Moins de 2h au Marathon ? Théoriquement envisageable !

Depuis le passage sous les 2h03’ de Denis Kimetto en 2014 à Berlin (2h02’57), la sphère running s’est mise à rêver d’un potentiel passage sous une barrière des 2 heures. Deux semi sous l’heure, INCROYABLE ! Certains répondront utopiques, arguments défendables à l’appui. D’autres plus rêveurs cherchent des solutions, comme le fameux projet Nike.

Source : Sneakerfreaker

Passons les commentaires sur les aides extérieures non autorisées, ici l’idée n’est pas de rentrer dans les discussions de comptoir. Notre collègue Jean Claude Vollmer en grand spécialiste de l’entraînement d’athlètes de très haut niveau bottait en touche cette possibilité chronométrique – contenu disponible ici http://www.lepape-info.com/actualite/kimetto-kipkoche-bekeleou-la-preuve-par-3-de-limpossible-record/

Nous ne pourrons pas nous opposer à ces arguments infaillibles en tous points. Mais une équipe de chercheurs américains, sous la houlette du spécialiste, le professeur Wouter Hoogkamer a décidé au travers d’une très riche revue de littérature d’envisager le marathon parfait. Un marathon de laboratoire me répondrez-vous à la lecture de cet article. Je vous l’accorde, n’importe quel coureur à pied, quel que soit son niveau ne rencontrera jamais les situations parfaites décrites dans ce texte. Néanmoins, il permettra de faire émerger quelques boites à idées toujours bonnes à prendre pour retrancher quelques secondes à son record sans pour autant être meilleur physiologiquement. Bienvenu dans la science-fiction du marathon !

 

Allures sub-2 heures.

 

De nombreuses études ayant explorées les exigences du marathon ont toujours annoncé un passage sous les deux heures comme physiologiquement impossible… Pourtant, la descente régulière du record du monde depuis 1998 a fait fantasmer de plus en plus de suiveurs dont les 2h02’57’’ de Denis Kimetto ont plus que jamais stimulé la curiosité et l’imagination. Pourtant, en 1998 Liu et Schutz au travers de projections statistiques prédisaient un passage sous les 2h06’07’’ dans les années 2010, pour atteindre un historique record de 2h02’39’’ aux alentours de 2050… Echec, Ronaldo Da Costa sortait 2h06’05’’ à la sortie de l’article en 1998 et dès 2010 la légende Gebreselassie arrivait au ravitaillement d’arrivée en moins de 2h04. Fâcheux… Depuis la copie était revue et Joyner (2011) voyait un passage sous les 2h en 2022, lorsque Weiss et ses collaborateurs (2016) devraient attendre au moins 100 ans… Bref, pas très clairs ces scientifiques… En revanche, tous s’accordent sur le fait que seul un athlète aux qualités exceptionnelles pourrait l’envisager ! Les chiffres nous annoncent une VO2max entre 84 et 90 ml O2/kg/min, les connaisseurs sauront que ce n’est l’apanage que de quelques sportifs sur terre, un seuil exceptionnellement haut et surtout une économie de course presque inenvisageable.

Pourtant, il est assez rare pour ne pas dire exceptionnel de rencontrer un athlète mutualisant une telle VO2max avec l’économie de course nécessaire à ces distances. En se basant sur le record de Kimetto, ces chercheurs décidèrent donc plutôt que d’envisager un si hypothétique athlète, d’envisager des solutions biomécaniques permettant d’aider à cette fameuse économie de course. En plus de nous faire rêver à des chronos fous, cela pourra également être une source d’inspiration pour les 99,99% autres athlètes au départ.

 

Crédit : Reuters
Crédit : Reuters

 

Lien entre l’économie de course et la performance sur marathon.

 

Comme vous le savez tous très bien, votre performance sera majoritairement influencée par des facteurs physiologiques, biomécaniques et environnementaux. D’un point de vue physiologique, VO2max, les seuils lactiques et l’économie de course sont les principaux facteurs de performance identifiés. L’économie de course sera le seul facteur potentiellement influençable grâce à une amélioration d’aspects biomécaniques. Améliorer son économie de course pourra permettre de courir plus vite pour une même consommation d’énergie, donc d’améliorer potentiellement son chrono final au marathon. Hoogkamer et son équipe avaient montré un abaissement d’environ 1% de la consommation d’O2 à des allures faibles en retranchant 100g aux paires de running de coureurs. Par le passé, une autre équipe de chercheurs avaient montré une amélioration moyenne de 0.78% de la performance à un 3000m chrono, associé à une amélioration de 0,75% de leur économie de course pour les mêmes raisons. Voilà une idée à garder en tête.

