Pierre Le Corre : « Je suis toujours en questionnement »

Obligé d'écourter sa fin de saison pour subir une opération de la mâchoire, le triathlète Pierre Le Corre reste néanmoins très satisfait de son année 2018, avec en point d'orgue, un titre de champion d'Europe décroché à Glasgow cet été. De quoi repartir du bon pied vers 2019 où il jouera sa qualification pour ses deuxièmes Jeux olympiques. L'occasion de discuter entrainement avec un athlète qui s'entraine lui-même et qui a déjà toute sa stratégie en tête pour performer lors des deux prochaines saisons. Interview.

Pierre Le Corre lors des France de cross 2018 (crédit photo Romain Donneux).
Pierre Le Corre lors des France de cross 2018 (crédit photo Romain Donneux).

– Comment allez-vous et comment s’est passé votre coupure ?

« Je devais me faire opérer de la mâchoire. C’était une grosse opération prévue depuis longtemps. J’ai dû couper six semaines complètement. Je reprends petit à petit. C’est une coupure un peu bizarre pour moi. J’avais des problèmes d’occlusion dentaire qui engendraient des problèmes physiques. On te casse la mâchoire, on l’agrandit. C’est un truc assez lourd. Ca demande de ne pas faire de sport pendant un certain moment. Là six, sept semaines de coupure, ça fait long. J’ai dû dormir assis pendant deux semaines, manger liquide ou mou pendant quatre semaines. Mais j’étais motivé car je savais qu’il fallait que je le fasse.

 

« Beaucoup de petits progrès »

 

– Quel bilan faites-vous de votre saison 2018 ?

C’est une belle saison avec le titre de champion d’Europe et une place de huitième mondial en manquant certaines courses. Je suis assez satisfait. Même si mon objectif initial était le top 5 mondial. Mais je n’en aurais pas été loin si j’avais pu courir toutes les courses que je souhaitais. Une saison, il faut être en forme tout le long. C’est le jeu. Cette année je n’ai pas pu jouer le classement mondial.

 

– Lors d’une interview, vous disiez « progresser chaque saison ». Est-ce que ç’a encore été le cas cette année ?

Chaque année je progresse. Même si depuis 2015, j’avais toujours fait un podium sur le WTS et ça n’a pas été le cas cette année. Mais par contre, je me suis rapproché avec des courses un peu plus dense, notamment sur la grande finale. Donc pour moi c’est un progrès en ajoutant le titre européen et le relais mixte. J’ai été beaucoup plus régulier notamment en natation où je sors devant maintenant. C’est beaucoup de petits progrès qui ne se voient pas trop mais pour moi c’était dans mon objectif de travail. Je suis très content.

 

« Je vais me concentrer essentiellement sur la course à pied »

 

– Quels sont donc vos prochains objectifs de travail en vue des JO de Tokyo ?

Après les JO de Rio (25e), je me suis fixé un objectif en trois temps. Je voulais me donner deux ans pour progresser en natation et en vélo car ces disciplines m’ont fait défaut à Rio. Prendre de la densité dans ces épreuves là et pouvoir sortir aux avant-postes. J’ai travaillé ces deux disciplines depuis deux ans et j’ai donc mis un peu de côté la course à pied. C’a bien marché. Et cette saison (2019), je vais me concentrer essentiellement sur la course à pied pour que je puisse élever mon niveau et qu’en 2020, je puisse additionner les trois forces.

 

– Comment on axe son travail sur une discipline plutôt qu’une autre quand on doit être performant en triathlon ?

On s’entraine énormément (environ 30h par semaine) même si j’aimerais faire plus mais je ne peux pas. Là, par exemple, cette année, mes séances en course à pied seront prioritaires. Si je suis fatigué je ne ferai pas sauté la séance de course contrairement aux autres. Je vais m’investir un peu moins en natation et vélo et faire par exemple plus de kilométrage en course à pied. C’est un équilibre à trouver.

 

« Il faut savoir s’écouter »

 

– Vous dites « additionner les forces », est-ce aussi limpide que cela pour progresser ?

Je suis mon propre entraineur depuis les JO en 2016, je fais mes propres planifications et j’ai établi cette stratégie. Dans l’entrainement, il ne faut pas chercher midi à 14h. Il faut aller dans la simplicité. Cette stratégie n’est pas très compliquée à mettre en place. C’est juste se concentrer d’avantage sur un sport plutôt que les autres. Il faut toujours s’adapter. C’est l’intention qui doit être importante plutôt que l’action. Si j’ai l’intention de progresser à pied, si c’est mon axe de travail, le résultat sera là. Et l’intention sera sur la course à pied cette année.

 

– Vous êtes donc votre propre entraineur ?

