Roger Bannister : Le 1er Homme à courir le Mile en moins de 4 min !

Nous souhaitions rendre hommage à Roger Bannister décédé le 3 Mars 2018 à l'âge de 88 ans. Retour sur son histoire, sa carrière, son entraînement et son incroyable mile sous les 4 minutes.

De 1940, aux années 1950, les compétitions sur 1500 m et le mile ont été outrageusement dominées par les suédois (épargnés par leur positionnement de neutralité des affres de la guerre) et la perspective des 4’ au mile n’est pas plus une utopie mais alors une performance qui semble une évidence.

Les 2 rivaux suédois Gunder Hägg et Arne Andersson ont en effet amélioré à plusieurs reprises le record de l’anglais Wooderson (4:06.4 en août 1937) le portant d’abord à 4:06.1 avec Hägg, puis à 4:06.2 et 4:06.1 avec Andersson en juillet 1942, puis Hägg le reprendra en septembre 1942 avec un chrono de 4:04.6. En juillet 1943, Andersson lui fera faire un bond de 2 secondes, l’amenant à 4:02.6, il le descendra l’année suivante le 18 juillet 1944 à 4:01.6 dans une course au cours de laquelle Hägg finira 2ème  en 4:02. Une année plus tard, à un jour près, c’est Hägg qui aura le dernier mot avec un record du mile amené à 4:01.3.

Les jours de cette barrière de 4’ au mile semblent comptés, mais la période post-seconde guerre mondiale marquera une régression du niveau de performances. Le premier à approcher à nouveau la vieille marque de Hägg sera le belge Gaston Reiff (champion olympique du 5000 m en 1948 et premier homme à courir sous les 8’ au 3000 mètres) avec un chrono de 4:03.4 en aout 1952 avant qu’en décembre 1952, un australien quasi inconnu (éliminé en série des JO) John Landy n’attire l’attention avec un remarquable 4:02.1 à Melbourne. Cette performance va relancer les tentatives pour briser le mur des 4’.

 

 

La carrière de Roger Bannister

 

Qui est Roger Bannister ?

 

Roger Bannister, jeune, courait partout et tout le temps car pour lui c’était plus simple de courir que de marcher. Talentueux, il va gagner les épreuves de cross-country de son école 3 années de suite de 12 à 14 ans. Mais c’est en 1945 qu’il décide de devenir coureur et lorsqu’il commence ses études de médecine à Oxford à l’automne 46, il n’a encore jamais mis de pointes et couru sur une piste.

Son entraînement à ses débuts consistait à une séance d’une demi-heure par semaine et un cross de 12 kilomètres. En mars 1947, il va s’imposer en 4:30.8 lors du traditionnel match universitaire contre Cambridge puis avec un volume d’entraînement en augmentation (3 à 4 x ½ heure par semaine), il va courir en 4:24.6 en juin.

Grand par la taille (1m87 pour 68 kg) Bannister, talent prometteur, est pré-sélectionné pour les jeux de Londres en 1948 mais il va décliner cet honneur car ne se sentant pas prêt physiquement et mentalement. En 1948, il va améliorer ses chronos sur le mile avec 4:17.2 et regardera en spectateur les jeux de Londres (victoire sur 1500 m du suédois Erikson en 3:49 .8 qui bat à cette occasion pour la 1ère fois Strand) qui vont l’inspirer pour devenir un grand miler.

« De nouveaux objectifs doivent être fixés et des programmes d’entrainement plus vigoureux engagés, il y a 4 ans à attendre pour saisir ma chance à Helsinki ».

Au début des années 50, c’est la méthode suédoise avec le fartlek de Gosse Holmer qui tient le haut du pavé au niveau des méthodologies d’entraînement mais influencé par l’entraînement de Zatopek, des formes « d’interval training » vont surgir et permettre une nouvelle progression. C’est dans ce contexte que Bannister, coureur, doué mais aussi brillant étudiant à Oxford entame sa progression.

