Il n’est pas rare de commencer une séance d’entraînement avec les jambes lourdes, des sensations médiocres alors que tout semblait bien construit : une planification au plus juste, un bon sommeil, une bonne alimentation. Même votre cardiofréquencemètre ne vous indique aucune fatigue en vue. Et pourtant, votre cerveau vous répète qu’aujourd’hui ce n’est pas ça. Deux options s’offriront à vous : lâcher ou se faire violence.

La difficulté : un quotidien !

L’équipe de recherche d’Alexis Mauger de la très réputée université du Kent en Grande-Bretagne s’est justement posé cette question. À savoir, pourquoi des sportifs lâcheront plus facilement, lorsque la douleur est importante, malgré des voyants physiologiques au vert ?  Cette question est primordiale, puisque finalement elle se pose presque quotidiennement au sportif.

 

Le Tour de France vient de se terminer pour nos cyclistes de l’équipe B&B Hotels – Vital Concept. Avec l’enchaînement des étapes, il est évident que ce n’est pas rose chaque jour pour ces derniers, malgré tous les moyens de récupération mis à leur disposition. Les sensations au réveil où lors des premiers coups de pédale rappellent souvent les efforts de la veille. Or, il n’est pas question de se relâcher, comme nous pourrions le faire à l’entraînement. Ce type de compétition si exceptionnelle, obligera donc à trouver des leviers psychologiques pour réaliser la meilleure performance possible et ne surtout pas lâcher.

 

Mais, dans une moindre mesure nous nous rapprocherons très souvent à l’entraînement de ce concept. En effet, même après des années d’expérience permettant de limiter les erreurs de planification, se sachant dans le vert de la gestion des charges d’entraînement, les jambes ou les bras seront souvent plus ou moins lourds devant l’enchaînement des séances de préparation nécessaire à l’obtention des objectifs fixés. Pire que ça, parfois alors que l’on a tout fait pour être frais sur une séance ou une compétition, que le rythme cardiaque est dans les standards habituels, que vous respirez normalement, vos muscles vous renvoient des informations négatives, vos sensations sont mauvaises.

Or, nous savons maintenant que les sensations auront très souvent un fort impact sur la performance réalisée et pourront avoir des conséquences négatives comme la baisse de la vitesse de déplacement empêchant la performance visée, ou même pire que ça, ces mauvaises sensations, presque douloureuses vous pousseront à stopper la session ou à abandonner la compétition.

 

Quelles explications à ce phénomène ? 

Pour essayer de trouver des explications à ce phénomène, l’équipe du Kent a injecté une solution saline hypertonique dans les cuisses de cyclistes avant la réalisation d’un test physique d’endurance. La conséquence est assez simple, ils ont alors mal aux jambes, mais ce procédé ne devrait physiologiquement avoir aucun impact sur leurs performances. Et pourtant, comme lors de certains de vos entraînements, ils abandonneront plus précocement. L’objectif sera maintenant de comprendre pourquoi ?  

 

Avant la science, le terrain !

L’exemple des cyclistes du Tour de France est très juste. Pourquoi, alors que leur corps leur fait ressentir une importante difficulté, la « souffrance » d’enchaîner les étapes, ils arrivent encore à réaliser de très hautes performances, parfois même proche de leurs records lors d’étape où ils joueront la gagne.

Sans même aller plus loin, un élément de réponse semble déjà émerger. Bien que nous nous entrainons majoritairement dans une forte valence et avec des objectifs physiques et physiologiques, au travers de séances longues, de seuil ou autre VMA, le jour J ce sera souvent la tête qui nous fera tenir, nous dépasser…ou abandonner !

