Mathieu Blanchard : « C’est la magie du sport, c’était inespéré de faire ce chrono, cela prouve qu’il faut que j’apprenne à me faire confiance. »

Le Français Mathieu Blanchard a réalisé un authentique exploit en terminant 2ème de l'UTMB (171 km et 10 000 m D+) en 19h54'50 sous la barrière mythique des 20 heures derrière la star Espagnole de l'ultra trail Kilian Jornet vainqueur de l'épreuve pour la 4ème fois de sa carrière dans le temps record de 19h49'30.
Mathieu Blanchard surprenant 3ème l'an passé de l'UTMB et qui cette fois a confirmé avec la manière qu'il avait franchi un cap revient un peu plus au calme mais avec toujours autant d'émotion sur cette superbe performance. Entretien.

Mathieu Blanchard 2ème de l'UTMB 2022 - Crédit photo : Jordi Saragossa

Lepape-info : Mathieu, comment vous sentez-vous après cette superbe performance à l’UTMB ? 

Mathieu Blanchard : Dans le sport, le pic des courbatures arrivent 48h après l’effort, nous y sommes. J’ai mal mais ce n’est pas aussi extrême que ce que j’aurais pu imaginer par rapport à l’effort produit. L’euphorie extraordinaire dans laquelle je suis encore m’apporte un effet analgésique sur mes douleurs musculaires actuelles.

 

 

Mathieu Blanchard : « À un moment je me retrouve dans la forêt sur un sentier très étroit et tout d’un coup au loin dans un virage à droite j’aperçois Kilian Jornet de dos et là j’hallucine ! Quand je le rattrape quelques minutes plus tard c’est un moment très fort. Je le respecte tellement. Il ne le sait pas mais comme des milliers de coureurs, c’est Kilian Jornet qui m’a inspiré. »

 

Lepape-info : Racontez-nous cette incroyable course, quelles images fortes retenez-vous ?  

M.B : Tout d’abord le départ est complètement dingue avec des milliers de coureurs rassemblés sur la Place du Triangle de l’Amitié dans le centre-ville de Chamonix, le speaker qui sait chauffer l’ambiance avec les spectateurs, tout le monde est en ébullition, la musique « Conquest of Paradise » de Vangelis qui est devenu l’hymne de l’UTMB pour lancer la course à fond dans les enceintes. Vous êtes au départ et vous avez déjà le cardio qui est au plafond alors que vous n’êtes pas encore parti. C’est très prenant émotionnellement.

 

Lepape-info : Une fois dans la course, quels ont été les moments à part ?  

M.B : Quand je double Tom Evans et Zach Miller au km 90, je passe 3ème de la course, je me retrouve virtuellement sur le podium, j’avais un bon tempo, je maitrisais ma course, cela m’a boosté de manière indescriptible je me suis senti poussé des ailes dans le dos. J’ai réalisé que les deux qui étaient devant moi étaient deux des plus grandes légendes de notre sport Jim Walmsley et Kilian Jornet. Je me retrouvais en chasse derrière ces 2 légendes ! Je me suis demandé ce qui allait se passer et j’étais ultra excité intérieurement. Ensuite à un moment je me retrouve dans la forêt sur un sentier très étroit et tout d’un coup au loin dans un virage à droite j’aperçois Kilian Jornet de dos et là j’hallucine ! Quand je le rattrape quelques minutes plus tard c’est un moment très fort. Je le respecte tellement. Il ne le sait pas mais comme des milliers de coureurs, c’est Kilian Jornet qui m’a inspiré. Le premier livre de trail que j’ai lu c’est « Courir ou mourir », l’autobiographie de Kilian Jornet.

 

Mathieu Blanchard : « Une fois j’ai cru à la victoire dans l’avant-dernière très longue descente qui menait à Vallorcine, Kilian fait une chute et disparait derrière moi, je me retourne sur un chemin qui fait environ 100 m et je ne le vois plus. Je me sentais bien et je me voyais gagner, cela m’a oppressé, j’étais limite pas très bien. »

 

Lepape-info : Que se passe t-il précisément lorsque vous arrivez à la hauteur de Kilian Jornet ?  

M.B : J’ai juste pas envie de le doubler en sprint sans lui parler, c’est impossible. C’était fort, je me suis mis à son rythme à côté, j’étais limité gêné, je l’ai salué, je lui ai dit : « J’espère que tu vas bien, je suis désolé j’ai l’impression que tu as un coup de moins bien, je n’ai pas envie de te doubler comme cela, as-tu besoin de quelque chose… ? »  En fait cela me faisait trop mal au cœur de le voir ainsi. En grand champion, il a eu les bons mots pour me rassurer, me remettre dans ma course en me disant : « Vas-y Mathieu fais ta course c’est génial, je suis trop fier de toi, ne me calcule pas… » Du coup je me remets dans mon rythme, l’échange que nous avons eu l’a remobilisé, il m’a suivi en essayant de s’accrocher à moi et voir ce qu’il était capable de faire. C’était une bascule dans la course où l’on a décidé de commencer à travailler ensemble pour aller chercher Jim Walmsley échappé devant nous depuis longtemps. On s’est relayé et rapidement en moins de 10 kilomètres nous sommes revenus sur l’Américain, nous l’avons doublé ensemble. À partir de ce moment on s’est regardé avec Kilian et je lui dit : « Bon maintenant nous sommes tous les deux devant que se passe t-il ? » Kilian me répond : « La course est encore longue, il reste plus de 30 kilomètres, j’ai l’impression que la course commence maintenant. »