En 1949, il montre ses qualités de vitesse avec un 1:52.7 sur un 880 yard puis comme capitaine de l’équipe mixte Oxford – Cambridge va faire une tournée aux USA qu’il conclue avec 2 victoires en 4:11.4 et 4:11.9. A 20 ans c’est plus qu’un simple espoir.

En automne, il intègre le fartlek dans son entraînement mais s’entraîne toujours légèrement en raison de ses examens en médecine ce qui freine sa progression. En juillet 1950, il ne court qu’en 4:13 mais avec un dernier tour incroyable en 57.9, il commence à développer ce qui sera son arme favorite : son finish dévastateur.

Lors des championnats d’Angleterre, il réalise 1:52.1 au 880 yards puis termine 3ème aux championnats d’Europe à berne sur 800 mètres en 1:50.7; Il décide qu’il doit s’entraîner plus pour son objectif : les JO de 1952.  Fin décembre, il améliore son chrono avec 4:09.9 en battant le redoutable hollandais Slykhuis puis il va s’entraîner durement pendant 3 mois réalisant 5 à 10 miles (8 à 16 kilomètres) d’interval training, 5 jours par semaine, réalisant lors d’un test chronométré, 2:56.8 sur 1200 mètres.

10 jours plus tard, il rencontre Fred Wilt et Gehramnn, deux coureurs avec de meilleures chronos que le sien lors des Penn Relays. C’est une course qui démarre lentement avec 62.8 au 440 yards et 2:06.4 au 880 yards puis Roger Bannister prend la tête et passe au ¾ mile en 3:11.6. Avec un dernier tour en 56.7, il impressionne les 40 000 spectateurs et laisse ses adversaires à 10 mètres l’emportant en 4:08.3.

« Je sais au vu de ma fin de course rapide que je suis capable d’approcher les 4:05 au mile. »

Avec son court passé de coureur, son entraînement modeste et sa philosophie d’entraînement (garder une grande fraicheur pour la compétition) il ne peut participer à beaucoup de courses et tenir une longue saison. A l’approche de la course la plus importante de la saison, les championnats AAA à White City, il est contrarié car il sait qu’il n’est pas au mieux, ayant trop couru et voyagé. Il va pourtant l’emporter à la lutte en 4:07.8 (meilleur temps mondial 1951 sur mile) devançant le champion d’Angleterre en titre Bill Nankeville (4:08.6) et John Parlett (4:09.2) le champion d’Europe 1950 du 800 mètres. Il dira : « Je n’ai jamais été aussi épuisé ».

Il va arrêter l’entraînement pendant 5 semaines et fin août, il va s’incliner face au yougoslave Andrija Otenhajmer sur 1500 m en 3:48.4 (son record) contre 3:47.0 pour son vainqueur qui brise son invincibilité de l’année. Au bilan mondial de fin d’année, il est 1er sur mile mais seulement 6ème sur 1500 m devancé par Lundqvist (sue.) 3:44.8, Olle Aberg (sue.) 3:45.4, Otenhajmer (you.) 3:47), Iimari Taipale (fin.) 3:47.8 et Patrick El Mabrouk (fra.) 3:48.2.

roger bannister

Aucun favori ne se dégage pour le titre olympique tellement la densité sous les 3:50 sur 1500 m ou 4:09 sur mile est importante avec 25 coureurs.

Dans le cadre de sa préparation pour les Jeux Olympiques, Bannister crée le trouble en Angleterre car après sa brillante saison 1951, il ne participe à aucune compétition. Mais fidèle à son plan, il s’entraîne quotidiennement ½ heure durant l’hiver, à l’exception d’un mois d’arrêt pour une blessure à la jambe et il garde son énergie pur Helsinki. Sa première course sera un 800 m fin mai en 1:53 puis un mile en solitaire en 4:10.6. Si Bannister est satisfait de ses séances, personne en Angleterre n’est d’accord avec sa stratégie. Aux championnats d’Angleterre il va s’imposer sur 800 m en 1:51.5 délaissant le mile.

