La performance des femmes est-elle meilleure grâce à la testostérone ?

Actuellement, la question de l’hyperandrogénie divise. Avec la performance en toile de fond, certains se réfèrent à l’éthique du sport quand d’autres en appellent à la science, ou autres.
Il y a quelques mois, la toute première étude de haute qualité évaluant l’effet de causalité entre la testostérone et la performance des femmes a été publiée. Qu’a-t-elle montré ?

Crédit photo : Albina Gavrilovic

Chez l’être humain, le sexe biologique est l’un des facteurs les plus décisifs de la performance physique.

Dans les sports de force et d’endurance, les hommes ont, en général, un avantage de 10% à 15% par rapport aux femmes, ce qui s’explique très probablement par le fait qu’ils aient des concentrations de testostérone en moyenne plus de 15 fois supérieures à celles des femmes.

 

 

En effet, les androgènes possèdent de puissants effets anabolisants sur la masse musculaire et le tissu osseux.

 

Certaines conditions innées rares chez les femmes peuvent entraîner une production fortement accrue de testostérone – du même ordre que celle des hommes – produite par des gonades masculines fonctionnelles.

En cause, on estime que la prévalence du 46XY (ou « dysgénésie gonadique ») chez ces athlètes féminines d’élite est environ 140 fois plus élevée que dans la population générale.

 

Les femmes atteintes de ces conditions développent alors une proportion plus élevée de masse maigre et une meilleure performance physique.

La question de savoir s’il est juste de permettre à ces personnes hyperandrogéniques ayant des niveaux de testostérone élevés de concourir contre des femmes ayant des niveaux d’androgènes normaux fait actuellement l’objet d’une controverse internationale.

À titre d’exemple, certains défenseurs des droits de l’Homme considèrent qu’une personne à laquelle on a attribué le sexe féminin à la naissance, qui a été élevée comme une fille et qui est socialement acceptée comme une femme, devrait être autorisée à concourir dans la catégorie des femmes, indépendamment de ses niveaux de sensibilité à la testostérone et aux récepteurs androgéniques.

 

Avant les Jeux Olympiques de Londres, l’IAAF avait mis en place des règles d’admissibilité qui permettaient aux athlètes hyperandrogéniques de participer dans la catégorie féminine à condition qu’elles abaissent au préalable leur taux de testostérone endogène.

Objectif : l’équité entre les athlètes.

Toutefois, ces politiques ont été critiquées et contestées. Par exemple, certains scientifiques ont questionné le fait que la testostérone soit le facteur principal de la différence de performance entre les sexes. Dans cette perspective, en 2015, le Tribunal arbitral du sport a suspendu les règlements de l’IAAF en attendant de recevoir de nouvelles preuves sur le rôle de la testostérone dans les performances sportives des femmes. Et malgré quelques procès s’étant tenus jusqu’en 2019, il existe toujours étonnamment peu d’informations à ce sujet.

 

Face à ce constat, un groupe de chercheurs suédois s’est fixé pour objectif d’étudier les effets de causalité de 10 semaines d’augmentation du niveau de testostérone sur les performances physiques et la composition corporelle de jeunes femmes en bonne santé et physiquement actives, dans le cadre d’un protocole en double aveugle, randomisé et contrôlé par placebo.

 

Pour ce protocole, les femmes retenues étaient âgées de 18 à 35 ans, avaient un IMC de 19 à 25 kg/m2, ne fumaient pas, avaient un niveau d’activité physique modéré à élevé et ne prenaient pas de contraception hormonale. Aussi, pour ne pas enfreindre les règles antidopage, elles ne participaient à aucune compétition sportive pendant la période de l’étude.

 

Au départ, les participantes ont été assignées au hasard à un traitement qui incluait :

  • Soit l’usage d’une crème à la testostérone-10mg (1 ml) appliquée chaque soir sur la partie supérieure externe de la cuisse
  • Soit l’usage d’une crème placebo

Note importante : le protocole en « double-aveugle » implique que ni les participantes ni les chercheurs n’étaient informés de la répartition de ces traitements.

 

Les mesures les plus importantes réalisées par les chercheurs étaient celles de :

  • Performance d’endurance, par un test en temps-limite (courir le plus longtemps possible à une allure fixe)
  • Performance anaérobie, par un test de Wingate (pédaler le plus fort possible pendant 30 secondes à une résistance fixe)
  • Force musculaire, par des tests de saut et de force
  • Composition corporelle (masse maigre, masse grasse, niveau de testostérone)
  • Consommation maximale d’oxygène (VO2max)

 

Quelles observations étaient faites ?

