Comme à chaque grand championnat, et ceci depuis plusieurs décennies, les mêmes questions vont se poser devant des performances exceptionnelles, des comportements trop dominateurs chez des sportifs depuis longtemps au premier plan ou, au contraire, l’apparition sur les podiums d’athlètes peu connus. Et devant la suspicion de dopage, les athlètes vont se défendre, comme depuis plusieurs décennies, en arguant du fait qu’ils ont été contrôlés à de nombreuses reprises dans l’année et que tous leurs contrôles sont revenus négatifs. Pour les observateurs et les spectateurs, qu’ils soient avertis ou simplement attentifs, la question pertinente de la crédibilité des contrôles antidopage va se poser. Les analyses sanguines, à travers le suivi biologique longitudinal et le passeport biologique de l’athlète, sont le plus souvent présentées comme « le fer de lance » de la lutte contre les tricheurs. Sur ce sujet précis, peut-on encore croire les organismes de lutte contre le dopage ? Pour mieux comprendre le suivi biologique et son évolution, voici quelques éléments historiques et techniques.

1999, : un dispositif de prévention, la surveillance médicale réglementaire

(Sources : la loi du 23 mars 1999, la loi du 5 avril 2006 et leurs arrêtés)

En France, le suivi biologique « longitudinal » a été mis en place par la loi du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage (loi Buffet) puis prorogé par la loi du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs (loi Lamour). Le suivi biologique est inclus dans la surveillance médicale réglementaire (SMR) au même titre que le suivi clinique, cardiologique, nutritionnel ou psychologique. La nature et la périodicité des examens médicaux ont été définies périodiquement par un arrêté qui a évolué depuis la première loi de 1999.

Le suivi biologique longitudinal réglementaire a été mis en place pour faire une analyse ciblée sur la santé et détecter des signes anormaux en relation avec une pratique sportive intensive. Ce suivi biologique n’a jamais eu pour objectif prioritaire de détecter le dopage même si certains éléments biologiques anormaux, notamment au niveau du système hématopoïétique et du métabolisme du fer, peuvent alerter sur une éventuelle conduite dopante.

Le SMR et le suivi biologique ont fait partie d’un dispositif de prévention très novateur. Depuis sa mise en place, le suivi biologique longitudinal est dévolu aux différentes fédérations sur des subventions du Ministère chargé des Sports.

 Au plan des résultats, le suivi biologique a permis, et permet toujours, de détecter des problèmes. de santé inhérents à l’activité physique intensive ou révélés par elle : pathologies hématologiques, pathologies thyroïdiennes, troubles des conduites alimentaires, hypercortisolémies et surentrainement.

Il s’agit d’un dispositif de santé publique très lourd qui peut être considéré comme valable si les analyses sanguines sont répétées plus de 4 fois par an. Actuellement, au sein de la plupart des fédérations et notamment à la FF d’Athlétisme, seuls les athlètes « Elite » bénéficient d’un suivi biologique pouvant être considéré comme satisfaisant au plan médico-sportif.

Remarque : Le dernier arrêté du 13 juin 2016 relatif à la surveillance médicale des sportifs de haut-niveau, Espoirs et des collectifs nationaux proroge le suivi médical réglementaire et son application par les fédérations mais ne rend plus obligatoire le suivi biologique. Certaines fédérations ont décidé de ne plus l’organiser et d’en laisser la prescription aux médecins traitants ou aux médecins du sport qui suivent les sportifs au quotidien.