10 jours avant les jeux, Bannister se teste sur un ¾ mile. Les tours sont courus en 58.5, 57.5 et 56.9 pour un formidable 2:52.9. Sa confiance est à son sommet car il pense que ce chrono équivaut à un mile en 4’. Mais l’annonce qu’il y aura aux Jeux Olympiques des séries, des demi-finales avant la finale est une mauvaise nouvelle pour lui 

 « J’ai su que ce changement allait m’impacter plus que les autres compétiteurs, la plupart s’étant entrainés 1 heure par jour avec des séances d’interval training très dures. Avec 3 courses, leur entraînement plus consistant leur donne un avantage »

 

La finale olympique à Helsinki :

 

C’est l’allemand Lueg qui mène (un lièvre pour Lueg ?) en 57.8 puis ralentit pour passer en 2:01.4 puis Lueg prend la tête pour passer en 3:03 aux 1200 mètres. Les positions ne bougent pas jusqu’à l’entrée de la ligne droite ou Lueg possède toujours 3 à 4 mètres d’avance sur Barthel mais alors qu’il commence à se crisper et qu’on s’attend à voir surgir Bannister, c’est Le surprenant luxembourgeois Josy Barthel, entraîné par Waldemar Gerschler qui va l’emporter dans un rush final devant Mc Millen. Bannister, jamais bien placé, la tête en extension, fatigué par un troisième tour rapide suivi d’un dernier tour de feu n’a pas les réserves pour s’imposer. Barthel grâce à un dernier 300 m en 41.7 l’emporte en 3:45.28, devant l’américain McMillen en 3:45.39, l’allemand Lueg 3:45.67 et Roger Bannister 4ème en 3:46.30 qui devance El Mabrouk 5ème en 3:46.35, tous établissant un nouveau record national.

 

L’année 1953 et les premières tentatives contre le mur des 4’

 

Dès 1953, ils seront 3 à avoir cette obsession et à tenter d’y arriver le premier.

Aux antipodes le jeune John Landy, aux Etats Unis le formidable Wes Santee et un jeune britannique, brillant étudiant de médecine d’Oxford, 4ème aux JO d’Helsinki sur 1500 m, Roger Bannister.

Après son échec olympique et avoir réfléchi pendant 2 mois à la suite à donner à sa carrière athlétique, il se fixe un nouvel objectif, celui d’être le premier à battre le mur des 4’.

La bataille à distance fera rage et à l’époque, passionnera le monde de l’athlétisme.

Si Landy s’inflige un entraînement féroce, mélange des méthodes de Cerrutty et de Zatopek, Bannister qui ne dispose que de peu de temps pour s’entraîner avec une demi-heure quotidienne 5 jours par semaine décide lui aussi d’intensifier son programme par un travail de type interval – training particulièrement dur afin de pouvoir s’attaquer au mur des 4’ à Oxford, tentative programmée le 27 juin.

Dans l’attente de l’évènement, il va battre le record britannique le 2 mai, emmené par Chris Chataway (61.7, 2:04.1, 3:05.2) en 4:03.6., battant son record de 4 secondes. Roger Bannister dira : « Cette course m’a conforté dans l’idée que qu’atteindre 4’ au mile n’était pas hors de portée. »

Aux USA, Wes Santee (1m86 et 64 kg) va répliquer avec un mile en 4:02.4 (1er tour en 62.7, le passage au deuxième en 2:05.1, un phénoménal 3ème tour (pour l’époque) en 58.2 et un dernier tour en 58.9.

Le 27 juin 1953, sur la fameuse piste du Motspur Park dans le cadre d’un meeting scolaire, Bannister se lance dans une tentative secrète contre le record du mile aidé par Chris Brasher, un ami étudiant, 11ème lors des jeux de 1952 et l’australien MacMillan établi maintenant en Angleterre.

MacMillan mène le 1er tour en 59.7, puis 1:59.7 à mi-course. Plus de 5 seconde d’avance sur les temps de Wes Santee. Bannister doit prendre la tête plus vite que prévue et passe en 3:01.8 au ¾ mile pour finir avec l’aide de Brasher qui après avoir trottiné 2 tours en 3’ l’a attendu pour l’aider dans le 3ème tour. Bannister finit en 4:02 dans une course controversée quant à son déroulement (3 partants, 1 lièvre doublé). Bannister ne fera pas de nouvelle tentative mais gagnera les championnats d’Angleterre en 4:05.2 puis il bat avec ses partenaires (Chataway, Bill Nankewille et Don Seaman) le record du monde du 4 x 1 mile en 16 :41.