Une performance de 1h59’59’’ au marathon équivaudrait à une vitesse moyenne de 21.1 km/h, soit un passage à chaque 1000 en 2’51. En nous basant sur le record mondial actuel, 2.5% d’amélioration seraient nécessaires… Je vous passe les explications, mais une perf abaissée de 2,5% requerrait une réduction d’environ 2.8% de l’économie de course, il va donc en manquer…  

Une résistance à l’air exponentielle. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que tout marathonien ne court pas sur un tapis roulant dans un laboratoire. Courir à 21.1 km/h  entraînera une résistance à l’air non négligeable qui aura un rôle sur le coût métabolique. Et cette augmentation n’est pas linéaire en fonction de l’augmentation de la vitesse. Traduction une vitesse augmentée de 2.5% entraînera un coût énergétique majoré de plus de 2.5%. Des chercheurs spécialistes du sujet ont suggéré qu’une économie de course améliorée de 2.7% à 2.9% serait nécessaire afin d’atteindre la vitesse nécessaire aux sub-2h et donc à une amélioration de 2.5% de la vitesse du record du monde actuel. Fort de ces mesures ces chercheurs ont estimé vis-à-vis de l’étude de marathonien élites Kényans que cette vitesse de course demanderait de développer une VO2 autour de 71 à 72 ml/kg/min à la vitesse de course de 21.1 km/h. Ces valeurs sont exceptionnelles puisque certains grands sportifs peuvent atteindre ces valeurs à VMA ! Mais ces calculs ne sont pas forcément utopistes puisque ces sportifs exceptionnels pourront parfois fleureter avec les 85 ml/kg/min de VO2max. Et lorsque l’on sait qu’il a déjà été montré dans ces populations la capacité à courir sur marathon à 84-85% de VO2max84% de 85 ml/kg/min = 71 ml/kg/min, nous y sommes !

Bien entendu, cela fait beaucoup de chiffres et l’athlète n’est pas qu’une machine à chiffre. Cependant, ceux-ci nous renseigne sur les « bases » de ce que demanderait un tel exploit (avec évidemment les écart-types propres à chacun) et nous permettre ainsi de développer sur de possible leviers de progression de cette économie de course souhaitée.

 

 

Coût métabolique du coureur à pied.

 

Différentes équipes de recherche ont depuis longtemps étudié le coût métabolique qu’implique l’action de course à pied. Pas de surprises celui-ci sera majoritairement dépendant du poids corporel et du temps de contact au sol des pieds. Ces études ont en effet montré qu’environ 80% du coût énergétique du coureur à pied est utilisé pour supporter le poids corporel et permettre la propulsion, tandis l’oscillation des jambes et l’équilibre latéral ne représenteront pour leur part que 7 et 2%, respectivement. Enfin, 11% de ce coût sera lié au travail cardio-pulmonaire (ventilation, travail cardiaque, etc.). Fort de ces constats, l’objectif de cette équipe de chercheurs a donc été de proposer des solutions pouvant potentiellement permettre de réduire ces coûts sans modification de l’entraînement ou des qualités physiologiques/biomécaniques/psychologiques.

Poids du coureur. Je ne vais surprendre personne, mais différentes études ont montré qu’il était possible de réduire le coût métabolique de déplacement en diminuant le poids corporel du coureur (tapis anti-gravité, course avec harnais aidants, etc.). Diminuer le poids corporel pourrait donc être une belle opportunité pour améliorer la performance. Cependant, le poids sera un indicateur difficile à modifier dans cette population. En effet, bien que beaucoup de cyclistes ou de coureurs ont utilisé la restriction calorique, ces marathoniens élites étant déjà extrêmement maigres, il parait difficilement envisageable d’espérer pouvoir réduire leur poids corporel par une diminution de leur masse graisseuse. Certains sports comme ceux de combats peuvent privilégier des techniques de déshydratation comme perte de poids, seulement dans un sport d’endurance comme le marathon, les bénéfices d’une perte de poids par déshydratation seront contrebalancés par les effets néfastes d’une déshydratation.

 

Crédit : IAAF
Crédit : IAAF

 

Déshydratation ?

