Choisir ou subir : la question de la lucidité au cours de l’effort

La capacité à décider lucidement, c’est-à-dire en "pleine conscience", est une problématique omniprésente dans la vie quotidienne, devenant même source d’enjeux pour les entreprises. Comment celle-ci évolue-t-elle dans le cadre d'un effort physique ? Et, quand bien même nous deviendrons moins lucide avec la fatigue, comment améliorer alors notre habileté à maintenir notre qualité décisionnelle à l’instant T. Éléments de réponse.

Triathlon La Baule - Distance S - 2015

Alors que les résultats de laboratoire démontrent avec consistance les bénéfices liés à l’exercice physique chronique sur la santé mentale (ex : moindre déclin des capacités cognitives avec l’âge), les recherches liées aux effets de l’exercice aigu sur le fonctionnement cognitif sont bien moins conclusives.

En sciences du sport, il est commun d’observer des différences de performances cognitives selon la complexité d’une opération à résoudre (mémoriser, calculer, anticiper, s’adapter, etc.), selon l’intensité d’exercice, le degré d’entraînement de l’individu, son niveau de fatigue, d’hydratation ou encore l’environnement thermique. En d’autres termes, le potentiel à choisir vite et bien est non seulement personnel, mais il n’est surtout jamais deux fois le même au cours de l’effort.

 

Qu’advient-il concrètement de nos performances cognitives ?

En fait, il semble que la capacité à préserver sa lucidité soit d’abord améliorée à l’exercice. Cela signifie qu’en début d’épreuve, le même choix technique ou tactique (réajustements de la foulée, de l’amplitude de nage, porter une attaque ou réactivité à une relance) peut être opéré plus rapidement et plus judicieusement.

Puis, en raison du stress croissant subi par l’organisme (accumulation de chaleur interne, épuisement des stocks d’énergie, traumatismes musculaires, etc.), l’amélioration cognitive remarquée initialement se dissipe peu à peu. L’individu devient plus impulsif, plus « automatique » : on observe des réactions plus longues, mais souvent encore bonnes. La partie frontale du cerveau accumule alors trop d’informations en provenance du corps pour parvenir à maintenir son efficacité décisionnelle sur une tâche concurrente.

Si l’effort se poursuit alors, logiquement, c’est un déclin cognitif qui est observé. La capacité à réguler ses émotions / son comportement baisse : c’est souvent ce qui explique les mauvais gestes, quelques blessures et une large partie des performances en endurance. En effet, on sait aujourd’hui que les individus dont la résistance mentale / l’intelligence émotionnelle est la plus forte sont aussi ceux qui encaissent le plus les contraintes que supposent une performance. D’où l’adage « entraînement difficile, compétition facile ».

Notez d’ailleurs que cette dynamique est soumise à des accélérateurs et des inhibiteurs. Par exemple, plus il fera chaud ou plus vous aurez faim à l’entame de votre effort, plus la vitesse d’apparition de votre déclin cognitif » sera grande. Ainsi, si le moment d’apparition de ce déclin est propre à chacun, les effets d’un tel phénomène délétère sont, eux, connus de tous.

 

Quel impact le jour de l’épreuve ?

De façon anecdotique, notre expérience nous rappelle les moments-clé de nos compétitions : ceux-là même où la différence s’est faite par rapport aux autres compétiteurs. Certes, ces moments renvoient parfois à de meilleures qualités physiologiques (ex : tenir une puissance donnée plus longtemps). Mais ces moments font aussi fréquemment écho à des décisions tactiques lumineuses (ou, à l’inverse, à des comportements inexpliqués ! ). Par exemple, une bonne lucidité peut s’observer lors de transitions en triathlon (manipulation du matériel), de choix tactiques (anticipation du reste de l’épreuve), de sprints (maintien de l’efficacité technique). À l’inverse, une perte de lucidité peut s’illustrer dans des fautes de parcours en trail (rêveries ponctuelles), au travers d’une baisse de cadence de pédalage ou des oublis d’alimentation.