 

2009 : un dispositif de répression, le passeport biologique de l’Agence Mondiale Antidopage

(Sources : Code Mondial Antidopage, le passeport biologique de l’athlète)

Les contrôles antidopage urinaires utilisés depuis le début de la lutte contre le dopage et qui se basent sur la détection directe de produits interdits dans les urines montrent leurs limites dans la détection des produits interdits. Afin de donner une nouvelle impulsion à la lutte contre le dopage dans le sport, un nouveau mode de recherche des produits dopants doit être imaginé par l’Agence Mondiale Antidopage (AMA). Le profilage de variables hématologiques pour la détection du dopage sanguin, intitulé module sanguin, est mis en place en décembre 2009. Le passeport biologique de l’athlète est basé sur la surveillance régulière de variables biologiques qui peuvent révéler de manière indirecte la prise de produits interdits. Les contrôles antidopage sanguins apparaissent donc en 2010 et seront très vite couplés avec les contrôles urinaires.

Pour rechercher la prise de stéroïdes anabolisants, le module stéroïdien sera mis en place à partir de janvier 2014. Il complétera le module hématologique à partir de variables hormonales stéroïdiennes recherchées dans les urines.

Les moyens sont importants tant au niveau financier qu’au niveau technique. L’élaboration du passeport biologique sanguin et urinaire est dévolue aux unités de gestion du passeport de l’athlète (UGPA). Les Fédérations Internationales et les Agences Nationales Antidopage (en France l’AFLD) doivent collaborer et échanger sur les résultats des différents contrôles mis en place via les laboratoires antidopage accrédités par l’AMA.

L’objectif essentiel était de rendre plus crédible la lutte contre le dopage. Les contrôles antidopage sanguins devaient permettre de dépister les produits interdits indétectables aux contrôles urinaires (dépistage direct). Le passeport biologique était conçu pour détecter les variations anormales de constantes hématologiques ou stéroïdiennes (dépistage indirect). 

Les résultats peuvent être considérés comme décevants puisque le nombre de sportifs sanctionnés n’a pas évolué depuis la mise en place du passeport biologique. L’effet dissuasif du passeport biologique est mis en avant par les plus optimistes. La difficulté à détecter directement certains produits interdits utilisés sous forme de minidoses par les sportifs puis éliminés très rapidement est l’explication donnée par les scientifiques. Pour les conseillers juridiques des différentes organisations antidopage, les arguments scientifiques indirects révélés par les algorithmes du passeport biologique ne sont pas suffisamment recevables pour sanctionner des sportifs.

Ces maigres résultats peuvent inciter à comprendre les désillusions actuelles des différents responsables de la lutte contre le dopage et leur orientation répressive vers les autres définitions de la violation des règles antidopage (manquement aux règles de localisation, obstacle au contrôle antidopage, possession d’une substance ou méthode interdite, trafic d’une substance interdite, complicité, etc.).  Le développement récent d’un département « chargé des enquêtes » au sein de l’agence française de lutte contre le dopage est une évolution patente des orientations policières de la lutte contre le dopage.

 

2019 : « Athletes for transparency » et le programme Quartz

(Sources : www.athletesfortransparency.com ; Remerciements aux athlètes FFA et à leurs coaches avec qui j’ai pu échanger sur le programme Quartz Elite)

Mettons nous à la place des athlètes de haute performance. Pour démontrer publiquement leur volonté absolue de réaliser un haut niveau de performance sans dopage, nous leur donnons le choix entre le suivi biologique longitudinal, ses limites et son ambiguïté, et le passeport biologique, ses limites et son opacité… 

Une troisième voie, plus actuelle et plus transparente, a été choisie en mai dernier par neuf athlètes  français emmenés par Kevin Mayer. Le programme Quartz est sans doute le seul outil qui puisse permettre aux athlètes d’exposer l’ensemble des données médicales et biologiques les concernant (analyses biologiques, AUT, médicaments et compléments alimentaires), leur adhésion aux règles de localisation sur le logiciel ADAMS, les résultats de leurs contrôles antidopage afin de démontrer qu’il est possible de réaliser de grandes performances sans avoir recours au dopage.

