Analyse complète du dernier titre mondial de Mo Farah : le haut du corps a toute son importance !

A l’approche du 10000 mètres des prochains championnats du monde d’athlétisme de Doha, nous voulions vous faire partager l’analyse réalisée par des chercheurs pour l’IAAF lors du 10 000m des mondiaux de Londres 2017, dernier titre de champion du monde de Mo Farah. Et les facteurs de performance ne sont pas toujours ceux que l’on pourrait imaginer au premier abord…

Source : athleticsweekly.com

Pour rappel, le 10 000m de Londres est donc le dernier titre obtenu par Mo Farah sur piste et son incroyable série : 6 titres mondiaux et 4 Olympiques sur 5000m et 10 000m, avant sa défaite quelques jours plus tard sur 5000m battu par l’Ethiopien Muktar Edris. 

 

Résultats du 10 000m des championnats du monde de Londres 2017 (table 1) :

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Lors de chaque mondial, des chercheurs réalisent différents relevés de données qu’il est ensuite possible de retrouver permettant ainsi d’améliorer la compréhension des résultats sportifs. Pour le 10 000m, l’objectif a été d’évaluer la biomécanique de course tout au long de l’épreuve.

Pour cela,  22 caméras 3D HD avaient été placées à différents endroits stratégiques du stade (figure 1) :

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Le 10 000 m se  court à une vitesse relativement constante sur la majorité de l’épreuve. Il y a de légères variations, mais pas de changements majeurs d’allure avant la fin de la course. Cela devait logiquement permettre d’observer la fatigue des athlètes en fonction de la durée de course et de la vitesse de déplacement.

En effet, la mécanique de course pourra être un bon indicateur de la fatigue d’un athlète. Cette course des mondiaux de 2017 était un cas d’école, puisqu’au cours des 20 premiers tours, soit les 8 premiers kilomètres, l’allure a très peu évolué.

Evolution de l’allure de Mo Farah sur l’ensemble du 10 000m (table 2) :

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La logique voudrait que des changements d’ordre bio-mécaniques apparaissent, permettant de maintenir la vitesse de déplacement, pour compenser un effort de plus en plus accru et provoquant une dérive physiologique. Ce qui se passe normalement quand un athlète est fatigué est  une compensation gestuelle, modifiant sa biomécanique de course pour permettre de maintenir la vitesse de course souhaitée. 

A priori, nous nous attendions à voir de grands changements des angulations articulaires, de l’amplitude ou de la fréquence de foulées mais lorsque nous regardons les données rapportées, la majorité des athlètes montre des valeurs remarquablement similaires, du 5ème au 20ème tour. Il y a de légères variations individuelles, mais aucun changement significatif.

Analyse de la foulée du top 8 du 10 000 des mondiaux 2017 au 15ème tour (figure 2) :

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Speed = vitesse moyenne ; Step length : la distance parcourue lors de l’arrivée au sol d’une pointe de pied à une autre ; Relative step length : la longueur de pas en proportion à la taille de l’athlète ; Step length difference : différence de la longueur de pas de gauche à droite et celle de droite à gauche, Les valeurs positives indiquent une longueur de pas plus importante de gauche à droite et les valeurs négatives une longueur de pas plus importante de droite à gauche ; Step rate : le nombre de pas parcouru par seconde (mesuré en Hz).

Vitesse et valeurs spatiotemporelles au 15ème tour (table 3) :

 

Vitesse (km/h) Distance parcourue (m) Longueur de pas en proportion à la taille Différence g/d Vs d/g (m) Nombre de pas parcourus par sec (Hz)
Farah 21.74 2.09 1.22 0.06 2.89
Cheptegei 21.42 1.95 1.09 0.01 3.04
Tanui 21.35 1.93 1.12 -0.02 3.07
Muchiri 21.53 1.75 1.04 0.02 3.55
Yimer 21.59 1.84 -0.03 3.23
Kamworor 21.46 1.93 1.15 0.00 3.09
Hadis 21.57 1.98 1.16 0.05 3.07
Ahmed 21.46 2.09 1.20 0.01

2.85

 

 

Evolution de la vitesse de déplacement pour chaque segment de 1000m (figure 3) :

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On constate que même si le rythme était relativement élevé (une base de 27 :10. 00 pour le top 8 ils ne présentaient que très peu de signes de fatigue d’un point de vue mécanique. 

