2h au Marathon : 1 chance sur 10 en Mai 2032

Article écrit par Cyril Schmit

À observer un marathon on se prêterait volontiers à deviner sur le résultat. Aujourd’hui plus que jamais, on cherche à prédire les performances au point d’en oublier leur composante imprévisible. Un contexte… Un athlète… Une foule… Et le record tombe. Alors plutôt que de s’évertuer à projeter une « date » pour cette fameuse barrière des 2h, ne serait-il pas plus pertinent de parler de « probabilité » de record ?

On traverse actuellement une période sportive dans laquelle le sujet de la barrière horaire des 2h du marathon attise : cette barrière est autant décortiquée (identifier le profil physiologique type), ambitionnée (record du monde actuel à +00:01:39), challengée (projet Nike sub-2h) que questionnée (Kimetto, Kipchoge, Bekele…ou la preuve par 3 de l’impossible record !). Dans ce contexte où se mêlent démarche scientifique, croyances passionnées et anecdotes argumentées, difficile de se positionner.

 

Dans les analyses du débat du marathon en 2h, l’argumentaire est essentiellement construit autour de : la préparation du sportif, sa physiologie, l’équipement, l’environnement, le parcours, le drafting, les ravitaillements, la déshydratation volontaire, la motivation, la résistance mentale, la stratégie d’allure, la massification des sports d’endurance, les limites de l’Homme. Dans ce schéma, si la barrière des 2h doit tomber, ce serait grâce à l’harmonie la plus parfaite entre ces paramètres.

 

a

 

Dans un schéma moins analytique – et probablement plus proche de la réalité historique – c’est une autre équation qui pourrait aujourd’hui faire avancer le débat. Une équation qui intègre une notion bien connue des statistiques, paris en ligne et autres modèles de prédiction : la probabilité. 

 

Effectivement, force est de constater que des records tombent par surprise et que d’autres subsistent malgré les années. D’ailleurs, ne dit-on pas que c’est quand on ne s’y attend pas que cela arrive ? La probabilité navigue le long du continuum de l’impossible < possible < probable < certain, et pourrait apporter un regard modéré tout en étant plausible sur la barrière des 2h. 

 

En particulier, derrière cette notion se cacher l’idée selon laquelle le croisement entre « timing » de la compétition (par exemple : avril 2035) et « chances » de record (par exemple : 1 chance sur 10) constitue la combinaison la mieux à-même de prédire l’événement.

 

De façon très concrète : 

– Toi : « Passer sous les 2h ? » 

– Moi : « Très peu de chances pour demain, mais probable d’ici 15 ans… » 

Vous voyez l’idée ? 

 

Une telle démarche a récemment été entreprise pour tenter de prédire dans le temps l’évolution des chances de casser la barrière des 2h au marathon. Sur la base des records officiels depuis 1950, Simon Angus (Australie) a ainsi décidé de dépasser l’idée de base visant à extrapoler une performance à partir d’un ensemble d’autres résultats (pour la raison que ce raisonnement n’implique pas l’incertitude propre aux athlètes comme aux modèles) et de s’appuyer sur ce que l’on appelle en statistique « l’intervalle de confiance ».

 

Son intention : être capable de dicter, non pas quand une valeur « attendue » serait atteinte (les fameux 2h) mais plutôt quand une valeur « particulière » serait en capacité de le faire. La différence entre les deux approches, c’est que dans le premier cas on considère une « moyenne » et dans le second une « chance de » (possibilité même infime que la performance en question soit accomplie).

 

La logique derrière cette méthode, grosso modo, c’est donc de pouvoir dire que demain ce sera plus probable qu’aujourd’hui – nous allons voir plus en détail ce qu’elle révèle. Cette logique, par ailleurs, apparaît plutôt fiable puisqu’après avoir fait tourner son modèle, Angus a trouvé que l’écart entre les performances historiques et celles qu’il avait recalculées pour le tester, était <1% (soit seulement 70’’ sur une période d’analyse de 66 ans). 

 

Voici les questions auxquelles il a tenté d’apporter des réponses.

 

 

Quand la barrière des 2h sera-t-elle franchie ?

 

D’après le modèle, le chrono de 01:59:59 aurait 1 chance sur 10 (soit une probabilité de 10%) de survenir en Mai 2032. Attention, cela ne signifie pas que cela sera le cas mais que si un départ de marathon est lancé par l’IAAF à cette date, alors il y aurait 10% de chances que la barrière des 2h tombe. 

 

b

 

Par ailleurs, trois autres conclusions se dégagent du modèle : 

– en 2018, le record du monde réalisé par Kipchoge (02:01:39, point bleu le plus bas sur le graphique) avait 1 chance sur 4 de survenir, soit une probabilité de 25% ; 

– la barrière des 2h (3e point noir) avait, pour sa part, une probabilité de ~2% d’être franchie, soit 1 chance sur 50.

– enfin, le record des 2h serait d’ores-et-déjà réalisable (avec ~3% de chance, certes).

 

c

 

 

Quelles sont les limites de la performance humaines ?

 

À cette seconde question, Angus a répondu pour les hommes comme pour les femmes. Aux premiers, le modèle associe l’idée qu’un temps limite de 01:58:55 aura 1 chance sur 10 d’être réalisé un jour (cercle bleu ci-dessous). Et ainsi de suite en diminuant : <5% de chances pour 01:57 00, <1% pour 01:56:00, etc. Pour les femmes, la probabilité de 1 sur 10 s’applique à la barrière horaire de 02:05:31 (cercle rose).

 

d

 

Deux autres éléments se dégagent de ces graphiques :

– comme on le voit sur celui des hommes (cercle gris), au final, il n’y aurait « que » 50% de chances de casser la barrière des 2h. Cela signifie que les probabilités annoncées plus haut, même si elles vont en augmentant avec les années, finiront finalement par tutoyer cette limite (selon le modèle) ;

– chez les femmes, la barrière des 2h serait aussi bel et bien envisageable (!) mais, dans le meilleur des mondes, resterait extrêmement improbable puisque seulement prédite à hauteur de 1% de chance (cercle gris).

 

À quel point le recordman du monde est-il éloigné de la performance ultime ?

Si l’on considère les prédictions du modèle, basées sur un record actuel à 02:01:39 et une asymptote (limite de la progression humaine) à 01:58:55, alors le gap serait de 3’34’’ soit 2,9%. C’est plus encore que la projection réalisée par JC Vollmer (à lire ici), et donc largement discutable. Pour se faire une idée plus précise, abaisser d’un tel écart le record d’Usain Bolt sur 100m reviendrait à le faire passer de 9’’58 à 9’’30… Mais qui sait ?

 

Article écrit par Cyril Schmit

Réagissez