Le lundi j’ai piscine, mardi je fais VMA en course à pied, mercredi c’est ma sortie longue à vélo…beaucoup de sportifs, notamment les triathlètes, ont des semaines types, des habitudes, des recettes qu’ils répètent inlassablement… C’est une erreur, pour progresser, il ne faut pas entrer dans une telle routine et apporter de la nouveauté. Explications par la science.

coureur foret

Boite à idées

Il n’y a pas de recettes miracles. Tous les sportifs du dernier au premier et dans toutes les disciplines, sont des individus propres avec leurs propres caractéristiques (qualités, passif, points faibles, vie personnelle, etc.). Les articles et autres conseils ne sont finalement que des suggestions, des remises en cause, des prises de conscience. A chacun de découvrir de nouveaux ingrédients, de les tester, de les adopter, de les modifier ou ….de ne pas les adopter (et oui pour certains les huitres sont immangeables, pour d’autres un met gastronomique et d’autres encore juste un aliment avec de nombreux bienfaits nutrionnels).

Une histoire de planification

Un peu d’histoire pour commencer. « Comment faire en sorte que mon athlète soit au meilleur de sa forme au meilleur moment ? » Toute planification de l’entraînement repose sur cette problématique : comment organiser les semaines pour être en forme le jour J ?

Pendant l’antiquité, les médecins grecs cherchaient déjà à mieux appréhender les fluctuations de performance au fil du temps afin de mieux les maitriser. Claude Galien (131-201) dans son traité sur la Conservation de la santé introduit déjà la notion de « catégorisation de l’exercice ». A l’époque, il préconisait de commencer un programme de remise en forme par des exercices développant la force pure sans tenir compte de la vitesse, pour évoluer ensuite vers des exercices requérant une grande vitesse d’exécution. On trouve déjà une notion de différenciation !

La durée de la période de préparation était déjà au cœur des réflexions « il faut s’y mettre dix mois à l’avance » conseillait Philostrate d’Athènes aux athlètes romains qu’il préparait pour les Jeux Olympiques. « Veillez aussi à arriver sur place, un mois avant les Jeux, afin de bien vous acclimater ». Philostrate avait été plus loin encore en rangeant les différents types d’exercices selon leurs intensités au sein de quatre jours d’entraînement dont un de repos. Le plus souvent, elles découlaient de l’expérience des entraîneurs qui se recrutaient presque toujours parmi les anciens champions. Des visionnaires !

Matveev. Il a finalement fallu attendre les années 1950 pour que des travaux rigoureux soient menés sur la question de la planification de l’entraînement. Pendant ces années de guerre froide, la compétition sportive internationale devient le théâtre d’affrontements intenses, où viennent se mélanger enjeux économiques et politiques. Les grandes puissances débloquent alors d’importants financements qui vont permettre de mettre au point des méthodes scientifiques de préparation. Le professeur Lev Matveev de l’Institut d’éducation physique de Moscou fait partie de ces précurseurs. A travers plus de 300 articles scientifiques et de multiples ouvrages, il va s’atteler à poser les bases scientifiques de la périodisation de l’entraînement. Son modèle va alors s’exporter dans le monde entier et être adopté par de nombreux auteurs occidentaux parmi lesquels l’Anglais Franck Dick (Président de l’Association européenne des entraîneurs d’athlétisme), Martin Roy (Université de Laval) ou encore le très référencé Professeur Tudor Bompa de l’Université de York à Toronto. A l’heure actuelle ses méthodes sont encore à la base des différentes formations universitaires ou fédérales liés à l’entraînement sportif. Ce chercheur envisageait la progression d’un champion à l’échelle d’une saison (macrocycle). Puis il divisait cette saison de préparation en différentes phases de préparation (mésocycles) qui s’étalaient sur des périodes de plusieurs semaines. Et pour finir, il établissait un programme jour par jour (microcycles). Les grands principes de Matveev étaient les suivant : partir d’une préparation très générale, pour ensuite travailler de plus en plus spécifiquement.