Le rythme rapide causait donc peu de dégâts aux meilleurs concurrents ou à l’inverse on pourrait dire que les athlètes de top niveau sont suffisamment experts pour maintenir leur mécanique de course malgré une fatigue croissante.

Ce n’est que lorsque les athlètes augmentent leur vitesse au passage du 9ème kilomètre que  nous pouvons constater de nets changements de la longueur et de la fréquence des foulées. Farah, par exemple, passe de 2,16 m et 2,97 Hz à 2,26 m et à 3,33 Hz au 25ème tour (9 600-10 000m). On constate que les trois médaillés présentent tous des augmentations de longueur et de fréquence de foulées. Le même type d étude  réalisé lors des Championnats du monde d’Osaka 2007, avaient montré que les trois médaillés (Bekele vainqueur en 27 :05.90 avec un dernier kilomètre en 2min30 ; Sihine second en 27 :09.03, 2min34 ; Mathathi 3ème en 27 :12.17, 2min37) avaient des styles de course préférentiels, soit une longueur de foulée agrandie, soit une augmentation de la fréquence de foulée, corrélée à l’augmentation croissante de la vitesse de course. Dans cette course de 2017, tous les athlètes ont enregistré des augmentations significatives à la fois de l’amplitude et la fréquence, le médaillé d’argent Cheptegei présentant les changements les plus importants.

 

Vitesse, longueur parcourue entre chaque pas et nombre de pas par seconde des 3 médaillés tous les 5 tours (figure 4) :

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Caractéristique de l’amplitude de foulée du podium terminal durant la course (table 4) :

5ème tour 10ème tour 15ème tour 20ème tour 25ème tour
Farah Longueur de pas en fonction de la taille 1.25 1.21 1.22 1.26 1.32
Différence de pas g/d Vs d/g(m) 0.02 0.01 0.06 0.05 0.00
Cheptegei Longueur de pas en fonction de la taille 1.15 1.10 1.09 1.14 1.24
Différence de pas g/d Vs d/g(m) 0.10 -0.03 0.01 0.00 0.06
Tanui Longueur de pas en fonction de la taille 1.18 1.12 1.12 1.15 1.21
Différence de pas g/d Vs d/g(m) 0.03 0.01 -0.02 -0.04 0.08

 

Temps de contact au sol (contact time) et temps de vol (flight time) pour les 3 médaillés (figures 5, 6 et 7) :

Farah :

 

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Cheptegei

 

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Tanui :

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Augmentation de l’amplitude et de la fréquence de foulée entre le 20ème et 25ème tour (table 5) :

Changement de l’amplitude (m) Changement de la fréquence (Hz)
Farah 0.10 0.36
Cheptegei 0.18 0.40
Tanui 0.10 0.33

 

Lorsque l’équipe de recherche a poussé l’analyse  pour comprendre l’organisation mécanique nécessaire pour réaliser cette forte augmentation de vitesse, elle a constaté que le changement le plus évident se situe au niveau des angulations d’épaules et de coudes. Cheptegei et Tanui montrent des augmentations importantes de ces deux facteurs lors du dernier tour au moment où le pied quitte le sol, tandis que Cheptegei démontre également une augmentation importante  lors du contact du pied au sol. Farah, de son côté, présente des niveaux d’angulation du haut du corps remarquablement similaires à mesure qu’il augmente sa vitesse. Il semble que Farah tourne ses épaules et ses coudes plus rapidement, plutôt que d’augmenter le déplacement angulaire.

Du point de vue de la préparation, ces données soulignent la valeur de l’entrainement spécifique des gammes athlétiques, du travail technique à basse vitesse, aux vitesses de course et à haute vitesse, de l’intérêt de s’arrêter sur la mécanique du haut du corps et non seulement sur le développement des qualités physiologiques ou mécaniques du bas du corps, et donc à l’analyse du mouvement du haut du corps et du balancement des bras

A la fois pendant le rythme de croisière dans une dimension d’économie d’énergie et lors de la recherche de vitesse terminale pour la meilleure efficience possible. 

