Mondial de 24 heures à Albi : un record du monde et un record de France

Depuis le championnat de France 2018 à Albi, nous avons suivi la préparation d’Erik Clavery pour le mondial de 24 heures qui s’est déroulé ce week-end du 26-27 octobre 2019 à Albi. Malgré des conditions parfois difficiles (fort vent et chaleur pendant l’après-midi, et 376 concurrents sur une unique boucle de 1491m), les records sont tombés.

Erik Clavery et la nouvelle marque pour le record de France : 272.217 km ! Photo : Céline Clavery

La palme revient à l’américaine Camille Herron qui explose son propre record du monde en portant la marque à 269.974 km. A mi-course, elle s’est même retrouvée à 2 doigts de mener l’épreuve avant de connaître quelques désagréments. Et chez les hommes, c’est le Lituanien Sorokin qui s’est montré le plus fort en couvrant 278.920 km en une rotation terrestre. Mis à part un changement de chaussures, l’athlète de l’Est ne s’est jamais arrêté ne semblant ressentir ni la fatigue ni la fraîcheur de la nuit Albigeoise : hallucinant !

Quant à Erik Clavery, ultra traileur au palmarès conséquent (champion du monde en 2011, 2 fois 4ème au grand raid de la Réunion, 6ème et 8ème de l’UTMB), et qui s’est essayé avec succès aux 24h en 2018 en remportant les championnats de France avec 254 km, il a appliqué sa stratégie méticuleusement tout en s’adaptant aux conditions du jour. Au final, il fait tomber un vieux record de France (1999) et porte la marque à 272.217 km, en améliorant de 18 km sa première tentative.

 

C’est avec beaucoup d’envie, de fraîcheur, et au terme d’une belle préparation qu’Erik s’est présenté au départ de ce championnat du monde de 24 heures à Albi. Rappelons le concept : couvrir la plus grande distance possible sur une boucle de longueur variable (1491m ce week-end) en 24 heures. Pour un ultra traileur, la plus grande difficulté est la monotonie de ce type d’épreuve. Une même boucle anodine sur route et piste ne présentant aucun dénivelé, ce qui impose une même foulée en continu, et l’apparition progressive d’une fatigue périphérique mais aussi centrale. A cela il faut se préparer dans son corps et dans sa tête, mais rappelons encore une fois que la préparation physique et mentale doit se faire en fonction des caractéristiques de l’épreuve bien entendu, mais aussi en fonction des capacités physiques et des habiletés mentales de l’individu. Ne vouloir faire que du spécifique est à mon sens (et au sens de nos recherches actuelles) une erreur. Le principe d’individualisation est crucial dans l’approche de la performance de l’athlète, et cela quelle que soit la discipline. 

Dans les premières heures de course, le circadien doit évoluer avec une grande aisance. Photo Céline Clavery
Dans les premières heures de course, le circadien doit évoluer avec une grande aisance. Photo Céline Clavery

 

Six marathons et un 20 km en 24 heures !

Cela étant rappelé, nous avions évoqué dans notre précédent article la manière de détecter la vitesse/intensité de course à laquelle l’athlète est le plus économe. Pour Erik, 13.5 km/h est une allure à laquelle l’épargne des hydrates de carbone est majorée. C’est donc à cette allure qu’il a réalisé ses séances spécifiques, et notamment une séance de 5 heures dans le cadre du stage de l’équipe de France 1 mois avant l’échéance. Il a appliqué cette stratégie à Albi sur les 4 premières heures de course. Puis, compte tenu des conditions atmosphériques, fort vent et relative chaleur, Erik a décidé de diminuer en intensité pour se préserver. Il va accomplir son premier marathon en 3h06, à la vitesse moyenne de 13.5 km/h, réglé comme une horloge. Le deuxième marathon sera réalisé en 3h22, avec une vitesse moyenne de 13 km/h depuis le départ. Le passage aux 100 km sera réalisé en 7h51, contre 8h06 en 2018. En tête quelques heures (de 1h30 à 7 heures de course environ), Erik cèdera sa place de leader au Lituanien Sorokin qui ne va plus la quitter, même si les écarts ne seront jamais très grands parmi les premiers. Le 3ème marathon d’Erik est accompli en 3h45 , le 4ème en 3h49, le 5ème en 3h50 avec un passage aux 200 km en 16h49 (contre 17h53 en 2018), et le 6ème en 4h12. En 2018, les 5ème et 6ème marathons avaient été réalisés en 4h35 et 4h51, soit 1h24 de gagnées sur 84 km ! Ce sont bien entendu la préparation spécifique, l’expérience mais aussi et surtout la fraîcheur qui ont permis ce gain de performance. Malgré cette belle régularité, la vitesse moyenne d’Erik décroît régulièrement et il a fallu qu’il se batte jusqu’au bout pour la maintenir au-dessus des 11.2 km/h du record de France.