A l’origine, son modèle ne prévoyait qu’un pic de performance dans la saison. Cela tombait à « pic » puisque le calendrier international ne prévoyait qu’une compétition majeure comme les championnats d’Europe, du Monde ou encore les Jeux Olympiques. Problème, aujourd’hui le calendrier des compétitions oblige nos meilleurs athlètes à deux ou trois compétitions majeures par année, auxquelles il faut ajouter une multiplication de compétitions mineures mais pas sans intérêts (e.g. classement mondial, contrats…). Le modèle du Maître de l’ex Union Soviétique n’est donc plus adéquat.

L’autre critique énoncée face à ce modèle repose sur sa durée. En effet, il va falloir « trimer » pendant des mois pour espérer un pic de forme qui ne durerait que quelques jours. Aucun droit à l’erreur !!! En cas d’échec, il faudra retourner compter les carreaux de la piscine et ce pour 10 à 11 mois.

L’emploi du mot « trimer » n’était pas sans raison. Car le dernier reproche que l’on peut faire à cette méthode réside dans la lourdeur des charges d’entraînement. En effet, dans un premier temps, il faut définir tous les facteurs de la performance propre à son activité, puis les travailler conjointement à l’entraînement durant toute la saison. Pour celles et ceux qui débutent ce n’est pas farfelu. En partant de zéro, il faut en effet développer toutes les qualités. La diversification des séances va donc permettre de progresser.

Nouvel ingrédient : l’entraînement par blocs !

Mais que se passe-t-il lorsque l’on se spécialise ? Rappelons qu’un entraînement efficace doit être de nature à provoquer une réaction de l’organisme !  Traduction : il va falloir créer un stress, pour ensuite laisser l’organisme renforcer ses différentes filières d’adaptation et donc progresser dans la performance. Il suffirait donc par exemple d’identifier les adaptations physiologiques déterminantes à la performance et de concevoir les contenus d’entraînement sur la seule base de ce critère. Dans une pratique amateur, cette logique se tient. En revanche dès lors que l’on parle de sportifs entraînés, cela va grandement se complexifier. Dans cette population la marge de progression est beaucoup plus ténue et, même s’ils s’entraînent beaucoup, leurs efforts ne se concrétisent pas toujours sur une amélioration de performance (en comparaison à leurs records par exemple). En clair le sportif continue de s’entraîner mais ne progresse plus !

Au milieu des années 80 plusieurs entraîneurs décident de remettre en cause la périodisation « classique » et d’innover. Fini le développement concomitant de tous les déterminants de la performance et place à un développement plus ciblé. Plusieurs écrits ou témoignages ont montré l’utilisation de cette nouvelle méthode et aiguisé la curiosité d’entraîneurs en quête de renouvellement. Plusieurs exemples connus de réussite existent comme pour Issurin et Kaverin au sein de l’équipe Olympique Russe de canoë-kayak dont les athlètes décrochèrent trois médailles d’or et trois d’argent aux Jeux Olympiques de Séoul, rien que ça ! Le groupe de lanceurs de marteau de l’ancienne légende Anatoliy Bondarchuk, réalise l’exploit du triplé lors de cette même compétition. Enfin, il y a l’exemple spectaculaire de Gennadi Touretski et de David Pyne (Institut des Sports d’Australie à Canberra) dont les méthodes révolutionnaires ont permis de hisser vers l’excellence plusieurs générations de nageurs (notamment Aleksandr Popov et Michael Klim). Cette nouveauté ne faisait pas l’objet d’articles scientifiques ou d’une nouvelle école, mais constituait tout simplement la remise en cause des grands principes universitaires par l’expérience de terrain d’entraîneur en quête de performance. Cette nouvelle méthodologie pris le nom d’entraînement par blocs (« Block periodization »). Son succès se propagea à d’autres groupes d’entraînement et les premiers articles scientifiques virent le jour.

