Lorsque l’on commence la course à pied le néo coureur se pose souvent la question de la respiration.
Faut-il respirer profondément ou non ? Expirer plusieurs fois avant d’inspirer ? Caler sa respiration sur son cycle de foulée ?
Certain(e)s ont trouvé leur réponse, d’autres la cherchent encore, accompagné parfois d’un point de côté ou spasme de la musculature respiratoire.

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Abigail Stickford et ses collègues de l’Appalachian State University en Caroline du Nord se sont penchés sur la question dans des travaux que l’on retrouve dans la revue scientifique de référence l’European Journal of Applied Physiology.

La question centrale de leurs travaux vise à mieux appréhender la possible synchronisation entre la respiration et le rythme de la foulée.

 

 

On spécule sur ce lien depuis plus d’un siècle. En effet, un article de 1912 a montré que les poissons « respirent » en synchronisation avec le mouvement de leurs nageoires pectorales et Roger Bannister lui-même a publié un article sur la physiologie de la respiration pendant l’exercice en 1954, quelques mois après son premier mile de quatre minutes où il notait en aparté que tous les sujets de l’étude avaient inconsciemment synchronisé leur respiration à un sous-multiple de leur rythme de foulée.

 

Une méthode ?

Plus récemment, des résultats d’études ont suggéré que les coureurs expérimentés sont plus susceptibles d’automatiser un schéma synchronisé – ce que les scientifiques appellent le couplage locomoteur-respiratoire.

Le pattern de respiration évoluerait en fonction de la vitesse à laquelle vous allez et donc du rythme de foulée.

À un rythme confortable, par exemple, de nombreux coureurs s’installent dans un cycle complet d’inspiration-expiration tous les quatre pas. Or, il semblerait qu’une majorité du règne animal adopte ce rythme, ce qui tendrait à se dire qu’une vérité se trouve dans ce constat. Il faudrait donc peut-être comme de nombreux manuels d’entraînement le suggèrent caler consciemment notre respiration à un multiple particulier de la vitesse de notre foulée.

Pourtant, comme pour la mécanique de course et les blessures, si l’on commence à apporter des modifications conscientes à des fonctions automatisées comme ici la respiration, les choses risquent de se compliquer avec donc de potentiels « points » de côté, un apport en oxygène moins efficace et sans doute même une moindre efficacité dans la course.

On aime souvent dans la science expérimenter sur les animaux. Et il existe donc de nombreux exemples chez ces derniers. Par exemple, les oiseaux respirent au rythme du battement de leurs ailes. Mais c’est en partie parce qu’ils n’ont pas de diaphragme pour contrôler leur respiration de manière indépendante, ils utilisent donc leurs muscles pectoraux et abdominaux pour respirer et battre des ailes en même temps.

De même, les quadrupèdes (chevaux, chiens, chats, etc.) respirent de manière synchronisée car les positions du corps et les forces d’impact de leur schéma de course rendent plus difficile physiquement la respiration désynchronisée, en particulier à des vitesses rapides.

 

Et si c’était automatique ?

Une possibilité est que l’habitude ne soit qu’un reste évolutif. Il existe des recherches assez intéressantes sur les « générateurs de schémas centraux », qui sont des réseaux de neurones dans le cerveau et la moelle épinière qui automatisent les mouvements rythmiques comme la marche et la respiration en dehors du contrôle conscient.

Grâce à ces générateurs de modèles, des chats dont on a retiré les parties clés du cerveau peuvent toujours être stimulés électriquement pour marcher sur un tapis roulant, et leur respiration se verrouille toujours avec le rythme de leur foulée.

Même si nous ne sommes plus des quadrupèdes, nos générateurs de modèles peuvent toujours coordonner par défaut les rythmes de respiration et de course.

Mais il peut aussi y avoir une raison plus pratique à la synchronisation, si elle rend la course plus efficace ou facile. De nombreuses études ont en effet mis en évidence que courir à un rythme donné demande moins d’énergie lorsque la respiration est synchronisée. Malheureusement, de nombreuses autres études ont trouvé le contraire, il est donc difficile de tirer des conclusions définitives. Et même si cela s’avère vrai, on ne sait pas comment ni pourquoi le rythme de respiration devrait économiser de l’énergie.

 

Pratiquer

Cette nouvelle étude explore donc si le rythme respiration/foulée est lié à ce qui se passe dans notre esprit. Par rapport aux novices, les coureurs expérimentés ont donc des schémas plus prononcés , ils sont également plus susceptibles d’avoir une orientation associative, ce qui signifie qu’ils accordent plus d’attention aux signaux internes tels que le mouvement de leur corps et la façon dont ils se sentent.

