UTMB : DNF (did not finish)….

Jean-Marc Delorme était au départ de l'UTMB 2015. Il a été contraint de stopper son effort. Retour sur cette expérience et sur les leçons qu'il faut en tirer.

UTMB 2015

Il n’est jamais facile ni jamais très enthousiasmant d’écrire un récit de course que l’on n’a pas terminé. L’arrêt suscite toutes les interrogations qu’elles soient personnelles ou de votre entourage. Cela va de : « pourquoi as-tu arrêté ? » « blessé ? » « pas assez préparé ? ».

Il faut alors se lancer dans de grandes discussions, détailler notre abandon, expliquer les « pourquoi » et les « comment »,  se soulager,  démontrer que notre abandon n’est finalement pas tant que cela de notre faute…

Mais revenons à l’UTMB épreuve mythique de l’ultra-trail qui fait le tour du Mont-Blanc sur 170km avec 10000m de d+. J’adore cette course, c’est un peu comme courir chez moi. Ce terrain, je le connais bien, je suis très souvent à Chamonix et toutes mes préparations courses, et bien je les fais ici.

Pour cette édition 2015, après avoir finalement fait une bonne préparation, je me sens vraiment bien et même si aux yeux des autres je me réserve sur le temps que je souhaiterais réaliser, intérieurement je pense que je vais faire une très bonne course…

Un jour sans…

Vendredi 28 août 2015. Voici le jour tant attendu. Arrivé 1h30 à l’avance, je me place juste derrière le sas élite. Je ne suis pas seul, beaucoup de coureurs sont déjà là. Je m’assois, il fait très chaud  et je sens qu’il va falloir jouer des coudes dès le départ.

Le départ est enfin donné, après m’être pris quelques coups de bâtons non repliés, comme prévu, il est difficile de passer. L’allure me semble surréaliste, je me souvenais de cette allure au départ du Grand Raid de la Réunion,; 2 ans plus tôt. J’ai l’impression d’être dans le milieu de peloton. Dès les premières foulées, je me sens bizarre, mes jambes ne semblent pas être au rendez-vous, je chasse cette impression, il n’y a aucune raison, ça s’améliorera par la suite.

Les Houches (7km), je ne m’arrête pas. Me voici arrivé à St Gervais, le pointage m’indique 356ème !! Même si je sais que beaucoup de coureurs partis trop vite s’arrêteront, ce classement momentané me perturbe et, je l’avoue, influe quelque peu sur mon moral ce qui est assez rare et pas dans mes habitudes. La chaleur persiste, même avec la tombée du jour.  Je continue ma progression. Je n’ai toujours pas de bonnes sensations, je ne m’écoute pas, je maintiens ma vitesse et double une centaine de coureurs jusqu’à la Balme (39km).

J’attends avec une certaine impatience le col du Bonhomme, qui sera un peu pour moi un col test. Au début de l’ascension, je retrouve une allure qui me semble convenable mais qui très vite me demande beaucoup d’énergie. C’est sans doute la première fois que je passe le col du bonhomme sous une telle température, la chaleur est belle et bien là.

Après un faux plat que je fais en trottinant sur le bitume, puis la Ville des glaciers, je m’engage sur l’ascension du col de la Seigne (col au 60e km), et encore une fois, je n’y suis pas. Je manque d’énergie, de coordination,…. Je m’inquiète, ça ne revient pas, pourtant je suis correctement hydraté, et je m’alimente régulièrement.

Le col se termine avec peine, et il faut enchaîner avec le col des pyramides calcaires, nouvelle difficulté ajoutée cette année. Ce pierrier puise encore mon énergie, et il est aussi impossible d’utiliser les bâtons sous peine de les coincer entre deux pierres. La descente est assez technique, toujours pourvu de gros cailloux. Ma décision est prise, je ne retrouve aucune sensation, je m’arrêterai donc à Courmayeur (79 km).