 

Lepape-info : Vous vous retrouvez tous les deux en tête de la course, c’était un moment unique

M.B : Nous sommes partis dans un combat acharné, c’était fou, nous étions en équilibre parfait. Toutes les secondes qu’il me prenait dans les montées je lui reprenais en descente. C’était un scénario assez fou. Je suis même passé deux fois devant, j’étais aux commandes mais Kilian n’était pas loin derrière. Une fois j’ai cru à la victoire dans l’avant-dernière très longue descente qui menait à Vallorcine, Kilian fait une chute et disparait derrière moi, je me retourne sur un chemin qui fait environ 100 m et je ne le vois plus. Je me sentais bien et je me voyais gagner, cela m’a oppressé, j’étais limite pas très bien, j’ai gardé mon rythme. Mais Kilian reste Kilian, il est exceptionnellement fort et cinq minutes après il est revenu je ne sais pas comment il a fait. Il est réapparu par magie. Finalement cela se joue à rien, on sort en tête au sprint ensemble du dernier ravitaillement, cela n’était jamais arrivé dans l’histoire de l’UTMB. Ce qui a fait la différence c’est le niveau d’expérience de Kilian, en fin de course nous étions ultra détruits physiquement et mentalement mais un champion comme lui sait chercher au plus profond de son corps, de son mental la ressource qu’il faut pour créer cette petite différence. Je pense que je n’ai pas assez d’expérience pour aller chercher cela.                                 

 

Mathieu Blanchard : « En arrivant j’ai regardé ma montre, j’étais couché par terre, je voyais qu’elle indiquait 19h54 je n’y croyais pas, je me suis dit qu’elle avait du s’arrêter à un moment donné… Je ferme les yeux, je les ouvre à nouveau, je vois Kilian au dessus de moi puis assis à côté de moi, j’ai l’impression d’être dans un rêve. »

 

MATHIEU 2
Mathieu Blanchard et Kilian Jornet à l’arrivée – Crédit photo : Jordi Saragossa

Lepape-info : Kilian file vers la victoire puis vient le moment de votre arrivée

M.B : Comme au départ c’est un moment très puissant avec des milliers de personnes qui forment un couloir humain hyper serré comme on peut le voir sur les images du Tour de France cycliste dans les étapes de montagne comme par exemple lorsque les coureurs passent à l’Alpe d’Huez. J’avais déjà vécu cela l’année dernière, je l’ai vécu encore de manière plus forte cette année. Kilian était arrivé quelques minutes avant moi, je me suis effondré de fatigue, de douleur mais tellement heureux d’être allé chercher cette barrière mythique des moins de 20h (sur le parcours total) jamais atteinte avant l’édition de cette année. Tout le monde disait que c’était quasi-impossible,  les plus grands avaient essayé en vain. En arrivant j’ai regardé ma montre, j’étais couché par terre, je voyais qu’elle indiquait 19h54 je n’y croyais pas, je me suis dit qu’elle avait du s’arrêter à un moment donné. En regardant le chrono je voyais aussi 19h54, je n’arrivais pas à réaliser, je ferme les yeux, je les ouvre à nouveau, je vois Kilian au dessus de moi puis assis à côté de moi, j’ai l’impression d’être dans un rêve.

 

Lepape-info : Il y a eu aussi un moment très difficile pendant votre course  

M.B : Oui au ravitaillement de Trient, environ au km 140, je me suis effondré en sanglots. Je poussais tellement avec Kilian depuis une dizaine de kilomètres pour rattraper Jim Walmsley et commencer à mener que j’étais complètement sorti d’une zone de contrôle. J’avais des douleurs de fatigue dans tout le corps assez extrêmes. Cela me faisait tellement mal que je me suis projeté un peu trop loin dans le futur chose qu’il ne faut pas faire dans un ultra. Je me suis dit que vu mon degré de douleur c’était impossible pour moi de rallier la ligne d’arrivée, que j’avais fait une bêtise de faire cela avec Killian et que j’allais gâcher mon UTMB. Heureusement ma compagne Alix (assistante sur la course) était là pour me prendre en main, pour me remotiver et trouver les bons mots : « C’est très très bien, il faut que tu bombardes, c’est dur, c’est normal… tu le mérites, regarde moi dans les yeux, tu vas le faire, c’est bientôt fini, tu l’auras fait, tu l’auras volé à personne. » (extrait épisode 19 du podcast « Dans mon bain »). J’ai eu l’impression d’écouter des vidéos inspirationnelles de coaches Américains avant que les joueurs participent au Superbowl. C’était puissant. Je suis reparti plein balle avec des douleurs en moins, c’est aussi cela la magie de ce sport, c’est incroyable.

