Entraînements… le chassé-croisé

« Rentrer les séances ». C’est le propre de beaucoup d’athlètes, quel que soit le niveau de performance. Du lundi avec la séance au seuil au dimanche de la sortie longue, tout est souvent planifié, parfois routinisé mais – fort heureusement – rarement standardisé. En effet si cette démarche de reproduction de programmes peut s’avérer facilitante, poussée à l’excès, elle n’en reste pour autant que plus limitante. Explications, et…propositions.

coureur

Pourquoi progressons-nous ? Si la réponse prend indirectement sa source dans des aspects liés à nos motivations, à notre capacité à récupérer ou encore à « faire le job » sur la nutrition ou le sommeil, elle s’origine directement dans ce que l’on nomme la plasticité de l’organisme. Cette capacité même qui, en réponse à un stress donné, amène le corps à engager une réponse d’adaptation dans le but de mieux fonctionner lors d’une prochaine exposition à ce stress. Objectif : survivre !

À court terme, cette plasticité peut s’appréhender à l’échelle d’une simple séance. Les sessions dites intermittentes (type 30s/30s, 1mn/1mn, etc) sont, par exemple, réputées pour solliciter la filière aérobie à plein régime. L’extraction de l’oxygène par les muscles atteint alors sa capacité maximale et favorise – entre autre – le développement des mécanismes aérobies associés à une plus grande production d’énergie (transport et utilisation de l’oxygène). En d’autres termes, votre corps apprend à faire fructifier les mécanismes par lesquels il consomme les ressources à disposition. Et en l’occurrence, les bénéfices se traduisent par une plus grande économie physiologique à une intensité d’exercice donnée. Une fréquence cardiaque moins élevée vient alors refléter cette économie.

Or, à l’échelle de quelques semaines, quand bien même le but consisterait à élever cette consommation maximale d’oxygène (la fameuse VO2max ), la répétition de ce type de séances resterait difficile à encaisser. Qui pourrait prétendre à n’engager que des séances qualitatives sans s’immiscer pas à pas dans un état de surmenage ?! Ces intenses sollicitations ne sont en effet pas sans être accompagnées d’un état de fatigue important que chacun ressent dès les instants suivant la séance. La monotonie des entraînements venant d’ailleurs contribuer à ce process. Mais les limites ne sont pas restreintes à ce type de phénomène et aux sollicitations maximales.

 

Un exemple isolé ?

Au sein de la dynamique des entraînements, le but reste bien de faire converger les adaptations générées vers un objectif commun : une plus grande capacité de performance de l’organisme. Et dans ce cadre, la standardisation n’est pas nécessairement la bienvenue. En tout cas si l’enjeu reste d’améliorer la performance. Qu’il s’agisse de sollicitations intenses comme d’allures sous-maximales, musculaires ou cardiovasculaires, si les séances se répètent et se ressemblent et qu’en plus les copains ne sont pas là pour « se tirer la bourre » plus qu’à l’habitude, difficile en effet de pousser l’organisme dans de nouveaux retranchements (par exemple en raison d’accumulation de fatigue) ou d’exprimer des qualités physiques laissées pour compte. Et difficile de susciter de nouvelles adaptations…

 

Un plafond de performance… inéluctable ?

Beaucoup d’entre nous ne peuvent prétendre à cette augmentation du volume horaire d’entraînement (ou même de récupération !), typique d’un emploi du temps d’athlètes professionnels et propice à maximiser le développement des filières énergétiques et qualités musculaires. Sans redéfinition de son programme d’entraînement, c’est alors l’entretien des qualités acquises qui se profile à l’horizon… Mais dans la recherche d’optimisation de la dynamique des progrès, de nombreux travaux relatifs aux performances en endurance se sont développés en mettant l’accent sur les bienfaits de ce que l’on appelle les « entraînements croisés » : des sessions authentiques, indépendantes de l’activité concernée, dont l’objet consiste à améliorer un facteur de performance autrement qu’en le sollicitant en situation de référence. Et donc permettant de s’affranchir d’une partie des effets des modalités usuelles de sollicitation ! Des idées ?

Spontanément, vous pensez sans doute aux bénéfices des entraînements en musculation (ou du travail de sprints courts répétés) sur les performances en endurance. En course-à-pied, ce type de renforcement favorise en effet une plus grande tonicité musculo-tendineuse (retardant la dégradation du geste technique sur une épreuve longue), une meilleure qualité de pieds, et donc une meilleure économie de course. Sans prise de masse ! À vélo ou en natation, la musculation peut permettre de renforcer vos capacités anaérobies, celles-là même vivement sollicitées lors de relances ou de départ de sprints. Un autre exemple assez connu est celui des bénéfices des séances à vélo ou de natation sur les performances à pieds, qui reflètent pour leur part un renforcement musculaire spécifique et/ou de moindres traumatismes musculo-articulaires générés. Et ce n’est pas tout !