 

Pour un marathon de 2h, la problématique de la thermorégulation pourra être essentielle. En effet, à une intensité de 70 ml/min/kg pendant 2h la quantité de chaleur produite pourra être très importante. Ainsi, même si la température ambiante n’est pas chaude, être en capacité de réguler sa température par l’intermédiaire de la sudation sera essentiel ! Il parait donc primordial de planifier un objectif chronométrique sur marathon lorsque l’ambiance thermique s’y prêtera : saison, lieu, horaire de course, etc., afin de limiter le risque face à thermorégulation trop importante. Une étude menée auprès de marathonien élites a montré une diminution moyenne du poids corporel de 8.8% à l’issue des 42.195 km. Plus précisément, Haile Gebreselassie avait par exemple perdu 9.8% de poids corporel pendant le marathon de Dubaï 2009, terminé sur le chrono de 2h05’29. Ces différentes observations indiquent qu’il pourrait être préférable de limiter la déshydratation pendant la course, comme souvent recommandé, et d’éviter toute déshydratation intentionnelle peu appropriée à notre spécialité. Oublions donc ! Par ailleurs, ce point nous renseigne sur le fait qu’une bonne thermorégulation sera essentielle à toute performance de pointe sur la distance.

 

 

L’équateur !

 

Habituellement, la masse corporelle et le poids sont intrinsèquement liés. Cependant, le poids corporel peut être modifié indépendamment en modifiant l’accélération gravitationnelle. Traduction : l’accélération gravitationnelle est 0.31% moins importante près de l’équateur qu’à Berlin, lieu de tous les derniers records. Le poids corporel représentant environ 65% du coût métabolique total de fonctionnement, une économie de 0.20% serait possible au niveau de l’équateur, soit environ 20 secondes de gagnées sur un marathon. Problème… les ambiances thermiques y seront un vrai problème…oublions donc pour l’équateur.

Une autre façon de réduire le coût métabolique pourrait être d’optimiser les propriétés d’amorti et de restauration d’énergie au sol. Des chercheurs ont par exemple développés des chaussures avec une semelle diminuant l’action verticale pour une meilleure propulsion vers l’avant et avec un amorti minimal. Celles-ci étaient associées avec un coût métabolique diminué de 12%. Cela diminuait la flexion de genou nécessaire pour supporter le poids corporel et donc dans le même temps le coût métabolique, mais il serait difficile de supporter cela sur la longueur d’un marathon. D’autre part, un coût métabolique inférieur était observé pieds nus sur tapis roulant rembourré de 10% de mousse, seulement l’IAAF exige dans son règlement des surfaces route/béton/macadam. Quelles solutions sont viables ?

 

 

Propulsion vers l’avant

 

Réduire le coût énergétique lié à la propulsion vers l’avant fourni une très importante opportunité d’amélioration de l’économie de course. La propulsion vers l’avant exige un important coût métabolique car le coureur doit générer une impulsion propulsive lors de la seconde moitié du temps de contact au sol pour compenser l’action de freinage généré dans un premier temps. Lors de celle-ci, il devra par ailleurs lutter contre les forces de résistance de l’air. Celles-ci seront donc très importantes à une vitesse de 21.1 km/ qu’il faudra associer au poids d’un coureur de ce niveau (≈ 58 kg). Avec ces éléments en tête, comment un coureur pourrait-il réduire son coût de propulsion vers l’avant lors d’un marathon ?

 

 

Drafting

 

Le drafting est un terme peu utilisé en course à pied à l’inverse d’autres sports d’endurance. Il représente tout simplement l’abri derrière une autre personne permettant de diminuer les résistances à l’air. Des études ont montré qu’à une vitesse de 15 km/h, un drafting d’1m pouvait réduire de 93% les résistances à l’air et de 6.5% la consommation de VO2. Or, une diminution de 36% des résistances à l’air serait suffisante afin de connaitre une économie de 2ml de consommation d’oxygène, donc potentiellement envisager le passage sous les 2h d’un coureur valant 2h03. Kimetto était « protégé » par ses lièvres au 1er semi, nous allons donc estimer que cette 1ère moitié de marathon record était optimale. Or, il existe à l’heure actuelle peu de plateaux permettant des lièvres sur deux semis consécutifs sous l’heure (« seulement » 130 sur un seul semi…). Une solution simple serait un marathon en plusieurs boucles où l’athlète récupérerai des lièvres frais s’étant économisés sur un petit jogging en attendant son passage…mais l’IAAF interdit ce type de scénario dans ses règlements… A Berlin, les lièvres avaient commencé à « sauter » sur ce second semi, Kimetto et Kipsang s’expliquant côte à côte pour un final haletant…mais sans avantage aérodynamique.