Le 12 décembre 1953, à Melbourne, là même où il avait réalisé 4:02.1 en 1952, John Landy (1m82 pour 69 kg) se met en piste pour une course en solitaire, sans lièvre, qu’il gagne avec 200 yards d’avance en 4:02. Passé en 3:00.2, il va faiblir sur la fin. Les observateurs locaux estiment qu’il peut réaliser avant la fin de la saison australienne entre 4:01 et 3:56. Le décor est planté ! Trois prétendants. Mais qui sera l’élu ?

 

 

 

L’année 1954

Landy va continuer sur sa lancée et courir en 4:02.4 en janvier, avec un 3ème tour gâché par un 61.9 puis en février à nouveau 4:02.6 puis une nouvelle fois par une belle journée de Pâques à nouveau 4:02.6 sur une piste en herbe. Son 6ème chrono sous les 4:03 en 16 mois.

Landy est proche du but !

De l’autre côté de l’atlantique Wes Santee, que son coach à l’université voit en 3:57/3:58 avant la fin de saison attaque avec un mile en relais en 4:02.6 puis quelques jours plus trad 4:04.9 en indoor (piste de 220 yards). Mais ses nombreuses courses individuelles et relais auxquelles il doit participer au printemps dans le système universitaire ne lui permettra pas de faire mieux que 4:03.1 à Kansas City par une température caniculaire et un 3ème tour en 63.3 qui annihile tous ses efforts.

 

 

Le 6 mai 1954 et la barrière des 4 minutes

 

Fin 1953, la bande d’Oxford (Bannister, Brasher, Chataway) prend conseil auprès de l’entraîneur Franz Stampfl, un autrichien qui a fui le régime nazi avant la guerre). Si Stampfl a conseillé Bannister et lui a beaucoup apporté sur l’approche mentale, Bannister a toujours été son propre coach.

Voici d’après Ross Mc Whirter, confident, chauffeur, chronométreur le détail de l’entraînement de Bannister fin avril avant sa tentative du 6 mai 1954.

12 avril : 7 x 880 yards avec 3 minutes de récupération entre chaque répétition, le tout en 33 minutes.

14 avril : test d’allure sur ¾ mile en 3:02.0 (61, 61, 60)

15 avril : test d’allure sur 880 yards (en solitaire) en 1:53.0

16 avril : escalade en Ecosse

22 avril : 10 x 440 yards, temps moyen 58.9 avec le premier et le dernier en 56.3

24 avril : test d’allure sur ¾ mile avec Chataway en 3:00.0

26 avril : ¾ de mile en 3:14 récupération 8’ puis ¾ de mile en 3:08.6

28 avril : ¾ de mile en solitaire en 2:59.9  

30 avril : test d’allure sur 880 yards en 1 :54

1er mai : Repos

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Le 6 mai dans le petit stade d’Oxford rempli de 1200 spectateurs, jeunes lycéens et étudiants, le temps n’est pas au rendez-vous, les nuages sont menaçants, une petite pluie est tombée et surtout le vent souffle fort. Faut-il courir, annuler ? Nos trois amis votent : Bannister vote non, Brasher n’a pas d’avis et Chataway veut courir. Ils demandent au juge de repousser le départ, il refuse. Peu avant l’heure prévue, le vent se calme, un rayon de soleil perce et sous un mince arc en ciel, il y a un nouveau vote. Bannister vote toujours contre mais les 2 coéquipiers votent pour.

Bannister dit ok, on y va et se rend sur la ligne de départ. 6 seront au départ de ce mile qui deviendra historique.

