Ultra trail : To sleep or not to sleep ?

La question est récurrente en ultra trail : Peut-on, doit-on dormir sur un ultra trail ? Existe-t-il une stratégie applicable par tous ou la réponse est-elle individuelle ?
Une récente étude (1) vient de se pencher sur la question et nous allons voir que les réponses sont multiples.

La problématique du sommeil sur les efforts de très longue durée ne sont pas réservés à l’ultra-trail.

La question est étudiée depuis longtemps par les navigateurs en solitaire* qui ont mis en place leurs propres stratégies. Il faut dire que leurs efforts dépassent très souvent la semaine et que le sommeil est une donnée essentielle qu’on ne peut éluder.

En ultra trail, c’est différent puisque les durées d’effort sont moindres. Sur un format 100 miles (~160 km), les concurrents en moins de 40 h dorment rarement. Au-delà c’est plus compliqué, et nous allons y revenir.


Sommeil polyphasique

Prenons tout d’abord un cas concret. Dans la préparation du Tor des Géants, en 2013 mais surtout en 2015, année de sa victoire, Patrick Bohard avait spécialement étudié la question et établi une stratégie. Premièrement, il avait privilégié le sommeil en plaine, et jamais en altitude.

Deuxièmement, il avait anticipé sur les lieux précis où il aurait à dormir, tout en se laissant une marge de manœuvre.

Troisièmement, il avait élaboré une routine pour optimiser la période de repos. En arrivant à une base de vie, il commençait par se changer et se restaurer, avant de s’allonger sur les lits de camp de l’organisation, au chaud dans son duvet, muni d’un loup pour faire l’obscurité et d’un casque de chantier pour s’isoler du bruit. Et bien entendu, il faut se faire réveiller au bout d’un temps déterminé et anticipé.

Signalons tout de même qu’en arrivant fréquemment en tête sur les bases de vie, cela rendait les manœuvres plus faciles. Car au-delà du sommeil à proprement parler, il faut compter dans le temps d’arrêt le temps d’endormissement et le temps de réveil. Pour certains coureurs, cela complique fortement la chose et allonge considérablement le temps de pause.

C’est pour cette raison qu’il est essentiel d’anticiper mentalement chaque phase de repos et de sommeil. Toutefois, signalons que sur les 80 heures de course (le Tor 2015 fut compliqué au niveau de la météo puisque la course fut arrêtée de manière anticipée et que seuls 6 coureurs franchirent la ligne d’arrivée), Patrick dormit à peine plus de 2 h (sommeil brut). Toutefois sa victoire s’est construite entre autres sur sa stratégie.


Pour sa part, Christophe Le Saux, 3ème en 2015, avait fait un autre « choix », aller le plus loin possible sans dormir ! Il a tenu comme cela jusqu’à Gressoney au km 200 ; mais au bord de l’épuisement il fut contraint au repos pendant environ 2 heures, ce qui permit à Patrick de prendre définitivement le large.

Voici le détail des pauses de Patrick Bohard sur le Tor 2015, 7 pauses, dans l’ordre

LieuDistance réalisée en kmTemps de sommeil en min
Cogne10220
Sassa16115
Gressoney20020
Valtournanche23615
Oyace27120
Ollomont28312
St Remy des bosses30320

Total : 2h02 de pause

Voyons maintenant les conclusions de l’étude parue dans European Journal of Investigation in Health Psychology and Education. Le but était d’étudier les stratégies de sommeil et d’éveil avant, pendant et après des ultra trails de plus de 160 kms.

L’étude s’est faite au moyen de questionnaires sur 119 athlètes, et les données ont été classées par catégories de distance : 160-240 km ; 241-320 km ; et > 320 km (200 miles).

74% des athlètes disent ne pas dormir en course. Toutefois, sur la dernière catégorie (> 320 km), les coureurs dorment plus souvent et plus longtemps. Cela pourrait signifier que sur les ultras plus « courts », le bénéfice de courir en continu pourrait contrebalancer le désavantage de la privation de sommeil.

Par contre, sur les formats plus longs donc, la question du sommeil est stratégique. Dormir pour mieux repartir, ou ne pas dormir pour accumuler les kilomètres ?

Côté chiffres, dans la première catégorie (160-240 km), le temps moyen de sommeil est de 12 min, donc autant dire que les coureurs questionnés ne dorment quasiment pas, pour un temps de course moyen de 31 heures.

Dans la deuxième catégorie (240-320 km), le temps moyen de course est de 41 heures, les athlètes dorment 2,5 fois (c’est toujours une moyenne) pour environ 15 minutes de sommeil par pause, soit 45 min de sommeil au total. Bien entendu, d’un individu à l’autre, les écarts sont importants.

Enfin dans la troisième catégorie (> 320 km), le temps moyen de course est de 92 heures, le nombre de pauses est de 4,1 pour un temps moyen de 59 min, soit un peu plus de 4 heures de sommeil. On se retrouve ici dans le cas du Tor des Géants (course de 330 km et 24000 m d+ dans la vallée d’Aoste).

Individualisation

Vous l’avez compris, il s’agit encore une fois d’une affaire individuelle, même s’il faut anticiper au maximum et adopter une stratégie. Tout d’abord, il faut emmagasiner le sommeil la semaine précédant l’épreuve, en procédant notamment à des siestes, ce qui constitue une entrée dans le sommeil polyphasique (sommeil biphasique).

Ensuite, à l’instar de Patrick Bohard, il faut se préparer mentalement, et donc sur le papier, à s’arrêter et à se mettre dans les meilleures dispositions pour dormir (être changé, restauré, au chaud, et isolé du bruit et de la lumière).

Sinon, en raison de l’excitation de la course ou au contraire d’une sur-fatigue, vous risquez soit de ne pas parvenir à dormir, soit au contraire de ne plus réussir à vous réveiller et repartir. A méditer et à vous d’établir votre stratégie d’éveil-sommeil.

Généralement, on considère que jusqu’à 30 heures de course, si l’athlète arrive suffisamment reposé au départ de l’épreuve, il est préférable de ne pas dormir. Au-delà, il faut évaluer les bénéfices/risques.

1 Running on Empty: Self-Reported Sleep/Wake Behaviour during Ultra-Marathon Events Exceeding 100 Miles, July 2022

European Journal of Investigation in Health Psychology and Education 

Dean J. Miller et al.,

* Wayne Rhodes, PhD, CPE; Valérie Gil, PhD Fatigue Management Guide for Canadian Marine Pilots – A Trainer’s Handbook Transport Canada, Transportation Development Centre

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