Il est d’ailleurs intéressant de noter que les athlètes de très haut-niveau, se préparant plusieurs mois, plusieurs années pour leur grand objectif déclareront souvent qu’en comparaison à leur préparation intensive comprenant certaines périodes extrêmement difficiles, la compétition leur paraitra parfois facile. Or, lorsque l’on parle de difficulté ou de facilité, cela renvoie bien à une notion de ressenti psychologique, même si celui-ci devait n’être que le reflet de ce qu’il se passe dans notre corps (le niveau de fréquence cardiaque et de ventilation, la chaleur interne, les réserves glucidiques, l’acidité ou les dégâts musculaires, etc.).

Personnellement, nous avons vécu lors de la préparation des Jeux Olympiques de Rio, une expérience très enrichissante. Un groupe d’une trentaine de triathlètes amateurs assidus avec 15 à 20 h par semaine d’entraînement devait réaliser une préparation dans les mêmes conditions thermiques de préparation que nos futurs sélectionnés olympiques. La préparation terminale s’est déroulée en condition chaude et humide, en Guadeloupe (autour de 35°C et 80% d’humidité), avant de revenir dans des conditions thermiques neutres (15-20°C) lors de l’affûtage pré-compétitif. L’objectif étant de se préparer à l’ambiance potentiellement extrême de Rio, tout en travaillant sur le caractère imprévu de cette région au mois d’août, alternant entre conditions hivernales et retour de chaleur humide.

Nos différents tests et mesures ont montré une multitude de bénéfices de l’acclimatation à la chaleur lors du contre-la-montre et des tests d’effort en chaleur. Jusque-là tout semblait logique. Mais, pour aller au bout des choses, tous les triathlètes devaient également réaliser des sessions de testings en condition neutre. Le principal intérêt physiologique de cette technique d’entraînement en chaleur consiste en l’augmentation du volume plasmatique, engendrant une plus grande quantité de réserve sanguine, que l’on pourrait assimiler à un réservoir d’essence plus fourni et pouvant être utilisé qu’il fasse chaud ou non.

Mais, après seulement 4 jours en métropole et le retour à des températures de printemps parisien, cette réserve était entièrement perdue pour la majorité des sportifs. Pourtant, leurs performances étaient grandement améliorées sur un 20 km contre la montre sur home trainer, record à nouveau explosé après 10 jours d’affûtage francilien. Lorsque l’on regardait les différents marqueurs physiologiques de performance, pas de quoi expliquer de si importants progrès.

 

Cyclisme - PMA
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Il fallait alors regarder du côté mental. Les athlètes réalisaient des stratégies d’allures identiques vis-à-vis de leur perception de l’effort consenti. Ils se donnaient les mêmes points de passage en terme de difficulté aux km 4, 8, 12, 16 et 20, que ce soit avant le camp d’entraînement en chaleur ou après. Ils arrivaient pourtant à appuyer plus fort sur les pédales pour une même difficulté.

Lors de débriefings, ils exprimaient avoir été confrontés à de tels états de difficulté, de dépassement de soi, voire de douleurs lors des tests en chaleur avant acclimatation et de certaines séances en chaleur (après quelques jours d’acclimatation à basse intensité, ils devaient réaliser les mêmes objectifs de séance qu’en temps normal, par exemple en effectuant les mêmes chronos sur une séance VMA qu’habituellement en condition neutre) qu’ils sentaient avoir passer des caps mentaux et pouvaient beaucoup mieux tolérer l’effort demandé sur leurs contre la montre habituels. Ils faisaient donc le choix de tenir le même plan de route en terme de difficulté, leur permettant de mettre plus de watts et ainsi améliorer leurs records.

On comprend alors mieux le contexte d’entraînement de nombreux champions. Vincent Luis aimera à répéter que la réalisation de plusieurs entraînements quotidiens avec son groupe d’un niveau de finale mondiale, lui permet de se sentir prêt mentalement à ce qu’il va retrouver en compétition.

De la même façon, Philippe Lucas rappelle à ses nageurs à l’approche des championnats internationaux qu’ils sont passés par des moments si intenses à l’entraînement, mais finalement si maitrisés car répétés au fil des mois de préparation, que les différents évènements qu’ils pourront rencontrer lors d’une course internationale d’eau libre ne seront pas plus difficiles et qu’ils sauront alors faire face pour répondre au challenge et même impacter la course.