Le départ est donné, Brasher prend résolument la tête et passe en 57.4 au 1er quart de mile puis 1:58 à mi-course. Rien d’exceptionnel. Puis Chataway qui avait suivi Bannister comme son ombre, le double, dépasse Brasher qui s’arrête, pour prendre la tête et relancer l’allure pour passer en 3:00.4 au ¾ de mile avec Bannister dans sa foulée. D’autres coureurs sont passés plus vite et pourtant ils ont échoué sur les 4’. Il y a un an, Bannister avait terminé un mile avec un dernier tour en 58.6 mais après un passage en 3:05.0. Alors peut-il faire 59.4 dans son dernier tour. Chataway fait un travail extraordinaire amenant Bannister jusqu’à 220 yards de l’arrivée moment que Bannister choisit pour mettre de la puissance dans ses appuis et s’envoler, de son ample foulée vers l’arrivée, tirant de de toute sa force sur ses bras. Son ami, Ross qui l’a si souvent chronométré à l’entraînement, le prend en 3:43 au 1500 mètre et il sait, il sait que le record va tomber.

La ligne droite est magnifique, il y a un monde fou sur la ligne d’arrivée l’arrivée, Bannister se jette sur la ligne et c’est la cohue. Epuisé, Bannister est soutenu par un officiel et son conseiller Franz Stampfl. Le public est hystérique, Bannister manque d’air, enveloppé par la foule de supporters dans l’attente du résultat officiel.

Les chronométreurs se concertent et confrontent leurs chronos puis donne un bout de papier au speaker qui très solennellement annonce :

 » Mesdames et messieurs. Vous avez maintenant le résultat de la course numéro 9, le mile. Premier, dossard 41, R.G. Bannister, de la fédération amateure d’athlétisme, et ancien des collèges d’Exeter et Merton, avec un temps qui est un nouveau record du meeting et de la piste, et, qui sous réserve de ratification, va être un nouveau record d’Angleterre, record britannique, d’Europe du Commonwealth et du monde. Le temps est de trois minutes …. Le reste se perdra dans la clameur et les rugissements des spectateurs cinquante neuf secondes et 4 dixièmes. »

3:59.4. Le mur est tombé lors d’une course magnifiquement préparée et exécutée au niveau des allures. Si Bannister est le héros, rien n’aurait été possible sans le sacrifice de ses 2 partenaires : Chris Brasher (champion olympique du 3000 m steeple deux ans plus tard à Melbourne) et Chris Chataway (qui battra le record du monde du 5000 mètres en 1955 en 13:51.6).

Gerschler, l’entraîneur d’Harbig dira : « C’est la plus audacieuse avancée dans les régions inexploitées de l’efficience humaine ».

Josy Barthel, son élève, le champion olympique du 1500 m à Helsinki regarde avec enthousiasme le futur : « Maintenant qu’on sait que c’est possible, les coureurs vont être moins stressés par l’ampleur de la tâche. Je pense que d’autres vont faire moins de 4’ au mile cette saison. Roger mérite plus que tout autre. Il adore courir. C’est une leçon pour chaque athlète. Le travail dur paie, parler ne suffit pas ».

L’interminable quête de l’impossible est terminée.

Et maintenant que la brèche est ouverte que va-t-il se passer ?

Dès le 29 mai, l’américain Wes Santee court en 4:01.3 puis le 4 juin à Compton, le record semble lui tendre les bras après être passé en 2:59.0 au ¾ mile et avoir battu au passage le record du monde du 1500 m en 3:42.8, il s’écroule sur les 109 mètres (17.8) pour finir en 4:00.6. Puis le 11 juin, dans une nouvelle tentative, il termine en 4:00.7.

Landy, l’australien, lui est arrivé en Europe, fin avril pour se préparer à Turku, la patrie de Nurmi en Finlande. Le 31 mai, sur la piste en cendrée de Turku, très souple et dont il n’est pas familier (en Australie la plupart des pistes sont en herbe), il s’attaque au record de Bannister. Mais parti trop vite (56.4 au ¼ de mile) il va encore conserver 2 secondes d’avance sur le temps de passage de Bannister (2:58.2) au ¾ de mile mais va chèrement payer cette impétuosité avec un dernier 440 yards en 63.4, il termine en 4:01.6, nouveau record personnel. 8 jours plus tard à Stockholm, avec une répartition d’allure plus régulière (59.5, 60, 61,5) il va réaliser 4:02.8. Est-il condamné à échouer.