Au ravitaillement du Lac Combal (66km), je retrouve par hasard, un bon coureur qui avait terminé dans les 50 premiers à la Diagonale des fous, et avec qui nous avions partagé un bon morceau sur cette course 2 ans auparavant. Cette rencontre me redonne un certain entrain et me motive pour continuer. Nous repartons en direction de Courmayeur, sur l’arrête du mont Favre, je me sens légèrement mieux.

Nous arrivons à Courmayeur, et après un arrêt de 30mn nous repartons en direction de Bertone. L’ascension se passe sans encombre malgré une montée assez raide, la chaleur commence à s’intensifier…Toujours en binôme, nous trottinons sur le sublime balcon italien du val Ferret nous menant jusqu’à Bonatti (91 km) où nous prendrons une soupe avant de nous engager dans la descente vers Arnuva. Il fait chaud, très chaud, l’ascension du col Ferret m’est très pénible, je n’avance pas, mes bras ne me tractent pas non-plus. Mon binôme m’attend au sommet et je m’entends lui dire de continuer sans moi, j’ai besoin d’un moment de pause (100 km).

Je sais dorénavant qu’il va m’être très difficile d’être dans les temps que je m’étais fixé pour faire ce tour. Je décide de redescendre jusqu’à la Fouly en marchant, où je rendrai mon dossard…

L’abandon n’est jamais simple à avaler et faire avaler.

Abandonner.

La première des choses consiste, à mon avis, à essayer d’avoir un avis objectif sur la situation. Pourquoi suis-je venu ? Pour être finisher ? Pour profiter pleinement de ce tour mythique ? Pour essayer de faire le temps que l’on a déterminé ?

Pour ma part, je m’étais fixé un temps ainsi qu’une sensation, j’aime courir à cet endroit et ressentir des choses sur des portions, des relances, descentes… que j’affectionne particulièrement. Mais ce jour-là, rien de tout cela. La poursuite de l’effort n’aurait eu comme effet qu’amonceler une fatigue importante avec la réalisation d’un chrono que je ne souhaitais pas, tout en mettant en péril la suite de ma saison.

Vient ensuite l’étape 2. L’analyse. « Pourquoi est-ce arrivé ? Que s’est-il passé ». Des questions auxquelles il faut répondre afin que cela se produise le plus rarement possible.

Pour ma part, ce fut difficile de trouver les vraies raisons. J’ai pris le temps, d’où le fait que ce récit ne puisse être publié que maintenant. Certes, c’était un jour où je n’avais pas spécialement la forme, mais ce n’était pas tout. Et il était important que je fasse cette introspection. Je dois l’avouer, cette analyse a été pour moi une véritable expérience et je pense que sa valeur doit être équivalente à celle d’une cession d’entraînement bien menée.

Comme je l’évoquais dans l’introduction ce terrain m’est très familier, trop sûrement. Je réalise maintenant que j’ai totalement négligé le coté psychologique. Je me suis entraîné à courir longtemps en montagne, dans un décor si familier et que j’aime tant, en oubliant de me préparer à lutter.  J ai occulté le fait qu’une course (un ultra-trail en particulier), est aussi dure pour les jambes que pour la tête. Je n’étais mentalement pas prêt à faire face.

La leçon est, certes qu’il faut toujours être décidé et qu’il faut toujours avoir envie d’y aller, mais aussi qu’il faut garder une part de doute, se rappeler que ce genre de course est un combat et qu’il n’est jamais facile. Lorsque je me remémore mes autres préparations, j’ai toujours visualisé les phases difficiles, ces moments où on a mal, où on a froid, où il faut gérer les « coups de moins de bien » etc… Je n’ai pas fait ce travail avant cette course.

Aujourd’hui, trois semaines plus tard, je n’ai aucun regret ni amertume concernant cet abandon, je sais pourquoi j’ai été contraint à abandonner et il me semble que mon analyse est correcte. J’espère maintenant que cette expérience, cet abandon et ce retour sur moi me permettra (du moins je l’espère) de continuer ma saison avec la même envie et la même soif d’avaler les chemins et les sentiers.

Profil-UTMB-2015

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