Nous discutions récemment dans « Choisir ou subir : la question de la lucidité au cours de l’effort » des bénéfices cognitifs issus de l’entraînement en endurance. Sous l’effet d’une augmentation du nombres de neurones, de leurs connexions et durée de vie, l’entraînement aérobie régulier est en effet connu comme la source d’un plus grand contrôle cognitif, retranscrit sous la forme d’une lucidité affinée à l’exercice. Concrètement, pour une même intensité relative d’exercice, une personne entraînée en endurance sera plus à même de rester concentrée dans sa course, de s’adapter à une stratégie imposée par le peloton ou de garder le contrôle de sa foulée, par rapport à un nouveau pratiquant encore peu entraîné. En causes ? Une plus grande tolérance mentale à la charge physiologique et un meilleur contrôle moteur. Dans la même perspective, il vient aussi d’être démontré les effets positifs d’un entraînement en proprioception sur la capacité d’inhibition, cette fonction même qui intervient en situation de course lorsque vous devez ajuster votre comportement en fonction de votre objectif, discriminer une information pertinente parmi d’autres non utiles ou encore rectifier un déséquilibre pour éviter la chute. Bref, on parle ici d’un apprentissage a priori physio-mécanique (la proprioception) au profit d’une plus grande justesse cognitive (l’inhibition sélective). Des transferts parfois non-intuitifs mais pour le moins intéressants.

Dans une autre logique encore, plusieurs travaux récents ont étudié les potentiels effets croisés d’entraînements en environnements spécifiques sur des performances réalisées dans d’autres contextes. Un peu à l’image des réputés camps d’entraînement en altitude réalisés au profit de performances effectuées au niveau de la mer… Sont ainsi actuellement étudiées les adaptations initiées lors d’une acclimatation à la chaleur (en chambre chauffée) ou d’une acclimatisation (dans un environnement naturel chaud) sur d’éventuels bénéfices lors d’épreuves se déroulant en environnement tempéré. Et cela semble bel et bien marcher !! Si les mécanismes impliqués restent encore à définir (on est sur la piste d’une meilleure tolérance cellulaire), l’idée est séduisante – et invite d’ailleurs chacun à programmer avant la compétition quelques séances de home-trainer dans sa salle de bain ou son salon, radiateur enclenché.

 

Comment ça marche ?

L’idée reste finalement simple. Il s’agit en quelque sorte de cibler un paramètre (psychologique ou physiologique) clé de la performance, puis de le solliciter par d’autres biais que celui par lequel il est initialement activé. De la sorte, on peut spécifiquement entraîner ce paramètre pour le rendre plus efficace, en s’affranchissant (en tout ou partie) des contraintes associées à sa sollicitation habituelle. Stratégique, non ?!

Par exemple, si vous vous entraînez à revoir la chronologie de votre liste de course lors de vos séances au seuil, à calculer votre vitesse à vélo sur la base de votre cadence de pédalage, ou encore à réaliser un travail de vigilance important sur votre technique en parallèle d’une forte charge physiologique, vous engagez votre attention (à l’origine relativement disponible) dans une sollicitation supplémentaire en parallèle de votre investissement physique. Enjeu ? Le cerveau apprend alors à agir en multi-tâches et développe progressivement une plus grande efficience à fonctionner de la sorte. À l’échelle de la séance, la contrainte globale de la tâche s’en trouve plus grande et croissante avec la durée de l’exercice, sans même avoir à vous repousser dans vos retranchements physiologiques. Plasticité ! Et pour quels bénéfices à moyen termes ? Une plus grande capacité à tolérer la charge imposée par votre allure de course habituelle lors de votre course !

La réflexion suggérée par le système d’entraînements-croisés repose donc sur un processus double :

  1. Un premier volet de ce processus consiste à identifier les bénéfices associés à une séance donnée de son programme d’entraînement. Cela demande un minimum d’expertise sur l’entraînement… Derrière cela, l’idée sera d’envisager des sollicitations authentiques et spécifiques de ce bénéfice (ex : faire du sauna en plus des entraînements pour apprendre au corps à mieux évacuer la chaleur interne).
  2. Le second volet est complémentaire. Il s’agit d’identifier les coûts associés à cette nouvelle séance, pour limiter le développement d’effets non-recherchés de l’entraînement (ex : une fatigue mentale est la conséquence naturelle d’un excès de sauna).
  3. Par cette réflexion, lors d’entraînements que vous aurez redéfinis, vous pourrez alors jouer sur les deux tableaux : renforcer une qualité physique et limiter les éventuels effets néfastes de la charge d’entraînement.

Ici, le discours n’est pas de mettre en garde contre les contraintes inhérentes aux entraînements, bien au contraire. Il est d’inviter à adopter un regard critique à leur égard afin de jouer avec ces contraintes, de les modérer en fonction des objectifs et de votre état. Les accentuer en période de charge ou en situation de pleine fraicheur physique par exemple. Les réduire en période de stress importants et multiples. Au profit de la sollicitation d’autres facteurs de performance.

 

Sans intérêt ?

La question des effets réels de ces pratiques peut bien sûr se poser, notamment pour qui resterait encore dubitatif… Néanmoins, il est aujourd’hui établi que les qualités travaillées quotidiennement et depuis suffisamment longtemps sont très robustes. En d’autres termes elles deviennent relativement peu « désentrainables ». Rien ne vous interdit alors d’utiliser, lors de quelques séances ou sur des blocs temporaires, de nouveaux biais d’entraînement afin de modifier le stress encaissé, amener de la nouveauté et finalement avoir une corde de plus à votre arc…

Si les idées abordées sont encore naissantes, elles n’en restent pas moins attrayantes. Notre curiosité individuelle constitue certainement à cet égard un paramètre essentiel, un moteur, pour apprendre à identifier comment travailler nos points faibles sans pour autant délaisser les points forts. À se demander si les efforts les plus anodins n’en deviendraient pas source d’enjeux… Affaire à suivre.

Cyril Schmit

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