 

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Une seconde solution, cette fois-ci autorisée, serait donc une course type contre la montre par équipe en cyclisme ou des marathoniens d’un niveau très proche joueraient le jeu du record au travers de relais dont la vitesse serait calibrée et protégeant les prétendants « aux 1h59’59 ». Il faudrait donc pour cela monter un plateau avec quelques athlètes d’exception (2h04-05) acceptant d’effectuer ce travail ingrat contre une prime conséquente. Organisateurs, sponsors, la balle est dans votre camp !

Un peu de rêve dans ce monde de chiffres. Si nos marathoniens étaient des « rats de laboratoire » en oubliant les problématiques de terrain, cette réduction maximale de la résistance à l’air de 93% nous projetterait vers un second semi record en 57’22. Cependant, lorsque l’on sait que le record du monde du semi sec est de 58’23 il faut tout de même garder les pieds sur terre. Mais soyons fou et rêvons ! Nous sommes au départ d’un marathon avec les 4 mobylettes actuelles : Kimetto 2h02’57, Bekele 2h03’03, Kipchoge 2h03’05 et Kipsang 2h03’13. La chasse au record est lancée et un pacte est passé : chaque coureur passe sont relais en tête pendant 3’, puis retourne se placer en queue de peloton comme au mois de juillet sur le Tour de France. En théorie, d’un point de vue physiologique cela pourrait nous donner un second semi à 21.67 km/h, soit 58’24. Le record  du monde du semi dans un marathon ! Si l’un saute au semi cela prédirait 58’51, si la collaboration finale se jouait à deux, 59’30. Les relais de 3’ sont un exemple il pourrait évidemment être discutés des relais plus ou moins longs. Mais en tous les cas l’idée est lancée. Evidemment, cela reste du tableau noir, mais la science est là pour nous donner des idées, cela est évidemment à tester sur le terrain, sans oublier que certains athlètes ne seront pas forcément de bons répondeurs à ce type de stratégie demandant d’alterner phase plus intense en tête et phase de récupération relative dans les pieds. De plus, certains coureurs possèdent une foulée peu économique à l’abri d’autres coureurs. Une dimension mentale sera également à prendre en compte puisque ce type de scénario est très spécifique, certains marathoniens ne seront pas forcément capables de s’impliquer 2h dans celui-ci. Bref, une idée de plus, mais en aucun cas une vérité.

 

Assistance au vent.

 

Vous l’aurez vu venir : courir vent dans le dos ! A la lecture des règlements IAAF il parait presque impossible de planifier un marathon vent dans le dos tout du long. La meilleure hypothèse semblerait être celle-ci : une boucle initiale de 21.1 km type hippodrome, soit non linéaire mais sans virages serrés et qu’elle soit au maximum protégé par des bâtiments, forêts ou butes par exemple. Donc une première partie presque parfaite, par exemple courue à la vitesse moyenne du record de Kimetto, soit 1h01’29 à la sortie du 1er semi. A la suite de ce semi, l’hypothèse parfaite serait un second semi en ligne droite avec l’objectif de courir 58’30 afin de passer sous les 2h. Une étude a justement étudié les effets d’un vent de face ou de dos de 5 à 65 km/h. Cela semblerait nécessiter un vent de dos de 10 à 22 km/h. 3 études apportent finalement des résultats différents. D’autres études seraient nécessaires avant toute conclusion. Cependant, même la valeur maximale (vent à 22 km/h) semble raisonnable et ne pas aller contre les règles de l’IAAF. Nous pouvons par exemple rappeler l’ancien record non homologué de Geoffrey Mutai en 2h03’02 à Boston en 2011 avec un vent positif de 33 km/h, mais un dénivelé trop important et surtout un écart entre le départ et l’arrivée trop éloigné (42 km en ligne droite…ici vent dans le dos !). L’IAAF autorise cet écart entre le départ et l’arrivée de 50% de la distance totale : nous sommes donc dans les clous ! Une solution de plus de rêver !

 

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Dénivelé.

