifique n’a encore été publiée.

Face à un tel manque, un groupe de 22 experts (Allemagne, Brésil, États-Unis, Italie) s’est donc réuni et était composé de : médecins du sport et autres praticiens (infirmières, assistants médicaux, physiothérapeutes, entraîneurs sportifs), professionnels de la performance (entraîneurs et soigneurs), chercheurs et responsables/administrateurs cliniques ou institutionnels – tous étant parties prenantes dans la course à pied chez les jeunes.

Leur objectif ultime étant de réduire le risque de blessures/maladies chez les jeunes coureurs, ils ont décidé d’orienter leur analyse sur 3 domaines clés précisant à chaque fois leur point de vue consensuel et son importance.

 

 

  • Les facteurs de risque et de prévention des blessures

Le jeune coureur est vulnérable pendant les périodes de croissance, et plus particulièrement pendant celles de croissance rapide. Ceci car les os s’allongent alors plus rapidement que les muscles-tendons, ce qui a pour effet de générer une faiblesse osseuse temporaire et donc d’exposer le jeune à un risque de blessure musculo-squelettique (apophyses, os, muscles, tendons).

 

Deux facteurs de risque sont ainsi déterminants pendant ces phases :

– le pic de la vitesse de croissance

– la vitesse de minéralisation des os

Le premier (~12 ans chez les filles et ~14 ans pour les garçons) se produisant avant le second, en général.

 

Sur cette base, le groupe d’experts a réalisé un focus sur les paramètres de taille, poids, force et alignement (facteurs intrinsèques de risque), ainsi que l’entraînement et la chaussure de course (facteurs extrinsèques de risque) comme causes potentielles de blessure. Voici leur bilan.

 

Les facteurs intrinsèques

Sujet Point de vue Importance
Toutes les blessures
Genre Les filles courent un risque plus élevé que les garçons de se blesser (cause encore indéfinie par les études), et mettent plus de temps à récupérer. A
Antécédent Les précédentes blessures augmentent le risque de futures blessures au niveau du membre inférieur chez les adolescents. A
Taille et Poids

Il n’est pas prouvé que la taille ou le poids soient des facteurs de risque chez les adolescents coureurs de fond.

L’effet du changement de taille et de poids sur les blessures n’est pas encore connu.

B
Indice de Masse Corporelle

Un IMC bas semble un facteur de risque de fracture de fatigue chez les adolescentes.

Un IMC plus élevé pourrait être un facteur de syndrome de stress tibial chez les adolescents de cross-country.

On ne connaît pas l’impact de la variation de l’IMC sur les blessures chez les pré-adolescents.

B
Âge À ce jour, il n’y a pas de données cohérentes sur l’âge comme facteur de risque de blessure. B
Alignement et Force Quelques études confirment qu’un angle de quadriceps >20 degrés*, une faiblesse musculaire (abducteurs de hanche, extenseurs et fléchisseurs du genou) et l’inégalité de longueur des jambes (garçons >1,5 cm) sont des facteurs de risque. B
Alignement et Force Des programmes contenant des exercices à haute intensité, de pliométrie et d’équilibre pourraient contribuer à réduire le risque de blessure chez les jeunes coureurs. C
Santé osseuse
Fracture de stress Des preuves limitées confirment que l’aménorrhée (absence de règles), un IMC <19, la pratique antérieure de la gymnastique ou de la danse, sont des facteurs de fracture de fatigue chez les adolescentes. B
Densité minérale osseuse (DMO) Chez les adolescentes, des preuves limitées confirment qu’un dysfonctionnement menstruel, un faible IMC et une participation prolongée à la course d’endurance sont des facteurs de faible DMO. B
Densité minérale osseuse (DMO) Chez les adolescents garçons, les facteurs de risque d’une faible DMO sont : un faible IMC, des antécédents de stress osseux, une faible consommation de produits laitiers, une course de plus de 50 Km par semaine et la conviction que le fait d’être plus mince permet de courir plus vite. B
Perturbations menstruelles L’aménorrhée et les dysfonctionnements menstruels sont des facteurs de risque de stress osseux et de faible DMO chez les adolescentes. B

* Angle Q : angle formé par les lignes quadriceps-rotule et rotule-tibia

 

 