Le 21 juin, 2ème tentative à Turku, dans des conditions parfaites (25°c emmené par un jeune coureur local, Kallio, Landy va passer en 58.5, prenant la tête avant les 880 yards (passage en 1:58.7), son 3ème tour progressivement accéléré (29.3, 28.8) lui ouvre les portes du paradis. Chataway est encore dans sa foulée au ¾ de mile (2:57.2 pour Landy et 2:57.5 pour Chataway) qui va perdre progressivement du terrain sur la foulée toute en fréquence mais économique de Landy qui bat au passage du 1500 mètres le record du monde en 3:41.8 et s’envole vers un nouveau record du monde en 3:58.0 abaissant sa performance de 3.6 secondes. Chataway terminera second en 4:04.4.

Apprenant la nouvelle Bannister dira : 

« Pendant quelques minutes j’ai été choqué. La marge de 1,4 seconde avec laquelle il a battu mon record est bien supérieure à tout ce que je craignais. Jusqu’à cette annonce, j’étais plutôt tranquille avec mon entraînement et pas trop motivé pour courir. Quand j’ai appris la nouvelle mon attitude a changé du tout au tout ».

Alors que Landy poursuit une tournée européenne fructueuse (3ème temps mondial sur 2 miles et 2:20.9 sur 1000 mètres à 1 dixième du record de Mal Whietfield, Bannister a successivement perdu sur 800 mètres face au tchèque Stanislas Jungwirth, puis participé à des compétitions corporatistes avec son hôpital, mais il a montré une classe intacte en gagnant les championnats d’Angleterre en 4:07.6 avec un dernier tour ravageur en 53.8, du jamais vu !

La confrontation qui décidera de la suprématie entre les 2 milers aura lieu lors des Jeux de l’Empire Britannique et du Commonwealth à Vancouver à partir du 5 août 1954. Les journalistes parlent de Mile du millénaire

 

 

Le mile du millénaire ?

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L’affrontement du « finisseur » Bannister contre le « meneur » Landy va prendre, grâce à la retransmission télévisuelle, une dimension planétaire extraordinaire. Bannister remporte sa série en 4:08.4 dans une course ou un coéquipier de Landy a mené grand train et Landy la sienne en 4:11.4.

La finale : dès les 300 yards, Landy se porte en tête et passe en 58.2 au 1er tour, suivi à 5 yards par Bannister qui déploie sa belle et longue foulée, avec son mouvement de bras si particulier, bassin légèrement en antéversion. Landy creuse l’écart, aux 880 yards il mène de 10 yards (1:58.2 contre 1:59.6) mais le 2ème tour a été moins rapide. Landy, de sa foulée toute en fréquence et puissance continue sur le même rythme (60.2) jusqu’au ¾ de mile mais Bannister, qu’on ne sent jamais en panique, a fait un tour en 59 et est revenu dans la foulée de Landy. Jamais Bannister n’est passé aussi vite au ¾ de mile. Landy a-t-il réussi à émousser sa pointe de vitesse ? Landy pousse, cherchant à lâcher Bannister. Le duel est épique jusqu’à l’entrée de la ligne droite où Bannister porte une accélération qui laisse Landy, regard affolé, sur place. Bannister lui prend quelques yards qu’il va garder jusqu’à la ligne d’arrivée qu’il franchit totalement épuisé et s’écroule avant d’être porté par un officiel.

Bannister gagne le duel des géants en 3:58.8 (mieux que son ancien record du monde) devant Landy 3:59.6.

 

 

En l’honneur de cette course de légende une statue de commémoration (The Miracle Mile) représentant le duel Bannister, Landy sera érigée à Hastings Park.

1954 sera une année faste pour Bannister qui va encore remporter les championnats d’Europe en s’imposant magistralement par une dernier 400 mètres en 54.7 devant le suédois Nielsen, le tchèque Jungwirth.