 

Pas de surprise, la course en descente va diminuer le coût métabolique pour une même vitesse. En 2014, Kimetto avait connu à Berlin une élévation maximale de 53m au-dessus du niveau de la mer entre les 27 et 28ème kilomètres, puis un faux-plat descendant de 16m sur les 10km suivants associé à son passage le plus rapide avec une moyenne de 21.672 km/h (6.02 m/s). Selon des estimations réalisées en fonction de recherches sur le sujet, une dénivellation négative de – 0.53 à -0.60% serait nécessaire pour espérer un gain de temps nécessaire au sub-2h. Soit une perte de 223 à 253m. Cependant, l’IAAF n’autorise qu’une dénivellation négative de 42.2m. L’estimation pour ce type de parcours et avec ce type d’athlète amènerait à un gain d’environ 28 sec.

 

 

Action des jambes.

 

Le mouvement des jambes représente donc environ 7% du coût métabolique de déplacement. Cependant, la masse des jambes pourra fortement influencer cette estimation. En effet comme la partie inférieure des jambes (pieds) accélère et ralenti plus rapidement que la partie supérieure (cuisses), des variations de poids sur la partie inférieure pourront avoir un réel impact sur le coût métabolique. Dans ce sens, certaines recherches ont eu pour objectif de démontrer que la formidable économie des coureurs de l’Est Africains pourrait également être expliquée par l’anatomie très fine de leurs mollets, tibias et chevilles. Mais, les quelques études menées sur de possible gains d’économies lors du port de prothèses tibiales plus légères que des jambes naturelles, n’ont pas montré d’intérêt pour ce type de course. Pas de panique, nous pouvons donc garder nos jambes. En revanche, ce constat amène un élément intéressant dans la compréhension des performances de haut niveau, bien que comme chaque fois il ne faille pas tirer de conclusions hâtives car nous pourrions rétorquer qu’être fort en jambes aura également un intérêt pour prévenir la fatigue liée à la distance.

 

Design des chaussures.

 

En revanche de façon beaucoup plus simpliste et réaliste il semble possible de réduire la masse de la partie inférieure des jambes au travers du choix des chaussures. Les spécialistes se rappelleront d’Abebe Bikila établissait en 1960 un record du monde en 2h15’16 alors qu’il courait pieds nus. Seulement, depuis tous les records ont été établis chaussures aux pieds. Une étude déjà vielle de plus de 30 ans montrait que pour chaque ajout de 100g sur chaque chaussure, la consommation d’oxygène augmentait d’environ 1% à des vitesses inférieures à 12 km/h. Il a par la suite été montré que cette règle des 1% était légèrement abaissée (≈ 0.75%) à des vitesses plus hautes. Enfin, cette équipe avait comparé des coureurs pieds nus ou portants des chaussures de 290g pour finalement ne conclure aucunes différences sur leurs consommations d’oxygène. D’un côté le poids était contrecarré par le bénéfice de l’amortissement, quand de l’autre côté le gain de poids était abaissé par les efforts musculaires engendrés par la course sans chaussures. Courir pieds nus ne comporte donc pas de masse ajoutée, mais nécessite une plus forte énergie métabolique liée à l’amortissement. Lorsque courir muni de chaussures exigera plus d’énergie afin d’accélérer la masse de la chaussure, mais fournira un amorti qui réduira le coût métabolique.

Très récemment une équipe de recherche a confirmé implicitement l’hypothèse précédente. Pour cela, ils ont posé des mousses amortissantes de 10 et 20mm sur un tapis de course. Puis les athlètes devaient courir pieds nus ou avec chaussures. Ici courir pieds nus mais avec un sol rembourré permettait une économie d’énergie d’environ 1.6%. Ces mêmes athlètes ont donc également couru avec chaussures (230g) et cette condition n’était pas plus intéressantes que pour celle pieds nus sur surface dure.

 

Quelles solutions ?

 

Une étude suivante a voulu comparer une course avec chaussure minimaliste (129g) mais présentant un bon amorti à des barefoots (chaussons pieds nus). Les coureurs minimalistes montraient une économie 2.5% meilleure que les sportifs pieds nus. Hors lors du record du monde, Kimetto portait un modèle Adidas adios boost 2, annoncée par la marque à 244g. Il est parfaitement envisageable d’imaginer une chaussure dont la structure serait rabotée de 100g sans en modifier les propriétés d’amorti. Par extrapolation vis-à-vis des précédentes études, le gain sur l’économie de course serait d’environ 1%, soit un marathon en 2h01’53.

 

Quel amorti ?