On dit souvent aux athlètes de « conduire leurs bras », mais il est important de savoir ce que cela signifie exactement et en quoi cela diffère pour chaque personne. Est-ce même le bon signal à donner ? C’est-à-dire est ce que les mouvements du haut du corps sont la conséquence de ceux des membres inférieurs ou l’inverse ?

Les données montrent que pour atteindre le podium du 10 000m des mondiaux 2017, les athlètes devaient posséder la capacité à atteindre le 9ème kilomètre avec un minimum de signes de fatigue apparents, d’un point de vue mécanique. Contrairement aux athlètes non finalistes (en dehors du top 8), les finalistes ont montré très peu de signes de changement mécanique, malgré une allure de course en moyenne sur les 9 premiers kilomètres à 2min42 (22,19 km/h), soit des bases de 27min10 au 10 000m. 

Cela signifie que la première condition préalable à toute performance à ce niveau, sera d’avoir le moteur et l’économie de course nécessaire pour atteindre le dernier kilomètre avec un minimum de signes de fatigue apparents.

Alors seulement, il pourra concourir pour une médaille mondiale ou olympique. Lors du dernier tour, les données montrent clairement que l’athlète doit avoir les compétences nécessaires pour augmenter rapidement la longueur et la fréquence de ses foulées. Nous avons vu que la façon dont cela est accompli peut varier, mais la capacité à pouvoir le faire est nécessaire. Le contre-exemple étant Paula Radcliffe qui lors de sa carrière athlétique ne possédait pas la capacité à pouvoir changer de rythme malgré un moteur toujours inégalé (30min01 sur 10 000m, 2h15min25 sur marathon). 

C’est ici que l’on se rend compte à quel point avoir une bonne technique de course et posséder une réserve de vitesse aura une importance cruciale en championnat. Il est d’ailleurs intéressant de découvrir les records sur 1500m des grands athlètes contemporains de 10 000 m : Mo Farah 3 :28.81 ; Kenenisa Bekele 3 :32.35 ; Haile Gebreselassie 3 :33.73, mais 3 :31.76 indoor ; Eliud Kipchoge 3 :33.20, alors qu’ils ont peu couru cette distance et surtout ne l’ont jamais préparé spécifiquement en dehors de Gebrselassie lors de ses 1500m et 3000m victorieux des mondiaux indoor de 1999 au Japon.

Très clairement, si moteur est là  et que l’efficience technique nécessaire pour courir autour de 27min au 10 000m existe alors il sera très fortement envisageable de pouvoir être finaliste mondial/olympique sur cette distance. Mais pour le podium, il faudra être capable de changer de rythme et de posséder la capacité à pouvoir courir plus rapidement que l’allure demandée (autour de 22 km/h donc) et ce malgré la fatigue. 

Alors que les protagonistes ont couru de façon régulière autour de 16sec au 100m pendant 9km, les 10 derniers 100m ont été courus par Mo Farah en : 16.23/15.06/15.97/15.29/15.75/14.92/14.51/13.92/14.02/13.15. Le dernier 400m s’ est donc couru en 55.6, soit sur des bases de 3 :28.5 au 1500m, exactement le record de Farah sur la distance ! 

Préconisations 

Il est donc primordial pour un coureur de 10000 m de travailler à l’entraînement la capacité à pouvoir changer de rythme, au travers de gammes athlétiques, du travail musculaire, du développement des capacités de vitesse et de séances type 800 m-1500 m, tout en développant conjointement ses puissances (produire le plus d’énergie le plus rapidement possible par l’une des deux filières énergétiques) et capacités (taille du réservoir d’énergie des deux filières) alactique (effort maximal de quelques secondes, démarrage et dernier coup de reins) et lactique (effort maximal de 20sec à plus d’une minute) au-delà du simple « moteur aérobie ». Et avoir en tête que chaque sportif aura une façon différente de produire de la vitesse, il faudra donc viser à le rendre le plus efficace possible, tout en s’adaptant à sa biomécanique personnelle.

 

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@AUBRYANAEL
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Anaël Aubry
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Anaël Aubry Sport Scientist

 

1 réaction à cet article

  1. superbe article !! merci

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