Entraînement et fréquence cardiaque

Article écrit par Cyril Granier

Il n’est pas rare à partir du moment ou un coureur achète et utilise un capteur de puissance, que le capteur de fréquence cardiaque (CFC), soit mis au rebus. Cette pratique assez courante, est souvent associée à un inconfort réel ou prétendu du port de la ceinture thoracique, qui pourrait gêner au cours de l’effort.
De ce fait, les fabricants à la pointe de cette technologie, proposent aujourd’hui un CFC avec relevé au poignet.
Je ne vais pas aujourd’hui argumenter sur l’intérêt d’un capteur thoracique ou au poignet mais simplement rappeler les atouts et les limites de l’utilisation de la FC dans son entraînement au quotidien.

En tant qu’entraîneur et avec ces fameux coureurs qui ont des capteurs de puissance, je me « bats » pour leur expliquer que le capteur de puissance est un reflet de l’activité mécanique du muscle, alors que le CFC est un reflet cardiovasculaire de l’effort réalisé.

Ces deux outils ne mesurent donc pas la même chose et il est de ce fait primordial d’accorder une attention toute particulière aux données qui en découlent.

 

D’ailleurs, tout coureur qui prête attention à ce qu’il fait au quotidien, se rend vite compte que parfois, la FC peut être haute pour de faibles puissances et inversement, ou varier selon les états d’humeur, de fatigue…

Ceci démontre qu’il y a peut-être des indices pertinents que nous permet de comprendre la FC au cours de l’effort. Allons voir de plus prêt en quoi ces CFC peuvent accompagner un entraîneur dans sa prescription de l’entraînement, dans l’analyse de l’état de fatigue, du niveau de forme…

 

 

La fréquence cardiaque de repos

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Figure 1. Variation des FC de repos au cours de plusieurs journées, chez un athlète de 2ème catégorie sur route. On observe en orange avec des ronds les valeurs de FC relevées au repos. En pointillés verts, la tendance d’évolution de la FC au fil de la saison. En pointillés bleus, la FC moyenne sur la période analysée. En pointillés gris, l’écart type des valeurs autour de la moyenne.

 

Premier élément intéressant avec la FC, le suivi de l’évolution de FC le matin au réveil, afin d’estimer notre état de forme.

La FC n’est pas sensée varier énormément d’un matin à l’autre hormis si des charges d’entraînement importantes ou trop faibles, des épisodes de stress, de maladies, ou autres viennent la perturber. Ainsi, faire un suivi de la FC de repos de manière régulière, permet de comprendre les évolutions de l’état de forme et de nous alerter si de trop grosses variations apparaissent au fil des relevés.

Dans le cas présent (Figure 1), à l’aide de quelques artifices statistiques (traits pointillés gris ou bleu) on peut observer l’évolution des écarts à la moyenne de relevés de FC et rester attentifs à toute valeur « hors cadre ».

On remarque sur la courbe orange analysant l’évolution de FC sur une période donnée, trois pics de FC (cercles bleus) qui correspondent à des moments d’augmentation de la charge de travail. Cercle vert, on observe une FC beaucoup plus basse que la moyenne et qui est associée à un athlète qui est tombé malade.

Chaque athlète réagira différemment mais avec un peu d’expérience, ou de connaissance de son coureur, on peut associer un évènement à une évolution de FC et de fait adapter la charge de travail. On peut également aller plus loin que cela et devenir plus précis, grâce à l’analyse de la variabilité cardiaque (VFC ou HRV) mais c’est un point que nous laisserons volontairement de côté pour le moment.

L’enregistrement de la FC le matin au réveil, toujours dans les mêmes conditions (allongés, après miction…) permettra de récolter des premières informations sur l’évolution de l’état de forme.

 

 

Fréquence cardiaque et tests de capacités physiques

 

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Figure 2. Test CP5 d’un coureur de 2ème catégorie sur route. On note en bleu les évolutions de puissance au cours de l’effort et en rouge l’augmentation progressive de FC.

 

Afin de prescrire au mieux l’entraînement, il faudra déterminer ou calculer des valeurs clés de FC, qui nous permettront de créer une échelle d’intensité individualisée à notre athlète (Échelle ESIE, Coggan, Friel, Seiler…) et ainsi orienter l’entraînement en fonction de ces critères.

On peut dès lors proposer à notre coureur de réaliser un test sur le terrain de 5 min d’effort en bosse, dont le but sera d’effectuer la plus grande distance possible.

 

On voit ainsi sur la figure 2, apparaitre deux courbes : l’une de puissance et l’autre de FC.

La puissance moyenne sur l’effort de 5 min nous donne ce que l’on nomme le CP5, égal à 417 W pour une FC maximale (FC max) de 201 Bpm. Il vous suffira de calculer à partir de l’échelle de prescription de l’entraînement, vos zones d’intensité et ainsi faire du travail spécifique dans chacune des zones au cours de vos séances (Figure 3 et Figure 4).

