UTMB, Diagonale des Fous, Grand Raid des Pyrénées : avez-vous vraiment le niveau?

Attention à ne pas brûler les étapes

L’ultra-trail, avec des courses comme la Diagonale des Fous, l’UTMB ou encore le Grand Raid des Pyrénées, n’en finit plus de faire rêver des traileurs de tout niveau. Un engouement qui incite parfois certains à brûler les étapes. Au risque de banaliser cet effort qui mérite pourtant d'être vraiment préparé. Interview d’Eric Lacroix, entraîneur expérimenté.

Lepape-info : Combien d’années minimum d’expérience en course à pied recommanderiez-vous à un coureur avant qu’il se lance dans un ultra-trail  du type UTMB, Grand Raid des Pyrénées (GRP), ou Diagonale des Fous

Eric Lacroix : Courir une course comme l’UTMB ou le Grand Raid n’est pas anodin, et il ne faut surtout pas banaliser cet effort. Je me souviens qu’il y a quelques années, quelqu’un était venu me voir huit mois avant le Grand Raid de La Réunion, en chaussures de tennis basiques, en me demandant de l’entraîner pour le Grand Raid. Bien sûr, on peut toujours découvrir de nouveaux talents… Mais au vu de ses premiers entraînements en montagne, cette personne a très vite capitulé. Elle ne se rendait sans doute pas compte de l’effort à fournir.
Courir et marcher durant plus de 30 heures, dans la montagne, sans dormir, avec des crampes et un mal de ventre similaire à la « gastro », c’est aussi ça, un ultra trail de montagne !

On est à l’époque des jeux électroniques et de la télé-réalité, mais en tant qu’entraîneur, je ne cesse de le redire :l’ultra trail, ce n’est pas du virtuel! La souffrance et la douleur sont des éléments omniprésents pendant l’épreuve. Beaucoup de coureurs parlent sans cesse de la notion de plaisir. Mais ce plaisir, on ne le trouve bien souvent que dans la préparation ou dans l’accomplissement final.
Pour revenir à la question, je dirais donc que la réussite passe obligatoirement par la patience, l’expérience, et donc une préparation optimale. Je pense qu’il faudrait attendre une, voire deux années pour bien assimiler le travail du long sur l’organisme.
Les changements physiologiques du corps ne sont pas mathématiques et prennent du temps.

L’ultra trail, ce n’est pas du virtuel

Quelques infos sur les processus d’inscriptions

UTMB : pour l’édition 2014, il faut avoir acquis 7 points entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013, en 3 courses maximum. La liste des courses qualificatives est sur le site de l’épreuve.

Grand Raid de La Réunion : l’organisation a changé son processus d’inscription pour cette édition 2013. Le règlement précise que « chaque traileur s’inscrivant à la Diagonale des fous (Résidents à la Réunion et non résidents) devra justifier d’avoir couru et terminé au moins un trail ou un ultra trail de 85 points au minimum. Cette course devra avoir été réalisée entre le 1/1/2011 et le 31/7/2013 ». Pour le calcul des points : 1 km de distance = 1 point. 100 m de dénivelé positif = 1 point. Exemple : Le 68 km des Gendarmes et Voleurs de Temps (2131 m de D+) a offert 68 +21 = 89 points.(*)

Grand Raid des Pyrénées : aucune condition préalable de qualification.

Lepape-info : Selon vous, quelle distance minimale faudrait-il avoir courue avant de se lancer sur de telles distances ?

E. L. : Commencer par une épreuve de 40 à 60km la première année puis faire une épreuve au-dessus de 100 km la deuxième année, me semble être un bon compromis. L’objectif sera alors de réussir l’exploit de terminer des épreuves aussi dures que l’UTMB, le GRP ou le GRR durant la troisième année.
Malheureusement, dans notre société consumériste, nous n’avons plus trop en tête ces éléments invisibles mais essentiels de l’entraînement que sont la patience ou le repos. 

Lepape-info : Combien de courses faudrait-il avoir réalisée avant ?

E. L. : Attention à ne pas confondre charge d’entraînement et volume d’entraînement. Une bonne charge d’entraînement doit être composée d’un certain volume, mais aussi d’une certaine intensité (lacylindrée), d’une fréquence régulière, et doit être objectivée en terme spécifique.

Ce qui veut dire que pour progresser, il ne faut pas uniquement tenir compte des compétitions à venir. Il faut aussi prendre en compte les périodes d’entraînement où l’on va habituer progressivement le corps à la fatigue du trail, puis de l’ultra trail.
Pour découvrir cet effort, une compétition de 50 km à 70 km peut très bien suffire la première année. On peut aussi programmer d’autres compétitions plus courtes dans l’année. Mais il faut planifier sa saison dès le mois de janvier pour ne pas surcharger le planning, au risque de tomber dans le surentraînement, et dans le pire des cas se blesser.
Pour moi, la première année doit permettre une évolution progressive. Je conseillerais par exemple de :

  • Réaliser un cycle d’entraînement de développement des qualités nécessaires (huit à douze semaines d’entraînement spécifique) avant la première compétition. Le reste étant une base de condition physique et de maintien des qualités de coureurs.
  • Programmer des cycles de 3 semaines de travail avec 1 semaine de récupération durant cette période spécifique.
  • Effectuer une alternance de jours faciles et plus difficiles dans l’entraînement de la semaine, et ne jamais enchaîner deux jours difficiles.
  • Privilégier les sorties longues ou en montagne le week-end si la semaine est chargée d’un point de vue socio-professionnel.
  • Alterner les efforts avec des sports portés (vélo, natation, ski alpin, ski de fond)
  • Récupérer autant de jours que de kilomètres effectués en compétitions (mais continuer à s’entraîner).