Les facteurs extrinsèques

Sujet Point de vue Importance
Entraînement Quelques preuves confirment qu’une faible fréquence de pas <166 ppm est un facteur de risque de blessure au tibia. B
Entraînement Un entraînement <8 semaines durant l’été est un facteur de risque de blessure pendant la saison. B
Entraînement Quelques données suggèrent que la course en côte (>33% du volume total), ainsi que le manque d’alternance entre sorties courtes-longues durant l’été (<25%), sont des facteurs de risque de blessure pendant la saison chez les adolescents, en particulier chez les filles. B
Entraînement Peu d’éléments confirment que l’intensité de l’entraînement est un facteur de risque de blessure. B
Entraînement Les quelques données disponibles ne soutiennent pas l’idée que le type de surface au sol puisse être un facteur de risque de blessure pendant la saison chez les coureurs de cross-country. B
Matériel et type de foulée Il n’existe pas de données concernant l’impact des chaussures des jeunes coureurs sur le risque de blessure. C
Matériel et type de foulée Aucune donnée ne permet actuellement d’évaluer si la mécanique de foulée, ou des interventions visant à la modifier, modifient le risque de blessure chez les jeunes. Ce type d’études est attendu. C

 

 

  • Les facteurs qui peuvent impacter la santé à long terme

Il existe toute une série d’autres facteurs susceptibles d’avoir un impact sur la santé du jeune coureur à long terme, notamment relatifs à ces questions :

– la course à pied chez les jeunes contribue-t-elle négativement ou non à la santé cardiaque à long terme ?

– existe-t-il des outils pour identifier les athlètes à risque de blessure ?

– existe-t-il des recommandations nutritionnelles spécifiques au jeune coureur ?

 

La section suivante fournit des perspectives en ce sens. À noter que celles-ci ont été obtenues par consensus des experts en raison d’un manque d’études disponibles.

Sujet Point de vue Importance
Cardiaque Les jeunes coureurs peuvent avoir des adaptations cardiaques similaires à celles observées chez les adultes ; peu de données sont disponibles sur les implications de santé à long terme. B
Cardiaque Les taux de mort subite sont rares chez les adolescents qui courent. B
Suivi Des évaluations initiales devraient être réalisées pour identifier les antécédents du coureur, même si l’efficacité de ce diagnostic et sa pertinence dans la durée restent insuffisantes. C
Suivi

Détecter de faibles réserves d’énergie est déterminant chez les jeunes. Exemple : une faible réserve d’énergie et un dysfonctionnement menstruel peuvent contribuer à une altération de la minéralité osseuse et donc au risque de blessure.

Certains outils tels que le RED-S CAT sont recommandés pour identifier les facteurs de risque.

C
Nutrition Les seuils spécifiques d’un apport énergétique adéquat sont inconnus pour cette population, des études sont nécessaires pour déterminer les exigences en matière de besoins énergétiques chez les jeunes coureurs. (Quelques recommandations sont néanmoins fournies dans le prochain tableau) C
Nutrition Le bon respect des apports recommandés en micronutriments, notamment calcium et vitamine D, associé à un apport énergétique adéquate, peut réduire le risque de fractures de fatigue. C

 

 

Les recommandations énergétiques pour le jeune coureur

Sujet Général

Jeune fille

56 Kg

22,5% masse grasse

600 Kcal/j dépensées

Jeune garçon

61 Kg

14,2% masse grasse

750 Kcal/j dépensées

Au quotidien
Énergie 45Kcal / Kg de masse grasse ~2550Kcal ~3090Kcal
Glucides 6 à 10g / Kg de poids de corps 336-560g 366-610g
Sources Fruits, féculents, pain complet, pâtes, riz brun, flocons d’avoine, haricots, légumineuses
Protéines 1,2 à 2,0g /Kg de poids de corps 67-112g 73-122g
Sources Poulet, thon, bœuf maigre, œuf, lait, yaourt
Lipides 1,0 à 2,0g /Kg de poids de corps 56-112g 61-122g
Sources Noix, graines, beurres de noix et graines (exemple : amande, tournesol, arachide, noix de cajou), sauce à base d’huile, olives, avocat
Après l’entraînement
Glucides 1,0 à 2,0g /Kg de poids de corps 56-67g 61-73g
Protéines 0,3g /Kg entre 0-2h après la séance 17g 18g
Exemples

#1 Smoothie :

2 petites bananes (46g glu., 2g prot.)

1/3 de tasse de yaourt grec (3g glu., 8g prot.),

1 tasse de lait de soja à la vanille (1g glu., 7g prot.)

Totaux : 60g glucides, 17g protéines

 

#2 Flocons d’avoine et raisins secs

Une tasse de flocons d’avoine (32g glu., 6g prot.)

Deux c. à soupe de raisins secs (16g glu., 0g prot.)

1 tasse de lait (17g glu., 11g prot.