La volonté « d’emmerder les dopés » est partagée par tous les athlètes FFA qui ont adhéré au programme Quartz. Cette position peut paraitre intransigeante mais elle est parfaitement compréhensible de la part de sportifs qui ne supportent plus les tricheurs et ne comprennent pas que leur engagement personnel dans un sport « propre » n’ait pas eu la possibilité d’être mieux valorisé. 

Ce programme Quartz Elite n’est pas seulement un programme pour rechercher les signes d’un éventuel dopage. Il permet aussi de détecter la survenue de maladies ainsi que les états de fatigue en relation avec un surentrainement ou une infection virale. Quelle qu’en soit la cause, en cas de signes cliniques ou d’anomalies biologiques devant faire envisager un arrêt des compétitions, les médecins responsables du programme alertent les médecins choisis par l’athlète (médecin traitant, médecin du sport, médecin fédéral, médecin de pôle). La commission médicale de l’association AFT peut aller jusqu’à proposer la mise hors compétition pour des raisons de santé à la direction d’une compétition pour laquelle l’athlète s’est engagé. En cas de profil médical ou biologique anormaux, la commission médicale de l’AFT peut décider d’alerter directement l’AFLD ou l’IAAF.

Ce programme assure une bonne fiabilité au traitement des données médicales puisque les résultats des différents éléments cliniques et biologiques de tous les athlètes sont contrôlés a minima par trois médecins représentants plusieurs structures différentes. Ce mode de fonctionnement permet les échanges entre experts en cas de situations cliniques complexes. Il n’existe donc pas de possibilité de circuit fermé et d’absence de partage d’informations concernant les problèmes de santé des sportifs. Ce fonctionnement transparent et transversal permet de mettre en relation les médecins représentant la structure « Athletes For Transparency » (AFT) avec, par exemple, les médecins de la FFA et les médecins de l’IAAF. 

Le programme Quartz Elite est un programme à but non lucratif organisé par l’association AFT et soutenu financièrement par la fondation « Ultra Sport Science ». Actuellement, pour les neuf athlètes qui ont choisi de se référer au programme Quartz, le suivi est gratuit.

Le programme Quartz Elite a été conçu pour des sportifs de haute performance soumis à la dure loi de la concurrence internationale. Il est basé sur le volontariat et un engagement très profond contre le dopage sous toutes ses formes. Ce programme n’est sans doute pas parfait mais, pour les tricheurs et leurs conseillers, il sera beaucoup plus difficile à contourner que le suivi biologique longitudinal et même que le passeport biologique de l’athlète. Faut-il pour autant suspecter de dopage les athlètes qui ne souhaitent pas adhérer au programme Quartz Elite ? Pas de stigmatisation, la grande majorité de nos athlètes ne se dopent pas et ne ressentent pas le besoin absolu de s’impliquer dans un programme transparent de lutte contre le dopage. Mais il est certain que les tricheurs ne prendront pas le risque de s’inscrire à un programme qui va exiger d’eux une transparence totale et ajouter une surveillance transversale complémentaire au passeport biologique de l’athlète.

Conclusions : Pas de déni, le dopage sera présent à Doha malgré l’évolution des différentes techniques de recherche des produits et des techniques interdites. Les tricheurs sont toujours plus inventifs et plus rusés que les gendarmes. Mais pas de stigmatisation, la grande majorité des sportifs ne se dopent pas et il est possible d’accéder à de grandes performances sans tricher. 

Dans ce contexte, le même depuis des décennies, saluons les athlètes français ou étrangers qui ont eu le courage d’adhérer au programme élaboré par l’association « Athletes For Transparency ». Nous aurons tous une bienveillance admirative pour les athlètes français présents à Doha.  Mais les quelques athlètes français qui se sont engagés dans le programme Quartz Elite méritent un soutien indéfectible.

 

Dr Jacques Pruvost

Médecin du sport de terrain

Médecin de la FFA depuis trois décennies

Chargé de prévention du dopage et des conduites addictives dans le sport par le Ministère des Sports entre 2000 et 2015

 

 

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