C’est ainsi que les entraîneurs apprirent que la campagne de Pékin 2008 des kayakistes Bélarusses couronnés de succès (deux titres et une médaille de bronze) reposait sur une périodisation de l’entraînement par blocs. Les Espagnols adoptèrent aussi cette nouvelle méthodologie et remportèrent lors de ces mêmes JO, le titre en K2 (500 mètres) et deux médailles d’argent grâce à David Cal en individuel. Pays qui n’était auparavant pas référencé dans ce sport. Effet des blocs ? Ce serait aller vite en besogne, mais incite à la réflexion.

Les rapports entraînement parlent de l’effet des blocs

Issurin, chercheur Russe, dégage dans un très récent ouvrage 4 points essentiels à l’articulation de la périodisation par blocs :

  1. Prévoir le développement successif des qualités de l’athlète plutôt qu’un développement conjoint. C’est la base de cette méthodologie : ne pas travailler conjointement tous les facteurs de la performance. Issurin préconise plutôt de les travailler successivement en accordant une réelle priorité à l’un d’entre eux sur des périodes de 2 à 4 semaines.
  2. Concevoir la périodisation annuelle de l’entraînement autour de périodes plus courtes. Issurin propose de diviser la saison en plusieurs périodes dites : d’ « accumulation », de « transfert » et de « réalisation ». Cela laisse penser aux mésocycles de Matveev. Seulement, alors qu’il fallait toute une saison de travail dans l’ancienne méthode, la contemporaine ne demanderait que 6 et 12 semaines.
  3. Un nombre minimal d’objectifs doit être ciblé au sein de chaque bloc. Ce qui correspond bien plus aux calendriers actuels qui exigent de multi pics de performance durant la saison.
  4. L’entraînement doit intégrer des périodes de forte charge d’entraînement et d’autres plus légères. Le principe premier de ces blocs « chocs » suivis de périodes plus « légères » sera d’engendrer de nouvelles adaptations physiologiques, psychologiques ou motrices grâce un travail plus intense, plus ciblé et plus court (limitation des risques de surmenage), tout en favorisant les adaptations par des phases d’affûtage (à voir dans un prochain article) qui devront être construites au mieux pour qu’à l’inverse elles n’entraînent pas un risque de désentraînement.

Les études scientifiques confirment

Ces cinq dernières années, quatre articles scientifiques sont venus appuyer cette méthodologie. Un premier travail espagnol mené encore une fois auprès de kayakistes, spécialistes de course en ligne de niveau mondial cherchait à comparer une préparation traditionnelle à une préparation par blocs. L’étude a débuté en 2007, avec des sportifs qualifiés pour les Jeux Olympiques de 2008. Une batterie de tests a été effectuée avant l’étude afin d’établir la « fiche d’identité » physiologique de chaque  athlète (1er seuil ventilatoire dit SV1, 2ème seuil ventilatoire dit SV2, VO2max, puissance maximale à l’arrêt de l’exercice lors d’un test maximal aérobie incrémenté, etc.). Les participants ont réalisé en premier lieu un programme classique de 22 semaines. La saison suivant leur programme a ensuite été totalement chamboulé avec l’introduction d’un bloc d’entraînement de 12 semaines juste avant les JO. Les testings ont été répétés après chaque période d’entraînement et ont montré des gains très nettement supérieurs après le bloc de 12 semaines.
Toutefois l’étude n’a pas été des plus rigoureuses. En effet, les deux périodes d’entraînement allaient du simple au double en termes de durée et montraient un volume global 120h supérieur pour la période traditionnelle.

Toutefois le travail à haute intensité étant équivalent sur les deux types de programme ce qui permet de faire l’hypothèse que cet important travail intense semble avoir permis de plus amples adaptations.

La seconde étude a été réalisée par des chercheurs Suisses. Ils divisèrent un groupe d’Alpinistes, avec d’un côté un entraînement traditionnel et de l’autre un entraînement par blocs. De nouveau, les différents indices de performance mesurés en laboratoire montrèrent une plus forte augmentation chez les « blocs », mais encore une fois le travail à haute intensité y était beaucoup plus important…

Un pavé jeté dans la marre !