À l’issue des 10 semaines, on pouvait bel et bien observer une augmentation « modérée » du niveau de testostérone dans le sang des participantes du groupe Testostérone, et une amélioration significative de leur performance d’endurance par une différence de 6% (~15sec) par rapport au groupe placebo.

Les auteurs ont calculé qu’en convertissant les changements de VO2max en vitesse aérobie maximale, les sportives auraient alors amélioré leurs performances de 8 secondes et 11 secondes sur 1500 m et 2000 m, respectivement.

 

IMAGE SCHEMA TESTOSTERONE

 

 

Pour les 2 groupes, le poids corporel était inchangé. Toutefois, derrière cette apparente stabilité se cachait en réalité un changement dans le groupe Testostérone : la masse grasse avait diminué tandis que la masse maigre totale et des membres inférieurs avait augmenté.

 

Par ailleurs, bien qu’aucune différence significative de VO2max n’était noté entre les groupes, le groupe Testostérone avait significativement progressé. Comme la concentration d’hémoglobine n’avait pas bougé, il est alors possible que d’autres mécanismes soient entrés en jeu (cardiaques, densité capillaire, capacité d’oxydation).

 

 

Groupe Testostérone Groupe Placebo
début fin début fin
Variable endocrine
Testostérone (nmol/L) 0,9 4,3 1,0 1,1
Composition corporelle
Poids (kg) 67,1 67,2 65,1 65,4
Masse maigre (total, kg) 47 47,8 45,4 45,6
Masse maigre (membres inf., kg) 15,9 16,3 15,3 15,4
Masse grasse (%) 26,5 25,5 27,2 27,2
Performance physique
Endurance (temps-limite, sec) 250 271 258 264
VO2max (L/min) 3,02 3,08 2,89 2,90
Wingate 30sec (W) 470 485 458 462
Saut en squat (m) 0,21 0,21 0,20 0,20
Contre saut (m) 0,25 0,26 0,25 0,25
Force membres inférieurs (Nm) 219 224 214 218

 

*Tableau : En couleur orange sont pointées les différences d’évolution entre les 2 groupes

 

Les résultats secondaires n’étaient pas significatifs entre les groupes :

  • Test de puissance de Wingate (malgré un gain de +12 W pour le groupe Testostérone) – ce qui suggère que la testostérone pourrait ne pas impacter les performances anaérobies.
  • Tests de saut et de force musculaire. Cela pourrait s’expliquer par la durée relativement courte du traitement (10 semaines qui ont généré un niveau de testostérone de 4,3 nmol/L et des gains de masse musculaire des membres inférieurs de 2,5%). En effet, une autre étude sur 24 semaines a généré un niveau de testostérone de 7,3 nmol/L et des gains de masse musculaire de 4,4%.

SCHEMA TESTOSTERONE 2

 

 

Quel avenir à la question de l’hyperandrogénie ?

D’un point de vue physiologique, l’effet de la testostérone est le même que celle-ci provienne d’une source exogène (comme dans la présente étude : une crème) ou endogène (production par le corps). Dès lors, les résultats de la présente sont d’une grande importance pour les débats en cours.

Est-il juste de permettre aux sportives produisant naturellement une forte quantité de testostérone de concourir dans la catégorie féminine sans réduire leur concentration hormonale à un niveau standard ?

 

Pour l’IAAF, ce niveau standard se situe à <5 nmol/L et ouvre l’accès aux courses internationales de demi-fond du 400m au 1500m. Or, le taux normal de testostérone circulant chez les femmes est de 0,1-1,8 nmol/L (il est largement éloigné du taux normal chez les hommes de 7,7-29,4 nmol/L).

Dans la présente étude, la dose de testostérone utilisée a entraîné une augmentation à 4,3 nmol/L, ce qui est certes inférieur au taux masculin mais qui a aussi clairement augmenté certains types de performances.

 

Dans son ensemble, cette étude alimente donc très pertinemment les discussions relatives à l’hyperandrogénie. Et la rigueur de son protocole n’est clairement pas à remettre en cause, puisque :

  • Le plan était en double aveugle, randomisé et contrôlé par placebo
  • Le taux d’abandon était nul et l’adhésion au traitement était bonne
  • Toutes les procédures et les tests de performance physique ont été standardisés en fonction du moment de la journée, de la consommation alimentaire et de l’activité physique
  • Les taux sériques de testostérone ont été mesurés par la méthode de référence

 

Dans ce cadre, la conclusion des auteurs ne faisait alors pas de nuance : « Notre étude soutient un effet causal de la testostérone sur les performances aérobies chez les jeunes femmes. »

 

 

Source : Hirschberg, Knutsson, Helge et al. BJSM, Mai 2020

Réagissez