Ces deux phénomènes sont peut-être liés : avec la pratique, nous apprenons à capter les signaux les plus subtils de notre corps qui nous indiquent quand nous courons plus efficacement, par exemple en synchronisant la respiration avec la cadence de foulée.

 

Pour le savoir, Stickford et ses collègues ont collecté des données auprès de 25 coureurs masculins d’un très bon niveau (VO2max proche de 70 ml/kg/min). Ils ont mesuré la vitesse de leurs foulées, leur fréquence respiratoire et leur économie de course (la quantité d’énergie qu’ils utilisent pour maintenir un rythme donné) à des vitesses sous-maximales. Immédiatement après, les coureurs testés ont répondu à un questionnaire conçu pour évaluer leur concentration relative aux pensées internes (associatives) et externes (dissociatives) pendant la course. Le schéma respiration/foulée a été quantifié en calculant le pourcentage de respirations commençant au même point du cycle de foulée pendant une période de 30 secondes.

 

Où placer ses pensées ?

Il y a de bonnes raisons de supposer que la façon dont vous concentrez vos pensées pourrait influencer vos habitudes respiratoires.

En 2018, une recherche de Linda Schücker de l’Université de Münster demandait à des volontaires de réfléchir à leur schéma de course, leur respiration ou le paysage qui les entourait pendant que leur économie de course était mesurée.

Penser à leur technique les a rendus en moyenne 2,6 % moins efficaces ; 4,2% moins efficaces lorsque c’était leur respiration, probablement parce qu’ils ont ralenti de leur fréquence respiratoire (34,0 respirations par minute à 28,7). La forme de course et la respiration sont importantes, mais essayer consciemment de les améliorer a visiblement échoué.

En revanche, dans la lignée des recherches sur le contrôle moteur, une focalisation externe de l’attention (ici le paysage) était positive sur la consommation énergétique donc potentiellement sur la performance.

 

Revenons à l’étude de Stickford. Il convient tout d’abord de souligner qu’il n’y avait pas de modèle unique qui prédominait. Ce rapport était plutôt élevé et surtout reproductible dans le temps ce qui semble logique pour des coureurs expérimentés.

Dans une publication antérieure basée sur les mêmes données d’étude, les chercheurs ont rapporté que le rapport le plus couramment observé était de deux cycles de foulée complets (c’est-à-dire quatre pas) pour chaque cycle respiratoire complet (inspiration/expiration), soit un rapport de 2:1.

Mais, cela n’a été observé que 29% du temps, cependant. Les ratios suivants étaient 5:3 et 5:2, chacun observé 19% du temps. Essayez d’imaginer que vous planifiez délibérément de faire cinq pas toutes les trois ou deux respirations.

Clairement, la synchronisation n’est pas quelque chose que les coureurs experts choisissent consciemment de faire. Cela est autoprogrammé par leur propre expérience.

 

Cela peut sembler une conclusion quelque peu insatisfaisante. On ne sait toujours pas pourquoi les coureurs synchronisent leur respiration et on ne sait toujours pas si c’est utile. Et nous sommes coincés avec des études observationnelles comme celle-ci, au lieu d’études interventionnelles où, par exemple, nous modifierions la concentration attentionnelle de chaque coureur pour voir ce qui change. C’est donc un problème difficile à résoudre.

Qu’il s’agisse de schémas respiratoires, de cadence de course ou du contenu de vos pensées, les caractéristiques des bons coureurs semblent toutes contenir un élément d’action sans effort superflu. Cela ne signifie pas que vous ne pouvez pas vous améliorer ou que nous n’avons rien à apprendre en imitant de grands coureurs.

Mais cela suggère que, plutôt que d’essayer d’imiter le modèle du champion, nous ferions mieux d’imiter ce qu’ils ont fait au quotidien tout de long des années pour devenir de grands athlètes, se lever tôt chaque matin avec l’objectif d’être meilleur chaque jour en s’entraînant beaucoup.

 

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@AUBRYANAEL
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Anaël Aubry
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Anaël Aubry Sport Scientist

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 réaction à cet article

  1. Un excellent rappel sur l’importance d’apprendre à respirer en courant. Trouver sa musique interne en synchronisant sa respiration avec la cadence de foulée est un réflexe terriblement efficace pour de meilleures sensations à l’entraînement.

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