Lepape-info : Etre « simplement » finisher d’un trail qualificatif (type 68 km des Gendarmes et Voleurs de Temps*), est-il suffisant pour s’aligner sur ces courses ? Ou faut-il selon vous avoir une certaine référence chronométrique ?

Eric Lacroix Marathon Mont Blanc 2013
Eric Lacroix

E. L. : Le problème, c’est que le mot trail, en anglais, veut dire « sentier ». On peut donc faire du trail un peu partout, même dans des régions peu vallonnées. Mais d’un point de vue de l’effort,  à distances équivalentes, entre un ultra trail dans les Alpes et un ultra trail dans la Beauce, les différences sont énormes ! La montagne est un milieu hostile : le froid, l’altitude, la diversité des climats demandent des efforts particuliers, notamment en descente où les contractions excentriques sont traumatisantes. Et banaliser cette pratique est dangereux.
Courir aux Gendarmes et Voleurs de Temps ne prévaut donc pas de la réussite à l’UTMB, tant les différences entre ces deux courses sont flagrantes. Il suffit de comparer les moyennes kilométriques horaires ! (voir tableau ci-dessous)
Il est donc important de pouvoir justifier d’une certaine expérience de la pratique pour effectuer un UTMB ou un Grand Raid, en cumulant des points comme c’est le cas actuellement. Mais je ne suis pas pour une sélection par le chrono, qui se base uniquement sur le résultat. Je crois davantage à une prise de conscience individuelle et collective pour informer, accompagner et convaincre les coureurs des effets négatifs d’une pratique de l’ultra trail mal conduite.
Beaucoup d’entraîneurs prônent d’ailleurs une pratique raisonnable et raisonnée en responsabilisant le coureur de trail, souvent gourmand et avide de nouveaux défis. Il faut plutôt s’orienter vers une logique de performance personnelle, réfléchie, en axant sur le plaisir de l’effort préparé et pensé en amont. Statistiques ultra trail

Lepape-info : Combien de séances d’entraînement par semaine recommandez-vous pour préparer un ultra-trail ?

E. L. : C’est une question délicate. Tout dépend du niveau de pratique, du temps disponible et des contraintes socioprofessionnelles. Les coureurs d’ultra trail ont bien souvent une vision stakhanoviste de l’entraînement : ils se disent que la compétition est longue et qu’il faut donc faire beaucoup de kilomètres. Beaucoup croient en une relation étroite entre le volume d’entraînement et le niveau de performance. Mais de nombreux travaux l’ont remise en questions. La qualité est aussi un gage de réussite dans la performance finale. Que les débutants se rassurent, les méthodes actuelles prônent des charges de travail moins conséquentes, notamment en ce qui concerne la quantité (kilomètres/dénivelé).
On peut donc très bien réussir à terminer un ultra-trail en ne s’entraînant que trois à quatre fois par semaine. En dessous (deux séances), cela me paraît un peu juste pour habituer et adapter l’organisme à l’effort très long.
L’idéal est de jongler entre un travail de qualité, à effectuer plutôt dans la semaine car il prend moins de temps, et les sorties longues plutôt placées le week-end (pas de problèmes pour courir la nuit, possibilité de sieste, etc…).

Lepape-info : Des week-ends de reconnaissance sont-ils impératifs dans la préparation de ces épreuves ?

E. L. : Comme je le disais, un ultra trail en montagne est très différent d’un autre milieu. Il est donc à mon avis indispensable de se tester dans ce milieu. D’abord pour savoir comment son propre corps réagit. Et ensuite pour pouvoir reconnaître, si possible, tout ou une partie du parcours.
Les reconnaissances (en week-end ou en week-ends chocs) permettent de conjuguer des sorties spécifiques et de visualiser les efforts qu’il faudra fournir pour espérer terminer l’épreuve. Au-delà du plaisir touristique, cela peut permettre de mettre toutes les chances de son côté. Mieux vaut savoir où l’on met les pieds si l’on veut se préparer et surtout ne pas rester dans le virtuel. Car on a beau régler tous les problèmes physiques, l’esprit lui, contrairement aux pieds, avance sans laisser de traces…

(*) Pour 2014, les Gendarmes et Voleurs de Temps ne seront plus qualificatifs pour l’UTMB. Le parcours le plus long sera réduit à 58 km.

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