En fin d’année, l’annonce de fin de carrière de Bannister, qui veut se consacrer à sa carrière médicale, ne surprendra personne.

Mais l’histoire du mile sera loin d’être finie car d’autres audacieux et téméraires briseurs de barrière vont successivement amener ce record vers sa marque actuelle (sa limite probable), les 3:43.13 d’Hicham El Guerrouj le 7 juillet 1999 à Rome.  

Si Roger Bannister qui n’aura jamais été champion olympique fait partie des monuments de la course à pied au même titre que Nurmi, le finlandais volant ou Zatopek la locomotive tchèque c’est parce qu’il a, le premier, franchi une barrière longtemps considérée comme infranchissable.

Bannister efface la barrière des 4’ en 1954, il ne faut jamais oublier le contexte de l’époque, le statut amateur des athlètes, la qualité des pistes, des équipements avec des chaussures à clous que chaque coureur actuel refuserait de porter mais surtout un entraînement qui serait actuellement qualifié de …ridicule.

Qu’aurait pu réaliser 60 ans plus tard, un coureur talentueux comme Bannister avec un entraînement moderne ?

Pour vous permettre d’appréhender cette question, voici le plan type proposé par Stampfl pour faire 4’ au mile (3:43 au 1500m). 

 

 

Entraînement selon Franz Stampfl (le conseiller de R. Bannister l’année de son record)

 

Entraîneur de Chris Chataway, Chris Brasher puis entraîneur national Australie où il formera de nombreux champions dont Ralph Doubell, le champion olympique du 800 m de Mexico.

Semaine type à répéter chaque semaine du mois.

Séances destinées à un coureur visant 4’ au mile.

 

Novembre

1er jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’10 avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

2ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 5 miles facile sur la piste. Exercices physiques généraux

3ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’10 avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

4ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 6 x 880 yards en courses de « répétition » en 2’20 avec 10’ de récupération. Retour au calme

5ème jour : entraînement en salle, préparation physique, musculation, gymnastique

6ème jour : 6 à 8 miles (10 à 13 kilomètres) fartlek en nature

7ème jour : repos

 

Décembre

 

1er jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’08 avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

2ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 6 x 880 yards en courses de « répétition » en 2’16 avec 10’ de récupération. Retour au calme

3ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’08 avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

4ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 4 x 3/4 mile en courses de « répétition » en 3’35 avec 10’ de récupération. Retour au calme

5ème jour : entraînement en salle, préparation physique, musculation, gymnastique

6ème jour : 8 à 10 miles (13 à 16 kilomètres) fartlek en nature

7ème jour : repos

 

Janvier

 

1er jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’06 avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

2ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 15 x 100 yards sprint rapide. Retour au calme

3ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 6 x 880 yards en courses de « répétition » en 2’12 avec 10‘ de récupération entre chaque répétition. Retour au calme

4ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 4 x 3/4 mile en courses de « répétition » en 3’35 avec 10’ de récupération. Retour au calme

5ème jour : entraînement en salle, préparation physique, musculation, gymnastique

6ème jour : 8 à 10 miles (13 à 16 kilomètres) fartlek

7ème jour : repos

 

Février

 

1er jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’04 avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

2ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 150 yards de sprint en 18 secondes, récupération 2’ à 3’ entre les répétitions

3ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 6 x 880 yards courses de « répétition » en 2’10 avec 10’ de récupération. Retour au calme

4ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 4 x ¾ mile en courses de « répétition » en 3’25 avec 10’ de récupération. Retour au calme

5ème jour : entraînement en salle, préparation physique, musculation, gymnastique

6ème jour : 5 à 8 miles (8 à 11 kilomètres) fartlek en nature

7ème jour : repos

Mars

 

1er jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’02 avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

2ème jour : 20’ échauffement, puis 6 x 880 yards courses de « répétition » en 2’08 avec 10’ de récupération. Retour au calme

3ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’02 avec 2’ à 3‘ entre chaque. Retour au calme

4ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 4 x 3/4 mile en courses de « répétition » en 3’20 avec 10’ de récupération. Retour au calme

5ème jour : entraînement en salle, préparation physique, musculation, gymnastique