Totaux : 65g glucides, 17g protéines

#1 Sandwich bagels :

Bagel de blé entier (51g glu, 11g prot.) 40g. de dinde (1g glu., 7g prot.)

Petite pomme (21g glu., 0g prot.)

Totaux : 73g glucides, 18g protéines

 

#2 : Wrap de haricots noirs

Tortilla de graines entières (32g gu., 7g prot.)

¾ tasse de haricots noirs (30g glu., 11g prot.)

Totaux : 62g glucides, 18, protéines

 

 

  • L’adéquation entre la course à pied et les jeunes

Cette section évalue les raisons pour lesquelles les jeunes devraient participer à des événements sportifs, ainsi que les éléments en faveur d’une participation sécure.

Sujet Point de vue Importance
Spécialisation Il existe peu de preuves soutenant l’idée que la spécialisation sportive soit un facteur de risque de sur-usure des membres inférieurs chez les adolescents de cross-country et de course de fond sur piste. B
Spécialisation Aucun élément ne permet de définir un âge approprié pour commencer la spécialisation ou n’indique que la spécialisation améliore les performances athlétiques. Des études sont attendues pour évaluer les effets de ce comportement. B
Jeux libre Le jeu libre en dehors de la course à pied devrait être encouragé pour la bonne croissance et le développement global des jeunes coureurs. C
Distance appropriée à l’âge Les jeunes préparés physiquement et mentalement par un programme supervisé sont aptes à participer à des épreuves de longue distance ; ils encourent malgré tout un risque léger de se blesser en courant. C
Distance appropriée à l’âge Il n’existe pas d’études aiguillant les jeunes sur des distances spécifiques ou des recommandations d’entraînement visant à prévenir les blessures ou orienter une croissance/développement normal. C

 

Pour établir ces différents points de vue, le groupe d’experts s’est appuyé sur les données scientifiques disponibles.

 

Au-delà des consensus établis, les experts ont aussi souhaité élaborer d’autres recommandations basées sur leurs propres expériences.

  • Les jeunes coureurs devraient être soumis à un diagnostic d’antécédents de blessures, de faible IMC, d’une faible disponibilité en énergie (chronique et/ou pré-séance), d’un dysfonctionnement menstruel (jeunes filles), de problèmes biomécaniques et d’erreurs d’entraînement (ex : dans l’enchaînement de séances).
  • Les jeunes coureurs devraient aussi participer à des activités impliquant des impacts au sol forts et multidirectionnels, avec un focus porté sur le contrôle de la région lombo-pelvienne et des membres inférieurs (au moins jusqu’à la puberté) afin de promouvoir la santé des os.
  • L’aptitude à la course à pied, en particulier pour la longue distance, doit être déterminée par l’âge biologique (croissance et développement) plutôt que par l’âge chronologique.
  • Les jeunes coureurs devraient prévoir au moins 1 jour de repos par semaine, 1 à 2 semaines tous les 3 mois, et limiter leur engagement à moins de 9 mois par an.
  • Pour réduire le risque de surmenage chez les jeunes, la spécialisation dans un seul sport devrait être évitée jusqu’à ce que les garçons et les filles passent la puberté.
  • Les préadolescents et adolescents motivés devraient être autorisés à participer à des courses longues s’ils suivent un programme d’entraînement supervisé, s’ils ont une croissance normale (taille et poids) et s’ils restent en bonne santé grâce à un apport nutritionnel adéquate.
  • Les facteurs de risque qui doivent nécessiter une évaluation médicale plus approfondie sont :
    • Un IMC ≤17.5 OU un poids inférieur à 85 % de la normale pour l’âge.
    • Une densité minérale osseuse ≤ -1.0 (Z-score).
    • Des troubles alimentaires et complications connexes (exemple : arythmie, insuffisance rénale).
    • Une fracture de fatigue à haut risque (exemple : col du fémur, tibia, naviculaire) OU deux fractures de fatigue.
    • Les jeunes filles sans premières règles à l’âge de 16 ans OU avec <6 cycles menstruels sur les 12 derniers mois.

 

L’ensemble de ces éléments représente donc une précieuse aide pour orienter l’entraînement et le monitoring des jeunes coureurs.

Forts de ce consensus, les auteurs admettent malgré tout que celui-ci « reflète l’état actuel des connaissances et nécessitera des mises à jour périodiques et (…), par conséquent, les décisions individuelles de gestion devraient être basées sur un jugement clinique validé par des preuves ».

 

Source : Krabak et al. BJSM, Oct. 2020

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