Si vous souhaitez des échelles d’intensités encore plus précises et individualisées, il faudra déterminer vos FC au seuil aérobie et anaérobie.

 

 

FC et séances d’entraînement

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Figure 3. Echelle d’intensité basée sur le modèle physiologiste. Zone 1 FC < au seuil aérobie. Z2, FC comprise entre seuil aérobie et seuil anaérobie.Z3, FC > au seuil anaérobie.

 

Nous ne sommes ici toujours pas rentrés dans une séance à proprement parler et l’on voit déjà tout l’intérêt d’utiliser la FC et de ne pas la délaisser pour le « tout puissance ». Autre élément fort intéressant, une fois que l’on connait sa FC de repos et sa FC max et que l’on a déterminé ses zones d’entraînement, nous pouvons réaliser des séances spécifiques et individualisées.

Par exemple, pour développer ma PMA, il va falloir que j’atteigne des FC comprises entre 95 et 100 % FC max. Si je veux faire du seuil aérobie, aux environs de 80-85% FC max, si c’est de l’endurance de base en dessous de 80% FC max…

L’entraînement prend alors une tout autre tournure et vous permet d’entrer dans une dimension plus « professionnelle » du cyclisme.

Mais n’oubliez pas, il faut aussi s’assurer de suivre l’intensité demandée en récupération, ce que l’on oublie parfois trop facilement. Le contre exercice ou temps de récupération est aussi important que l’intensité de l’effort.

 

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Figure 4. Échelle créée à partir du travail réalisé par F. Grappe sur l’ESIE.

 

Je tenais également à vous présenter un exemple que je donne souvent lorsque je parle de la FC et de son utilisation. J’aurais pu positionner mon exemple dans la partie « limite de l’utilisation de la FC » mais je préfère l’inclure comme cas concret d’analyse d’une séance.

J’ai proposé une séance à un coureur que j’entraîne durant laquelle il devait réaliser 3 séries d’effort.

La première correspondait à 7 x 30 s en Zone 5, 30 s en Zone 2. La deuxième série, 6 x 40 s en Zone 5, 40 s en Zone 2, la dernière série était 5 x 1 min en Zone 5, 1 min en Zone 2.

J’ai noté un ressenti de difficulté de l’effort important puisque la séance était notée 8/10. J’ai gardé ça dans un coin de ma tête et j’ai analysé la séance.

Les efforts se font sur moins d’une minute, il est donc fort probable que la FC sur l’intervalle du temps d’effort ne soit pas exactement aux valeurs attendues dès les premières répétitions. Mais en règle générale au bout de 5 répétitions on arrive à l’intensité demandée. Dans le cas de cet athlète, la FC reste bloquée aux environs de 89% FC max, soit pour lui, une intensité en zone 4 et non en zone 5.

Si on s’arrête à cette analyse on se dit : « mais que fait-il aujourd’hui, il aurait pu appuyer davantage pour faire ce que je lui demandais »… Mais avant de tirer des conclusions hâtives, je suis passé à l’analyse des puissances développées…

 

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Figure 5. Analyse de la FC lors d’une séance d’entraînement. Au-dessus de chaque courbe sont notées les FC moyenne sur le temps de travail demandé lors de chaque série.

 

Et la devant mes yeux, Ô surprise… non je plaisante bien entendu, car j’avais toujours en tête cette idée d’un ressenti difficile.

Lorsque l’on observe l’analyse des puissances au cours des 3 séries d’effort (figure 6), on se rend compte que les puissances demandées correspondent fidèlement à ce qui était prescrit. Conclusion, non seulement mon athlète à bien respecté les consignes mais en plus ce n’est pas le fainéant que l’on pourrait penser qu’il est.

Donc mon réflexe a été de prendre mon téléphone et de l’appeler dans la foulée. Je voulais savoir si cette difficulté à avoir une FC aux valeurs demandées était simplement lié à la conception de la séance, avec des temps d’efforts trop courts pour que la FC monte et des récupérations trop longues et/ou à intensité trop faible lui permettant de récupérer facilement, ou si plus simplement quelque chose n’allait pas de son côté.

La réponse était à chercher du côté de l’agencement de ma séance et celle qui a suivi a été faite avec des temps de récupération plus courts et la FC a augmenté correctement.

 

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Figure 6. Analyse des puissances lors d’une séance d’entraînement. En bleu les valeurs moyennes sur les répétitions d’effort, en vert les puissances moyennes sur les intensités de récupération.