Natation en mer

 

Cela ne veut pas dire qu’il faille être à fond, chaque jour, sur chaque séance. En revanche, cela doit rappeler que si tout est facile dans votre quotidien, trop parfait à l’entraînement, trop écrit, sans effort, alors que dans nos sports où la résilience, l’endurance mentale, la tolérance à la douleur et la difficulté, auront un fort impact sur notre résultat terminal, être prêt physiquement ne suffira pas nécessairement, sauf si vous êtes totalement au-dessus du lot.

 

Une anecdote nous revient alors. James Magnussen, grand favori sur 100m nage libre aux Jeux de Londres en 2012 qui bénéficia de conditions parfaites de préparation et de suivi en cette année Olympique, échoua, battu par Nathan Adrian. Lors du débriefing des Jeux de la délégation Australienne, il déclara ne s’être jamais senti aussi fort que l’année précédente, lorsqu’il se prépara dans des conditions plus spartiates, où certes tout n’était pas parfait et loin des hôtels 5 étoiles, mais où justement il devait s’investir autant physiquement que mentalement pour performer.

 

Alors que nous dit la science ?

Pour aller plus loin, Walter Staiano, chercheur à Valence en Espagne, reconnu comme l’un des spécialistes de l’interaction entre le cerveau et l’effort physique a publié en 2018 une étude, en collaboration avec Samuel Marcora, une sommité de ces sujets. Leur objectif était d’essayer de comprendre ce qui pourrait limiter notre capacité à soutenir dans le temps un exercice aérobie de haute intensité. Est-ce la fatigue musculaire d’un point de vue physiologique, notre ressenti des douleurs musculaires ou notre perception de l’effort réalisé ?

Dans une première expérience, les participants étaient invités à plonger leurs mains dans une eau glacée jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus tolérer cette condition, tout en évaluant toutes les 30 secondes la douleur ressentie. Evidemment celle-ci ne faisait qu’augmenter pour atteindre la cotation moyenne de 9,7/10 au moment où ils retiraient leurs mains.

Puis, l’un des tests de performance consistait à réaliser un temps limite sur vélo, avec l’objectif de tenir le plus longtemps possible à 80% de leur PMA. À nouveau, il était demandé d’évaluer régulièrement le niveau de douleur et la perception de la difficulté d’exercice (RPE).

De façon assez logique, ces deux valeurs augmentaient tout au long du test mais démontraient une grande différence lors de l’arrêt du test, défini par l’épuisement en ressource des cyclistes, soit l’incapacité à pouvoir tenir l’allure demandée. A l’arrêt de l’épreuve, la douleur perçue était de 5/10, lorsque la perception de la difficulté d’effort était de 19,6/20.

 

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Cette étude suggère que la douleur ressentie ne serait pas le meilleur indicateur de nos limites physiques et de performance, mais donc plutôt notre perception subjective de l’effort réalisé. Staiano et Marcora rappellent que faire face à la douleur exige un contrôle inhibiteur, un processus cognitif qui peut fatiguer notre cerveau et donc potentiellement augmenter la perception de l’effort. Ici les cyclistes n’ont pas arrêté parce que la douleur devenait intolérable, mais elle est l’un des nombreux facteurs pouvant pousser l’effort à ses limites tolérables. Nos triathlètes ayant été confrontés à une difficulté accrue lors d’efforts physiques en chaleur-humidité ont par exemple pu s’y renforcer mentalement et mieux supporter la difficulté consentie pour exploiter un plus important potentiel sur un contre la monte dans des conditions habituelles.

Et comme dans tous sports d’endurance, les facteurs de performance seront multiples et souvent communs, la proportion de chacun évoluant en fonction de la discipline, des conditions (parcours, météo, adversité, etc.) et de vos capacités. Par exemple, il est fort à parier que lors des championnats du monde en eau glacé, la capacité à supporter autant physiologiquement que mentalement des températures extrêmement basses prendront plus de poids sur la performance que les capacités physiques comparativement à une course d’eau libre classique.