 

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Sur le graphique ci-dessus, on peut visualiser l’évolution de la vitesse moyenne d’Erik Clavery au fil des tours (un peu plus de 183), et la comparer à la vitesse moyenne des records de France et du monde. Bien entendu, ces 2 records ne se sont pas courus à vitesse régulière, notamment pour le grec Yannis Kouros qui partait à 14-14.5 km/h sur les premières heures. 

Au bout de 94 tours, soit 140 km, Erik va passer sous les 12.07 km/h du record du monde, et il terminera finalement à la vitesse moyenne de 11.34 km/h, dépassant la marque des 11.2 km/h du record en place.

Sur le plan alimentaire, Erik a parfaitement respecté sa stratégie et il s’est contraint régulièrement à marcher sur 20-30 secondes à chaque prise de solide et même de liquide. Cela lui a permis d’éviter pour la première fois les troubles gastriques et les vomissements. La question est maintenant la suivante : Erik est-il en mesure de battre un jour le record du monde de 290 km, ce qui lui imposerait de gagner à nouveau 18 km sur sa précédente marque ? Pour cet athlète qui ne se fixe pas de limites, la réponse est oui. Pour l’entraîneur et chercheur que je suis, la réponse est également positive, mais ce sera au prix d’un approfondissement de nos connaissances et de la préparation inhérente à ce type d’épreuve qui à mon avis, ne peut se courir raisonnablement qu’une fois par an. En attendant, l’heure est au repos et à la satisfaction de l’accomplissement de soi. Un record de France est un aboutissement pour chaque athlète, même si chaque record est fait pour être battu.

 

Erik a dû s’arracher sur les 3 dernières heures pour aller chercher ce record-objectif
Erik a dû s’arracher sur les 3 dernières heures pour aller chercher ce record-objectif

 

Hommes : 1) Sorokin (Lituanie) 278.920 km 2) Bodis (Hongrie) 276.722 km 3) Leblond (USA) 275.485 km 4) Clavery (France) 272.217 km

Femmes : Herron (USA) 269.974 km 2) Alder-Baerens (Allemagne) 254.288 km 3) Bereznowska (Pologne) 247.724 km

Retrouvez tous les résultats sur le site de la FFA.

A signaler la médaille de bronze des français par équipes et la superbe performance de Stéphanie Gicquel qui améliore sa première marque de 25 km (240 vs 215).

 

7 réactions à cet article

  1. très intéressant l’évolution de la vitesse moyenne … est-il inéluctable d’être en positive split sur ce genre d’épreuve ? selon ce que vous écrivez, kourous partait même encore plus vite.

    a partir de quelle durée de course est-ce le negative split (ou egal split) est-il moins efficace ?
    il me semble que les records en marathon se courent encore en negative split.

    merci d’avance pour les infos

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  2. Vos remarques sont très intéressantes. Oui Kouros partait à 14.5 pour une moyenne finale de 12.2 sur la route. Physiologiquement, on peut estimer que le negative split peut fonctionner jusqu’à ~100km pour les élites, donc 6-7h d’effort. Mais il existe bien entendu des variations inter individuelles, et certains arrivent à maintenir une régularité extraordinaire sur 24h. feraient-ils mieux en partant un peu plus vite ? C’est également une question de profil psychologique, d’expérience et de préparation spécifique. On devient ce que l’on travaille. Concernant Erik Clavery, notre stratégie est basée sur ses qualités physiques et mentales. De plus, quand il s’est intéressé à cette discipline il y a plus d’un an, c’était dans la perspective de battre le record du monde un jour, il ne s’en cache pas. Dans cette perspective, il va poursuivre sur cette lancée en mettant tout en oeuvre pour améliorer son indice d’endurance. Je vous propose de retrouver tout un dossier dans le prochain VO2 Run. Toutefois, dans ce domaine, il faut se garder de penser détenir la vérité, il faut par contre rechercher la sienne. merci à vous

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  3. merci beaucoup pour ces infos et aussi en général pour le partage de vos recherches.

    même à mon modeste niveau, la gestion de course est un aspect très important car il me permet non seulement d’avoir plus de plaisir, mais en même temps de mieux « performer » en évitant des départs trop rapides.

    sur courses plates et pas trop longues, on peut gérer tout cela à la vitesse moyenne. sur trail, cela n’est pas du tout possible. Ne reste que le cardio. quelle serait la « bonne » stratégie sur des courses courtes ( 10h) ?

    pour ma part, j’essaie toujours de faire évoluer la tendance FC linéairement vers le haut, quasiment indépendamment de la longueur de l’épreuve. Cela évite de se brûler au départ, mais en termes de performance est-ce la meilleure stratégie ?

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  4. apparemment il y a un bug sur le site avec le signe « plus petit que » !!!! … donc je voulais dire : des courses courtes jusqu’à 3 heures, des courses moyennes entre 4 et 10, des courses longues plus de 10h …

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  5. Pour le trail, je vous renvoie à cette recherche sur le pacing , en espérant que vous maîtrisez l’anglais. https://www.researchgate.net/publication/327966082_Monitoring_heart_rates_to_evaluate_pacing_on_a_75-km_MUM
    Cordialement

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