Addiction à la course à pied : oui, ça peut exister !

Non, l’addiction ne concerne pas que des substances (alcool, drogue, etc…). Le sport (notamment la course à pied) peut également faire l’objet d’un comportement addictif chez certaines personnes. On parle alors de bigorexie. Et le mieux, pour lutter contre ce phénomène, reste d’en parler.

N’attendez pas de grandes données chiffrées ou statistiques. Bien malin celui qui saurait dire, étude sérieuse à l’appui, combien de sportifs (et pas uniquement de haut niveau) sont « addicts » à leur pratique. Impossible, non plus, de savoir combien de coureurs et coureuses à pied (sur route et chemins) sont concernés.

Toutefois, l’addiction au sport est aujourd’hui connue, et porte un nom : la bigorexie. Et si l’on ne dispose pas d’études de grandes envergures sur ce phénomène, la littérature scientifique n’est toutefois pas complètement vierge. Des questionnaires ont par exemple été adressés en 2011 aux participants de l’Ultra Trail du Mont-Blanc (toutes courses confondues). Bilan : sur les 1 611 hommes et 164 femmes, soit 1 775 réponses, 7% des coureurs étaient qualifiés de « dépendants à l’exercice physique » et 69% de personnes « à risque ».

Alors, être « addict » au sport ou à la course à pied, concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ? A partir de quand doit-on parler d’addiction ? « L’addiction débute lorsque la dépendance est présente. Et qu’elle a un impact négatif sur la vie de la personne », souligne le professeur Julien Girard. Responsable du Domaine Universitaire Médecine et Sport de la Faculté de Lille 2, il est également très actif au sein du GIRCAd : le Groupement Interdisciplinaire de recherche sur les Conduites Addictives dont l’un des axes de travail est justement le sport. Et si l’on se fie à la cinquantaine de consultations qu’effectue l’équipe chaque semaine, le problème est bien réel. « Ce sont très majoritairement des hommes, souvent assez jeunes (moins de 30 ans), qui sont envoyés par leur Fédération, leur médecin du sport, ou leur épouse ». Car là  est un des points fondamentaux : l’impact sur l’entourage. « On voit certaines personnes qui mentent à leur femme pour aller courir, prétendant avoir une réunion tardive au travail ».

On serait vite tenté de faire un parallèle entre le nombre de séances hebdomadaires, et l’addiction : nombre de séances élevé =  addiction ? L’équation serait trop simple. « Il n’y a pas de corrélation entre le volume d’entraînement et l’addiction », insiste le Pr Julien Girard. C’est davantage une « question de personnalité ». De « terrain ».

« Il y a évidemment une réaction neurobiologique avec la sécrétion d’endorphines », et donc le sentiment de bien-être que suscite l’activité sportive. « Et il faut de plus en plus d’endorphines pour avoir le même effet pour l’organisme. Exactement comme pour la dépendance des alcooliques vis-à-vis de l’alcool par exemple ». Et puis, petit à petit, la « compétition, la performance, prennent le dessus ». Quitte, évidemment, à accepter des sacrifices.

Le questionnaire EDS-R (Exercise Dependence Scale Revised, Hausenblas & Symons Downs, 2002) comporte une série de questions permettant de mesurer par une échelle de 1 à 6 l’addiction à l’activité physique. Parmi les affirmations soumises aux patients : « je pratique cette activité quand je suis blessé », « je pense à ma pratique physique alors que je devrais me concentrer sur mon travail ou mes études », ou encore « je  préfère pratiquer cette activité plutôt que de passer du temps en famille ou avec des amis ».

Et c’est sur ce dernier point que le Pr Julien Girard invite à réfléchir : « Posez-vous cette question : si vous aviez, tout de suite, une heure de libre devant vous, préfèreriez-vous aller courir ou rentrer chez vous pour voir votre famille ? ». Dire que ceux et celles qui répondent « je préfère aller courir » sont addicts, serait évidemment un raccourci bien trop rapide. Mais il s’agit tout de même d’un indice à prendre en compte. « Les personnes que nous rencontrons en arrivent à ne plus vouloir vivre leur vie de tous les jours. Le sport est une échappatoire. Le rôle de l’entourage est très important. Pour permettre de relativiser. De montrer qu’il y a d’autres choses qui comptent. La famille, les enfants, le travail ».

Difficile de trouver meilleur moyen de traiter la bigorexie qu’une psychothérapie de soutien. Car non, cette addiction au sport n’est pas irréversible. Le Pr Julien Girard en veut pour preuve les personnes suivies au GIRASport à Lille. « Au bout du compte, les gens le vivent bien, et nous disent qu’ils ont l’impression de retrouver de la liberté, de redécouvrir les joies de la vie de famille. Il faut comprendre que faire du sport avec ses enfants, sans fractionnés, ni VMA, ni notion de calories, c’est aussi important. Et comprendre que ce n’est pas du sacrifice ».

D’où l’intérêt, également, de ne pas couper les ponts avec tous les membres de son entourage non sportif. « Avoir un entourage sédentaire, c’est très bien. Ca permet de voir qu’on peut être sédentaire et heureux. Et puis, ça permet aussi de briller en parlant de ses épreuves et performances ! On suscite l’interrogation, l’admiration », sourit le Pr Julien Girard. Et de poursuivre : « A l’inverse, s’entourer de personnes uniquement sportives va pousser à continuer et à faire toujours plus ».

Ne pas avoir peur d’en parler avec ses proches, de les interroger sur la manière dont ils vivent cette pratique sportive qui n’est pas forcément la leur,  et se poser les bonnes questions sur sa propre manière de vivre cette activité. Autant de pistes qui peuvent permettre de tirer un signal d’alarme, avant l’arrivée de problèmes familiaux ou professionnels qui seraient signes, eux, qu’il est déjà peut-être un peu tard. 

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