Je commence à me connaître. j’ai un gros passé de sportif. J’arrive à ne pas faire n’importe quoi. Je m’entraine parfois avec des gens mais je fais mes propres séances. Ce qui est difficile c’est qu’il y a des jours où on n’est pas bien. Il faut savoir s’écouter. Ton corps te dit toujours quelles sont tes capacités. Après j’ai des séances clés (1 ou 2 par mois). Où, quoi qu’il arrive, je me donne à fond et il faut que je termine à quatre pattes. Psychologiquement je m’y prépare, je sais que cette séance je vais la faire à fond. Mais par contre, en amont, je vais me préparer quelques jours avant pour ne pas arriver cramé sur la séance. C’est juste une préparation différente. C’est différent que d’être dans un groupe avec un entraineur mais ça me convient.

 

« Je fais une veille concurrentielle sur l’entrainement »

 

– Comment procédez-vous concrètement ?

Je note mes entrainements, j’ai mes statistiques, mes dossiers d’entrainement. Mais en fait, je cérébralise tout. Dans ma tête, je vais arriver à anticiper plusieurs semaines en avance, j’ai une vision à court et long terme. Aujourd’hui, je sais plus ou moins ce que je vais faire cette saison, ce que je vais faire dans les prochains mois et la semaine prochaine. Après je le peaufine jour après jour. Mais tous les jours je réadapte. C’est mon avantage d’être mon propre entraineur. Je n’ai pas besoin d’avoir un dialogue et de remettre en question mon entrainement avec quelqu’un. Si je me sens bien et que j’ai déjà fait trois blocks de course à pied dans une séance, je peux m’en rajouter un.

 

– Ca parait compliqué d’être son propre entraineur, surtout dans trois sports différents.

C’est un emploi à plein temps. J’y pense tout le temps. Il faut justement réussir à se détacher de ça. C’est une gymnastique intellectuelle qui est assez difficile. J’ai une grosse expérience. Je me suis entrainé avec les Espagnoles, les Australiens, les Néo-zélandais. Je fais une veille concurrentielle comme en marketing. Je regarde énormément ce que font les autres mais je vais l’adapter à moi et à mes besoins. J’ai mon plan de bataille, je reste fidèle ma stratégie mais je reste à l’écoute des évolutions du tri. Je regarde, j’écoute et j’alimente mon entrainement avec ça.

 

« En 2018 j’ai gardé mon cap »

 

– Justement, la réussite de Vincent Luis avec son choix de rejoindre un groupe d’entrainement très relevé (voir article) peut-il vous donner des idées ?

Ce que fait Vincent, ça marche bien. Mais aujourd’hui, je ne me sens pas prêt à intégrer un groupe avec une telle densité. Mais j’y pense. Cette année j’ai une stratégie collective pour aller m’entrainer par séquence avec un groupe. Ce n’est pas encore fixé. Je reste assez souple sur ça. C’est de l’adaptation.

 

– Votre situation doit vous amener à vous poser beaucoup de questions, celles de l’athlète mais celles aussi du coach.

Je suis toujours en questionnement, en doute, notamment quand je ne perfe pas. Je remets en doute ce que j’ai fait. Cette année par exemple, ma stratégie était d’être en forme à partir de l’étape de Leeds. Toutes les courses avant, je savais que je ne serais pas prêt. Mais je finissais loin, j’étais frustré alors que j’avais anticipé le fait de ne pas être tout de suite bon. Ca c’a été difficile ! Mais des gens autour de moi m’ont incité à continuer. J’ai gardé mon cap et ça s’est mis en place.

 

« La priorité reste la qualification olympique »

 

– En vous écoutant, on vous imagine très bien en tant qu’entraineur plus tard.

J’adorerais entrainer. Mais il faudrait que j’ai le temps et que je passe des diplômes. Mais j’adore aussi tout ce qui est commerce et management donc j’aimerais avant faire ma carrière là-dedans. Mais dans le futur, quand j’aurai 60 ans, j’aimerais entrainer et le faire bénévolement pour aider des jeunes.

 

– A quoi va rassembler votre reprise et votre début d’année 2019 ?

L’objectif sera d’être performant aux courses où la Fédération nous demandera de l’être. Notamment, être performant à Hambourg pour le relais. Mais la première étape c’est de reprendre l’entrainement, sans douleur à la mâchoire et de pouvoir mettre ça derrière moi. Une fois que j’aurai repris, je vais devoir mettre plus de temps pour revenir pour éviter les blessures. Et après ça on verra si je débute la saison à Abu Dhabi (1ère étape du WTS). Mais la priorité sera la qualification olympique et pas du tout le classement mondial. »

 

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