L’endurance chez les jeunes enfants

Par jeunes enfants, nous entendons parler des 6-12 ans filles et garçons, avant l’apparition de la puberté et le passage à l’adolescence.
Peut-on parler d’entraînement ? doit-on limiter les distances de course ? quelles sont les limites et contraintes physiologiques à ne pas franchir ? … autant de questions auxquelles il faut pouvoir répondre en toute objectivité, à la lumière des recherches scientifiques et des expériences de terrain sur la planète entière.

Né pour courir*

Commençons par quelques remarques essentielles.

►L’être humain, et donc l’enfant, est né pour courir

►Pour cela, il possède de nombreuses adaptations (squelette articulé, système musculaire, capacité de refroidissement de l’organisme…)

► L’être humain (préhistorique) s’est développé grâce à ces adaptations (chasse à l’épuisement d’animaux plus rapides mais moins endurants) et à la coopération

 

► L’être humain a passé 99% de son histoire pieds nus

► L’être humain est passé du « courir par obligation » au « courir par choix et par plaisir »

► Le plaisir doit rester central chez l’adulte, davantage encore chez l’enfant !

 

*Né pour courir (Born to run) est le titre du best-seller de Christopher Mc Dougall

 

Poursuivons par un constat que nous avons maintes fois présenté. Les enfants ont perdu en 40 ans 25% de leurs capacités cardiovasculaires (résultat d’une méta-analyse sur 25 millions d’enfants de pays industrialisés entre 1964 et 2010). Ils courent donc moins vite et moins longtemps.

Depuis les années 1970, tous les dix ans, les enfants ont perdu en moyenne 5% de leurs capacités cardio-vasculaires. Des résultats valables pour les filles comme pour les garçons, quel que soit l’âge et quel que soit le pays. Dans chaque pays, la perte d’endurance est proportionnelle à l’augmentation du poids et à la réduction des activités physiques.

Parallèlement, entre 1975 et 2016, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, les cas d’obésité chez l’enfant et l’adolescent ont été multipliés par onze. De 11 millions d’enfants obèses en 1975, nous sommes passés à 124 millions en 2016, ainsi que 213 millions d’enfants en surpoids.

Le constat est donc alarmant et peu de mesures sont prises pour inverser la tendance. La règle des 30min d’activité physique journalière est peu respectée par manque de moyens et de compétences.

 

Revenons à la problématique initiale et au développement de l’endurance et répondons à notre première question. Avec les jeunes prépubères, évitons de parler d’entraînement mais plutôt de développement des habiletés motrices (coordination, agilité, adresse, souplesse, force, endurance…).

Oui on peut parler de développement de la force chez les jeunes prépubères, via des exercices adaptés, car le système hormonal étant au ralenti avant l’adolescence, il n’y a pas de risque d’hypertrophie. L’amélioration de la force va se faire par une meilleure synchronisation, c’est-à-dire un meilleur recrutement spatio-temporel des fibres musculaires.

Les recherches montrent que l’enfant qui a développé très tôt les habiletés motrices et les qualités neuromusculaires, sera plus performant à l’adolescence et à l’âge adulte. Le travail de la force permet également d’augmenter la densité osseuse et la sensibilité à l’insuline (rôle prépondérant dans la combustion des graisses).

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Le jeune prépubère apparemment défavorisé

Quant à l’endurance, le premier constat est défavorable aux plus jeunes pour diverses raisons :

► l’enfant a des segments plus courts

► Il est moins bien coordonné

► Il restitue moins bien l’énergie élastique

► Il évacue moins bien la chaleur

► Son économie de course est moins bonne

 

Pour autant, le jeune enfant (fille comme garçon) possède de nombreux avantages comparativement à l’adulte, souvent méconnus, et qui lui confèrent une supériorité métabolique. En voici la liste :

 

La capacité oxydative. Celle du muscle de l’enfant est très élevée, supérieure significativement à celle des adultes. Ainsi, l’enfant (6-12 ans) reforme rapidement de l’énergie à partir de son métabolisme aérobie. Cette capacité chute fortement après la puberté, puis décroît régulièrement. Sur le plan de l’anaérobie lactique, on n’observe pas de différence entre enfants et adultes.

De plus, le potentiel oxydatif conditionne la récupération après les efforts intensifs, et retarde l’apparition de la fatigue. Pour un enfant prépubère, la répétition d’efforts intenses est facile. Elle devient plus dure ensuite.

 

Fréquence cardiaque : Les enfants ont une récupération plus rapide de la FC en post-exercice, via une réactivation rapide de la branche parasympathique du Système Nerveux Autonome.

 

Fibres lentes : Autre constat en lien avec le potentiel oxydatif : la baisse de proportions de fibres lentes avec l’âge, de 70% (5 ans) à 50% (adulte non entraîné ou non endurant). Le % de fibres lentes de l’enfant est égal au % de fibres lentes d’adultes très endurants.

 

► De même, l’activité enzymatique aérobie de la SDH* est comparable entre un enfant prépubère et un adulte entraîné en endurance, et elle est supérieure chez le jeune modérément entraîné.

*SDH = Succinate Déshydrogénase, enzyme intervenant dans le cycle de Krebs et les phosphorylations oxydatives (formation d’ATP) 

 

Au vu de ces nombreuses super adaptations, on peut conclure que l’enfant est métaboliquement comparable à un athlète de haut niveau. Ainsi, il apparaît nécessaire de développer et d’optimiser ces prédispositions le plus tôt possible, avant la puberté. Comment ?

Encore une fois, ne parlons pas d’entraînement mais d’activités ludiques. L’endurance se développe de multiples manières : course continue ou discontinue, marche, roller, vélo, sports collectifs…

Concernant la course, les jeunes prépubères sont capables de couvrir de longues distances, jusqu’à 10 km et plus, sans difficulté particulière, du moment qu’il est motivé pour le faire, que ce n’est pas une obligation, et que les contraintes mécaniques et thermiques sont sous contrôle.

Courir à intensité régulière et modérée est d’ailleurs difficile pour les jeunes qui n’ont pas la même perception de l’effort que les adultes.

De nombreux exemples (africains de l’Est, Kilian Jornet, Jakob Ingebritsen, Népalais…) montrent que le développement très tôt des qualités aérobies confère des avantages considérables à l’âge adulte. Mais au-delà des problématiques d’atteinte du haut niveau, il s’agit avant tout d’une problématique de santé publique, physique et mentale.

Faut-il limiter les distances chez les jeunes, comme indiqué sur le graphique ci-dessous ?

 

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Dans la mesure où il s’agit de distances de compétition, il est raisonnable en effet de limiter les distances et durées d’effort. Par ailleurs, avant la puberté, il serait peut-être préférable de ne pas faire rentrer le jeune dans une démarche compétitive mais de se concentrer sur le développement ludique des habiletés motrices, dans la coopération avec ses pairs.

Par contre, en pratique libre, le jeune peut s’exprimer sur des distances et des durées bien supérieures, et sans aucune difficulté majeure, du moment qu’il y prend du plaisir.

Pour conclure, cette phrase de Weineck, l’un des papes de la physiologie de l’exercice : « L’entraînement de l’endurance débute toujours trop tard, jamais trop tôt »

 

Préparation physique du jeune sportif – Le guide scientifique et pratique.

Sébastien Ratel. Editions Amphora, 2018

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