 

Quelles solutions le jour J ?

Une fois la course lancée, la première idée sera donc de savoir quand choisir d’être attentif et quand ne pas l’être. Les grands champions, eux, parviennent à rester impliqués longtemps ET intensément dans leur effort. Mais cela demande de l’entraînement. Du coup, pour éviter que les instants de décrochage ne soient « fatals » pour votre performance, il faudra réussir à « sortir de la course » aux moments opportuns : une fois porté par un groupe, sur une ligne droite bien délimitée, sur un chemin peu tortueux, après avoir vérifié que vous vous êtes alimenté/hydraté… Dans des scénarios moins propices, sortir ainsi de la course peut vous faire manquer de précieuses informations (temps d’avance, cadence…).

Mais parfois, décrocher « volontairement » ne suffit pas pour éviter d’avoir la tête dans les nuages. Alors, si cette dérive devient fréquente et que lutter mentalement pour rester concentré devient pénible, fournissez-vous des aides ergogéniques. Autrement dit, des solutions pour alimenter votre cerveau en ressources pour réussir à garder le cap : se rincer la bouche avec une boisson sucrée/froide ; se rafraîchir la nuque ; revenir à des schémas tactiques connus/automatiques ; s’imprégner de la motivation de la foule ; crier un bon coup ; compter ses coups de pédale ; rythmer sa ventilation (ex : 2-3, 2-5…).

 

Quelles idées pour l’entraînement ?

D’abord, n’oublions pas que les solutions en compétition doivent (autant que possible) rester pour la compétition car votre organisme risquerait de s’y habituer si vous les répétiez à l’entraînement. Le but de l’entraînement sera alors de chercher à retarder le moment d’apparition de ce déclin cognitif pour bénéficier aussi longtemps que possible de l’effet positif de la libération des catécholamines (adrénaline, noradrénaline, dopamine…) sur l’activation du système nerveux central et le bon traitement des informations. Pour cela, trois idées peuvent être exposées :

  1. Vous soumettre régulièrement à une charge mentale importante. L’idée ici pourrait être de réaliser vos séances d’entraînement habituelles après plutôt qu’avant votre journée de travail/de cours, à jeun plutôt que rassasié, en faisant des Stroop task sur votre ordinateur, en révisant votre dernier cours, en récitant un poème, en étant dans des conditions difficiles (pluie, seul, nuit, fatigue…). Ici vous exacerberez la difficulté de votre effort, alors qu’objectivement, la séance sera exactement la même que d’habitude. Attention : les changements d’appuis et les terrains bosselés sont ici à proscrire. Et oui, ils ne font pas bon ménage avec une baisse de proprioception (i.e., risque de blessures).
  1. Automatiser pendant vos entraînements des schémas de course qui fonctionnent pour vous, et vous seul. Par exemple, roulez fort sur 3km et baisser le rythme sur 1km ; alternez tirer/pousser et pédaler rond sur le vélo ; adaptez votre foulée à la pente et au parcours ; utilisez des mots/phrases-clé qui vous aident ; projetez vous dans votre course pour anticiper vos futures réactions. Attention : ne faites pas tout à la fois ! Une stratégie après l’autre, c’est mieux pour se les approprier. Automatiser, c’est certes amener une certaine lassitude mais cela peut aussi vous préserver lors d’une course en vous épargnant des efforts inutiles (ex : avoir à redéfinir perpétuellement votre stratégie). De plus, automatiser, c’est être capable de résister aux changements de rythmes imposés par le groupe, notamment si vous êtes un compétiteur.
  1. La récupération ! Incontournable pour restaurer l’ensemble de vos ressources mentales réduire la charge mentale à un intensité donnée. Elle passe tant par la nutrition (périodisation entre l’augmentation des réserves énergétiques et les étapes de jeun), les entrainements croisés (réduction des contraintes imposées à l’organisme mais maintien de la charge mentale) que par le sommeil (renforcement de la tolérance à l’effort).

Cyril Schmit

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