 

Lepape-info : Avant le départ vous aviez annoncé l’objectif de boucler l’UTMB en moins de 21h et finalement vous cassez la barrière mythique des moins de 20 heures !  

M.B : C’est dingue, c’est la magie du sport, c’était inespéré de faire ce chrono d’autant que personne n’avait fait cela dans l’histoire de l’UTMB. Cela prouve qu’il faut que j’apprenne à me faire confiance. Je suis tellement nouveau dans ce sport (5 ans d’ultra trail) mais c’est vrai que depuis ma 3ème place l’an passé, en un an j’ai pris de la confiance. En 2021, sur la ligne de départ de l’UTMB au milieu des élites j’avais le syndrome de l’imposteur, je ne me sentais pas à ma place, je n’osais pas trop doubler les athlètes professionnels. Ma 2ème place cette année prouve aussi que je suis encore en construction au niveau de ma confiance et que j’ai du mal à évaluer mon réel niveau. Un athlète en connexion avec son niveau et sa confiance est capable de donner son chrono final à l’arrivée de manière plus précise et objective. C’est un travail à long terme pour moi, le fait d’avoir progressé très vite dans ce sport est aussi la raison pour laquelle je suis en décalage avec mon réel niveau et mon réel potentiel.

 

MATHIEU 3
Crédit photo : Jordi Saragossa

 

Mathieu Blanchard : « Quand j’ai mis mes premières chaussures de trail si quelqu’un m’avait dit tu seras dans moins de 5 ans sur la plus grande course au monde à l’UTMB à batailler avec la plus grande légende de tous les temps de ce sport et à casser la barre des 20 heures, je lui aurais rigolé au nez. C’était comme si on m’avait dit dans 5 ans tu marcheras sur la Lune ! « 

 

Lepape-info : Que retenez-vous au final de ce fabuleux vendredi et samedi à l’UTMB ?  

M.B : En ce qui concerne ma gestion de course, je retiendrais le mot « focus ». Cette année j’ai vraiment décidé de rester dans ma bulle le plus longtemps possible. C’était une expérience que je n’avais jamais faite. En général, je suis perturbable par le public, je les salue, je les regarde, je souris, limite je m’arrête pour répondre à une question. Cette fois j’avais le regard fixé vers l’avant, dans ma tête j’essayais d’avoir le son  de l’extérieur coupé, tout ce brouhaha, ces hurlements, ces regards… pour me focaliser sur l’intensité que je devais mettre dans cette course. Cette expérience forte m’a permis de réaliser cette performance. J’apprends encore beaucoup dans ce sport et de se mettre dans une bulle, être focus c’est très puissant.

 

Lepape-info : Que de chemin parcouru depuis votre premier trail en 2016 au Québec ! 

M.B : Complètement, quand j’ai mis mes premières chaussures de trail si quelqu’un m’avait dit que je serais dans moins de 5 ans sur la plus grand course au monde à l’UTMB à batailler avec la plus grande légende de tous les temps de ce sport et à casser la barre des 20 heures, je lui aurais rigolé au nez. C’était comme si  on m’avait dit dans 5 ans tu marcheras sur la Lune ! Finalement c’est arrivé et ma vie a totalement changé. J’ai arrêté mon travail d’ingénieur pour mettre le sport au centre de ma vie, tout gravite autour. J’ai atteint un niveau de bonheur et d’épanouissement tellement puissant que j’ai des moments d’euphorie difficilement contrôlables. Ma communauté, mes amis, mes choix de vie par rapport à mes projets que je réalise tout gravite autour. ll y a aussi la « Clinique du Coureur » pour qui je travaille et qui m’apporte énormément d’informations que je peux appliquer à mon sport, je fais aussi du coaching. La course à pied est le noyau dur et j’ai toutes les planètes qui sont mes projets qui gravitent autour, c’est un bel univers. J’ai plein de projets j’essaye d’en réaliser au moins un tous les 6 mois.

 

Lepape-info : Avez-vous déjà un prochain objectif de course ? 

M.B : Cette année depuis le mois de janvier j’ai mis toute mon attention sur l’UTMB. J’ai vécu quelque chose de tellement puissant que je veux encore profiter de ce moment. J’ai prévu d’aller en octobre à la Réunion pour les 30 ans de la Diagonale des Fous, cette année la fête s’annonce historique. Comme j’ai terminé l’UTMB et que je me suis tellement donné ce week-end, je ne vais pas faire la Diagonale en entier, je ne vais pas prendre de risque mais je vais probablement faire cette course en relais avec d’anciens amis partenaires de Koh-Lanta (Mathieu était candidat de Koh-Lanta en 2020) et aussi le présentateur de l’émission Denis Brogniart. Cela devrait être très sympa.

 

Réagissez