CoureurIl a fallu attendre que des Scandinaves, apôtres de rigueur et référencés comme spécialistes de la planification de l’entraînement s’en mêlent. En 2012, Bent Rønnestad (Norvège) a réalisé une étude auprès de 19 cyclistes entraînés. Il a composé deux groupes qui pendant 12 semaines ont effectué le même volume global (9 grosses heures) ; un volume similaire en intensité (travail sous SV1, entre SV1 et SV2 et au-dessus de SV2) ; et le même nombre de séances fractionnés (24 pendant l’étude). La seule chose qui différenciait les deux groupes était la planification de ces 24 séances de fractionné. Le groupe bloc a effectué 5 séances de fractionné en semaine 1, 5 et 9 et 1 seule séance lors des autres semaines. A l’inverse le groupe traditionnel s’est enquillé deux séances de fractionné chaque semaine du protocole.

Au final: les « blocs » ont amélioré leur puissance maximale aérobie de 386  à 406 watts, leur VO2max progressait de 4,6 % et leur puissance associée à SV1 de 10%. Pour faire court : aucun progrès significatif pour le groupe traditionnel. Un pavé était jeté dans la marre !!!

Difficile de remettre en cause une étude où tous les sportifs avaient réalisé les mêmes séances d’entraînement, si ce n’est qu’ils en changeaient l’échéancier…Seulement, nous ne pouvons conclure sur une seule étude scientifique, aussi crédible soit-elle. Toutefois, il y a quelques mois Bent et son acolyte Oyvind Sandbakk sont venus enfoncer le clou. Cette fois-ci l’étude était menée auprès de skieurs de fond très entraînés (niveau national). L’étude a été plus courte (5 semaines). Mais les principes sont les mêmes, à savoir un groupe bloc avec des semaines « chocs » et des semaines plus « cools » en terme d’intensité. Pour le groupe « choc » au programme 5 séances d’entraînement fractionné réalisées en 1ère semaine, contre une seule en seconde semaine et une unique séance fractionnée en 3ème semaine, le curseur intensité remonté en 4ème semaine avec 3 séances fractionnées et enfin à nouveau une seule lors de l’ultime semaine du protocole). Pour le groupe traditionnel, la programmation a été plus régulière soit sur 5 semaines, deux séances de fractionnés par semaine sauf la semaine 3 avec 3 séances.

Les deux groupes ont donc réalisé 11 séances intensives et un même volume global d’entraînement, mais avec une répartition différente pour les séances « dures ». Les résultats ? Confirmés ! Pour le groupe bloc, la VO2max a augmenté en moyenne de 2%, la fréquence cardiaque a baissé de 4% en moyenne et de 3% à deux intensité sous-maximales (les skieurs étaient donc plus économiques) et la puissance associée à SV1 a été augmentée de 11%. Concernant le groupe traditionnel ? Aucuns changements significatifs…

Que faire ?

Si vous êtes débutant, nous vous proposons donc de travailler linéairement jusqu’à ce que vous ayez la sensation de plafonner.

le corps humain a une mémoire et qu’il s’adapte ! Essayez donc de varier vos semaines d’entraînement et de sortir du carcan « je dois tout bosser, tout le temps ». Variez ! Prenez des risques ! Tentez d’innover ! Mais attention cela va vous demander de la réflexion. Votre partenaire pourra peut-être encaisser 5 grosses séances par semaine, lorsque votre corps dira stop après seulement 2 séances. Ecoutez-vous, ne vous comparez pas et appropriez-vous votre projet de performance.

Enfin comment ne pas conclure cet article qui lui aurait plu dans sa remise en question des principes écrits, de la mise en place de programmes « individuels » et de la construction de l’athlète, sans rendre hommage à Laurent VIDAL, disparu il y a quelques jours : http://www.trimes.org/2015/05/07/le-jour-ou-jai-decide-de-me-concentrer-sur-le-process-plutot-que-sur-les-resultats/

Pour suivre l’actualité d’Anaël AUBRY sur Twitter : @AUBRYANAEL et Facebook : http://facebook.com/Anael.AUBRY.Sport.scientist

Réagissez