 

Pour conclure cette partie, on se rend bien compte que la FC ne peut être substituée à la puissance ou au ressenti car ces données se complètent. Pour ma part, de voir que la FC ne répondait pas comme je le souhaitais, m’a incité à appeler le coureur mais aussi à réfléchir à ma construction de séance. Donc il fallait bien que ce cycliste conserve sa ceinture de FC pour aboutir à ces conclusions et ajustements.

 

 

Relation FC avec les autres marqueurs de la performance 

Comme je l’évoquais précédemment nous avons d’ores et déjà vu des éléments de réflexion sur l’intérêt de la FC à l’entraînement avec la complémentarité qu’elle pouvait avoir avec des capteurs de puissance. Maintenant essayons de mettre en relation les différents marqueurs d’une séance comparativement à la FC.

Lors de séances d’endurance, je demande souvent à mes athlètes de rouler à une certaine zone de puissance et de mon côté en post effort, je regarde les évolutions de FC. Les athlètes eux même me font souvent la remarque d’une FC plus haute ou plus basse pour une puissance donnée par rapport à d’autres sorties.

Ce premier indicateur est pertinent car pour une puissance donnée, si la FC diminue cela signifie que l’état de forme s’améliore. Si par contre cette FC est plus haute que d’habitude, il sera difficile de conclure hormis sur le fait que quelque chose cloche. Soit au niveau de l’entraînement préconisé, soit au niveau de la fatigue de l’athlète, soit sur son état d’hydratation/alimentation lors de la séance, ou encore son niveau de stress actuel.

Si la FC augmente et la puissance diminue au cours de l’effort, allez plutôt chercher du côté de l’alimentation et de l’hydratation durant la séance.

Si la FC reste basse et ne décolle pas de la séance malgré les tentatives de montée en puissance et que le ressenti est élevé (exemple 8/10), allez chercher du côté de l’état de fatigue, il faudra peut-être lever le pied à l’entraînement et y intégrer davantage de séances « dynamiques » (courtes en durée et hautes en intensité) ou tout simplement penser à se reposer. Ce sera en tout cas un moment où il faudra se questionner ou questionner votre athlète.

Si votre FC reste stable et que votre RPE augmente au cours de la sortie, vous ressentirez de plus en plus de difficulté. Pensez simplement à vous alimenter et bien vous hydrater, la solution est parfois simple.

Si votre FC reste plus haute ou basse au cours de vos entraînements et ce durant quelques jours, assurez-vous de ne pas basculer en surentraînement et ayez le réflexe de consulter l’évolution de vos FC le matin au réveil. Si vous constatez également des évolutions plus de doutes, reposez-vous. La FC étant très sensible aux conditions environnementales ou à l’état d’anxiété ou de sommeil soyez vigilant(e) lors que vous roulez en altitude, sous forte chaleur ou humidité, ou si vous êtes soumis à de fortes doses de stress au travail ou à des nuits perturbées.

 

 

Les limites de l’utilisation de la FC

Une des premières limites que vous avez du repéré en utilisant votre CFC, les faibles variations de FC au-delà d’une certaine intensité d’effort. La FC ne semble plus répondre à l’augmentation de la puissance demandée. C’est généralement ce qu’il se passe lorsque l’on dépasse le seuil anaérobie (80% PMA ou 90% FC max).

Il peut devenir difficile sur des efforts au-dessus du seuil anaérobie, d’avoir un FC stable tout au long des répétitions à mesure que l’on monte vers la PMA et encore davantage sur les efforts lactiques ou alactiques. On constate même parfois un décalage dans le temps de l’augmentation de la FC, qui survient généralement après le début de l’effort soit en post effort notamment sur des sprints de courte durée. Nous avons donc au cours de ces exercices une représentation seulement partielle de la réalité de l’activité.

Autre élément et nous en reparlerons dans un article prochainement, nous pouvons fréquemment constater qu’en vtt ou en cyclo-cross dans les parties en descente où la puissance est proche de 0 W, la FC ne diminue pas. La raison à cela est que même si l’activité mécanique sur les membres inférieurs parait stoppée car on ne pédale plus, on demeure en équilibre, les pédales à l’horizontale. La FC reste élevée car des contractions musculaires ont tout de même lieu au niveau des jambes, et le haut du corps travailler également afin de piloter le vélo.

Tout muscle en action a besoin d’oxygène pour assurer la transformation des nutriments en ATP (oxydation) et c’est grâce au système pulmonaire, à la circulation sanguine et à la pompe cardiaque que l’oxygène peut être délivré aux muscles qui se contractent.

 

FC et conditions environnementales entrent également en interaction. Faire une sortie de VTT sous une température extérieure de 20°C n’aura pas le même impact sur la FC que de rouler dans des conditions de froid ou de chaleur. Ainsi, si je préconise une séance d’endurance de base à 75% FCmax pendant 2h et 200 W et qu’il fait plus chaud que d’habitude, vous constaterez certainement que pour maintenir vos 200 W votre FC moyenne sera un peu plus élevée, 76, 77 voire 78% FCmax.