 

Mauger, qui est d’ailleurs un ancien collègue de Staiano pense lui pour sa part que la douleur est un facteur limitant de la performance en endurance. L’objectif de cette nouvelle étude avec injection de sérum physiologique hypertonique avait pour but de pouvoir jouer sur le niveau de douleur ressenti sans modifier les facteurs de performance comme l’intensité de l’exercice physique réalisé.

Le test de performance consistait en une extension de genou contre charge jusqu’à épuisement. Premier constat, que la charge soit à 10% ou 20% du max, l’injection de solution saline ne montrait pas de différence sur le ressenti de la douleur.

En revanche, des différences apparaissent en comparant à 10% du max, un groupe solution saline Vs sans injection, Vs placebo. Evidemment le ressenti de douleur est dès le départ bien plus haut pour la solution saline, mais surtout ils stoppaient leur effort beaucoup plus tôt.

 

Pour Mauger ces résultats montrent que la douleur musculaire a un impact direct sur les performances en endurance. Le sel présent dans la solution va avoir une incidence sur les fibres nerveuses, comme avec certains métabolites, le lactacte étant le plus connu lors d’efforts intenses. Donc, pendant un exercice très intense, la douleur devenant intolérable, il devient nécessaire de ralentir, voire de s’arrêter.

Ces recherches nous démontrent des résultats bien différents, l’une où les sportifs stoppent leur effort avec une douleur de 5/10 et l’autre au maximum de leur tolérance. Evidemment le choix des protocoles y est pour beaucoup.

Elément peu rapporté d’ailleurs par Mauger, ces participants connaissaient également une perception de l’effort en augmentation constante tout au long du test dans les trois conditions, mais avec un démarrage légèrement plus haut lors de l’injection saline.

 

 

En conclusion

Ce qu’il faut finalement retenir de tous ces travaux, en l’état, est que si toutes ces questions se posent c’est que nous avons tous déjà eu la preuve que notre cerveau et les messages qu’il renvoie ou que nous lui donnons pourront fortement impacter la performance physique que ce soit pour courir, nager ou pédaler sur une courte, moyenne ou longue distance.

Il va de soi que suivant notre activité la part de capacité à encaisser la difficulté, la douleur ou toute autre type de perception aura un impact plus ou moins fort. Malgré tout il sera clairement présent. Lorsqu’un coureur de 800 m réalise des séances de capacité lactique, certes il apprend à mieux tolérer les ions H+, à améliorer son pouvoir tampon, bref des marqueurs purement physiologiques, mais on sait également que reproduire ce type de séance à forte implication mentale, lui permettra d’autre part d’améliorer sa perception à la douleur.

Quand un traileur attaque sa Xème descente au 100ème km, avec toute la bonne gestion d’allure et de ravitaillement qui soit, son cerveau devrait assez logiquement lui demander de ralentir l’allure devant les dommages musculaires engendrés en amont. Il devra donc à la fois s’être entraîné à savoir gérer cette situation et être en capacité autant que possible de tolérer cette mauvaise passe pour remplir son objectif chronométrique.

 

Les exemples pourraient être infinis mais démontreront chaque fois qu’il est important d’une part de bien maitriser les facteurs de performance de sa discipline et d’évaluer ses points forts et faibles pour savoir les travailler. Et d’autre part, bien que la bonne gestion des charges d’entraînement soit une priorité, il sera impératif de ne pas toujours rester dans sa zone de confort en allant explorer de nouvelles séances, de nouvelles sensations, d’essayer parfois de dépasser ses limites, bref de se surprendre en ces temps où nous cherchons à tout mesurer, en limitant la prise de risques, l’audace, bref la performance.

 

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@AUBRYANAEL
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Anaël Aubry
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Anaël Aubry Sport Scientist

 

 

 

 

 

 

 

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