6ème jour : 5 à 8 miles ( 8 à 11 kilomètres) fartlek en nature

7ème jour : repos

Avril

 

1er jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’/ 1’01 avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

2ème jour : 20’ échauffement, puis 5 x 880 yards courses de « répétition » en 2’06 avec 10’ de récupération. Retour au calme

3ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’/1’01 avec 2’ à 3‘ entre chaque. Retour au calme

4ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 4 x 3/4 mile en courses de « répétition » en 3’15 avec 10’ de récupération. Retour au calme

5ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’/ 1’01 avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

6ème jour : 4 à 5 miles (6 à 8 kilomètres) fartlek en nature

7ème jour : repos

 

Mai

 

1er jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’ avec 2’30 à 3′ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

2ème jour : 20’ échauffement, puis 5 x 880 yards courses de « répétition » en 2’04 avec 10’ de récupération. Retour au calme

3ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’ avec 2’ à 3‘ entre chaque. Retour au calme

4ème jour : 20’ échauffement,

5ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’ avec 2 ’30 à 3 ‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

6ème jour : 3 à 5 miles (5 à 8 kilomètres) fartlek en nature

7ème jour : repos

 

Mai 2ème semaine

 

1er jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’ avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

2ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’ avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

3ème jour : 20’ échauffement

4ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis test sur 3/4 mile, cible 3’ puis retour au calme

5ème jour : 30’ échauffement,

6ème jour : 3 à 5 miles (5 à 8 kilomètres) fartlek facile en nature sur parcours plat

7ème jour : repos

 

Entrainement entre des compétitions hebdomadaires

 

1er jour : 30’ course lente sur pelouse,

2ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’05 avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

3ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards en 1’02 avec 2’30 à 3‘ récupération 1 tour de piste. Retour au calme

4ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos 5 x 880 yards courses de « répétition » en 2’06 avec 10’ de récupération. Retour au calme

5ème jour : 30’ course facile piste ou nature,

6ème jour : repos

7ème jour : course

 

Préparation pour une compétition principale dans 10 jours

 

1er jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 8 x 880 yards en course de « répétition » en 2’ avec 10‘ de récupération entre chaque répétition. Retour au calme

2ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos puis 10 x 440 yards sous forme d’interval training en 1’ ou légèrement en dessous avec 2’30 à 3‘ de récupération pour 1 tour de piste. Retour au calme

3ème jour : 20’ échauffement, 5 repos puis test sur ¾ de mile sur une base de 3’ puis retour au calme

4ème jour : 20’ échauffement, 5’ repos

5ème jour : 30’ échauffement, puis course test sur 1 x 880 yards (1:54 ou en dessous). Retour au calme

6ème jour : 20’ échauffement puis test sur ¾ de mile sur une base de 3’ puis retour au calme

7ème jour : repos

8ème jour : repos

9 ème : repos

10ème jour : repos

11ème jour : compétition

 

Quelques lectures :

 

The Four-Minute mile
Roger Bannister
The Lyons Press 1955
The First Four Minute Mile
Roger Bannister
Puttman 1955
Twin Tracks : The Autobiography
Roger Bannister
Robson Press 2014
3 :59.4 : The Quest to Break the 4 minute mile
John Bryant  
Arrrow 2005
The Perfect Mile. Three athletes, On Goal and less than Four Minutes to Achieve It.
Neal Bascomb.
Mariner Books 2004
3 :59.4 The Quest For The Four-Minute Mile
Bob Philipps 
Chequered Flag Publishing 2015
Franz Stampfl On Running.
Franz Srampfl
Tactics and complete training schedules for all events from the sprint to the 10000 metres.
Herbert Jenkins Limited 1955
The Landy Era . From Nowhere to the top of the word
Len Johnson
Melbourne Books 2009
 

3 réactions à cet article

  1. Merci beaucoup à Monsieur pour cette article très complet

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  2. Aujourd’hui chez nous les gens préfèrent les voitures et les motos dommage.La course à pied est devenue un sport secondaire, j’espère que les mentalités changent et qu’un maximum de personnes se mettent à courir.

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  3. Tout est possible

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