Dans le cas de température froides, la vasoconstriction des vaisseaux fait que le retour veineux est moins efficace et de fait le cœur va battre plus vite afin d’assurer un retour rapide du sang des régions éloignées du corps vers le cœur.

 

Le stress va augmenter l’activité sympathique du corps, cela signifie que des hormones vont amplifier l’activité cardiaque. Si vous êtes stressé par un entretien d’embauche, une situation conflictuelle ou tout autre chose, ne soyez pas étonné de voir votre FC plus haute qu’à l’accoutumée pour un parcours, une distance et une vitesse habituelle. Il vaut mieux parfois annuler sa séance ou alors faire une séance dite « défouloir » ayant pour seul objectif de se vider l’esprit.

L’hydratation est un élément central dans le fonctionnement du corps humain et d’autant plus chez le sportif. Une déshydratation va entraîner une augmentation de la FC et réduire les niveaux de performance. Mon conseil est de se forcer à boire une gorgée d’eau ou de produit énergétique toutes les 10 min.

Mais attention à ne pas non plus trop accentuer l’hydratation, d’autant plus si vous buvez seulement de l’eau du robinet. Se passera alors le phénomène d’hyponatrémie, qui est une baisse de concentration de sodium plasmatique, qui en cas extrême peut causer… la mort.

Donc sur vos sorties de plus de 1h30 à 70 % VO2max, pensez aussi à ingérer des boissons énergétiques afin de compenser votre perte en électrolytes et minéraux d’autant plus s’il fait très chaud.

 

 

Conclusion

Vous l’aurez compris, la FC est un indicateur de l’activité cardiovasculaire au cours de l’effort et de ce fait permet de comprendre, d’analyser et de se projeter dans notre entraînement. Retirer sa ceinture de FC à partir du moment où l’on acquiert un capteur de puissance n’est donc pas une bonne idée car les deux outils apportent des informations complémentaires.

S’entraîner avec un capteur de fréquence cardiaque est déjà un énorme pas dans la gestion et l’analyse de l’effort, donc si vous hésitez, j’espère que cet article vous aura convaincu de l’utiliser. Il vous permettra de progresser au quotidien dans votre entraînement.

La FC peut laisser apparaitre quelques faiblesses liées à la sensibilité de la réponse cardiaque aux conditions environnementales, de stress, de sommeil, d’hydratation ou d’alimentation, ainsi que lors de séances ou l’effort demandé est très intense (PMA et au-delà). Mais si vous êtes conscient de ces limites vous pourrez tirer des informations parfaitement pertinentes pour votre entraînement.

Dernière information si la FC vous intéresse on peut également suivre sa variabilité jour après jour afin de comprendre les adaptations de l’organisme à l’effort. Mais ça, ce sera pour un prochain article.

 

 

Cyril GRANIER

Docteur en sciences du sport

Entraîneur Cyclisme

Bike Fitter, Level 2 IBFI

www.cgperformance.fr

Facebook : @CyrilGranierPerformance

Instagram : cyrilgranierperformance

3 réactions à cet article

  1. J’ai remarqué plusieurs fois qu’au lendemain de séances difficiles, ma FC en footing de récupération restait plus basse qu’a l’habitude. Personnellement j’aurais tendance à expliquer cela comme étant lié à la fatigue.

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  2. Bonjour ,

    Comme il est expliqué dans l’article la F.C. qui est une espèce de boîte noire est influencé par l’intensité de l’effort , le niveau de fatigue , l’hydratation et par beaucoup de facteurs environnementaux . Votre constat d’une FC cardiaque plus basse lors du footing de récupération après une séance difficile ( mais quelle est la nature de ces séances difficiles ) peut très bien être lié à la fatigue mais il suffit d’aller légèrement plus lentement qu’un autre jour pour que cela se ressente au niveau des pulsations cardiaques. La question qu’on peut se poser est : quel est votre ressenti lors de ces footings car ce qui compte c’est votre ressenti.
    Se baser sur la seule Fréquence cardiaque ( mais ce n’est que mon avis ) pour guider l’entraînement est quelque chose de difficile et nécessite une grande maîtrise. Si le sujet vous intéresse , il y a sur le site Lepape Info un dossier sur la Fréquence cardiaque relativement exhaustif.
    Bonne continuation.
    CDT
    JCV

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    • Effectivement c’est le ressenti qui guide mon interprétation. Je me sens fatigué. Concernant l’allure du footing de récup, c’est une allure ou habituellement je me situe peu plus haut en FC. Mais il s’agit d’une différence de moins de dix pulsations par min. Disons 130 au lieu de 138
      Merci pour votre réponse

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