 

Visiblement il n’y a pas un type de matériel d’amorti se dégageant. Une étude comparant le système Boost (adidas) avec l’EVA (gel, air, wave… principales autres marques) a montré une amélioration de 1% de l’économie pour le système Boost. Mais, il y a bien longtemps, en 1980, Frederick et son équipe, montraient une économie améliorée de 2.8% avec un système d’amorti sur coussin d’air vis-à-vis des EVA.

 

Quel dessin de semelle ?

Une autre caractéristique a potentiellement puiser dans la littérature scientifique est l’utilisation d’une semelle intermédiaire augmentant la rigidité de flexion du pied. Une étude a comparé une semelle permettant une flexion longitudinale classique (18 N/m) contre une paire de chaussures similaires, mais avec une fibre de carbone sur toute la longueur de la semelle permettant d’augmenter la rigidité à 38 N/m. L’économie était améliorée de 0.8% lorsque la rigidité était de 38 N/m.

Pris dans leur ensemble, ces résultats concernant le choix de technologie des chaussures pourraient être une solution de plus pour potentiellement espérer faire approcher le record des 2 heures. La combinaison entre une économie de poids (- 100g), des semelles plus rigides sur coussin d’air pourraient potentiellement augmenter l’économie de course, donc le résultat final avec une vitesse de course augmentée pour un même effort physiologique.

 

 

Synthèse et conclusion.

 

La figure ci-dessous illustre le marathon « parfait » si tous les scénarii que nous avons discutés sont combinés en une seule course. Bien entendu, cela reste du marathon virtuel. Mais, la science nous renseigne sur de possibles leviers à utiliser. Ici la stratégie coopérative (drafting) et celle de vent porteur sont prise de façon séparée, mais chacune pourra interagir sur l’économie de course par rapport à l’autre. En partant sur 2 stratégies exclusives avec un premier semi commun aidé de chaussures designées, puis une séparation au second semi avec toujours les chaussures + le faux-plat descendant de 42m + soit un drafting à 4 coureurs, soit le vent porteur à 22 km/h. Sur le papier, ces deux stratégies pourraient permettre de faire sauter les deux heures. 1h58’21 pour l’option drafting et 1h58’27 pour celle du vent. 

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Vous l’aurez compris l’objectif de cet article est de rêver à la course parfaite, ne demandant pas potentiellement plus d’effort à l’entraînement pour ces athlètes et respectant le règlement IAAF. Cela demanderait donc une concertation entre les organisateurs de course, les athlètes élites, les ingénieurs des sponsors chaussures et des conditions météorologiques optimales. De multiples facteurs peu simples à imbriquer mais envisageables.

 

Et pour vous !

 

Rapporté à plus niveau pour tous ceux visant des objectifs chronométriques à l’approche des nombreux marathons de printemps il sera possible de s’appuyer sur certains de ces points levés tout en prenant du recul. Tout d’abord être « malin(e) » sur le choix du marathon : parcours plutôt descendant, peu de virages serrés, météo potentiellement fraiche et peu humide. Ensuite, il sera d’une grande aide si vous pouvez effectuer cet objectif avec un ou plusieurs collègue(s) visant le même chrono. Respectez vos allures cibles, courrez l’un derrière l’autre en modifiant le meneur et pas l’allure et soutenez-vous moralement (respect des vitesses cibles, moments stratégiques de ravitaillement, encouragements). Faites cela au moins jusqu’au 35ème. Ce sera tout de même plus de 80% de l’effort mené avec des ami(e)s, protégé et soutenu, non négligeable ! Pour le vent, malheureusement il faudra avoir de la chance. Tout de même, vous pouvez vous renseigner sur les années précédentes. Vous pourrez ne pas avoir de chance pour votre année de venue, mais des grandes tendances pourront ressortir. Regardez donc comme pour la température et l’humidité les grandes tendances de vent et croisez les doigts le jour J. L’idéal étant évidemment un vent porteur en seconde partie lorsque la fatigue se fera sentir. Pour la pente pas de surprise vous pourrez avoir l’info en amont. Dénivelé plutôt négatif (respectez les règles IAAF pour ne pas avoir l’impression de détenir un record au rabais) et surtout que cela se fasse en douceur. Pas de descente ou de côte à fort pourcentage dans le parcours auquel cas cela s’avérera trop couteux musculairement et physiologiquement. Pour les chaussures vous avez compris : légères mais avec un bon amorti. En revanche, cela reste très individuel. C’est-à-dire qu’il faudra choisir celles que vous emmèneront jusqu’au 42ème sans dommages musculaires ou petits bobos. Tout le monde ne s’appelle pas Kipchoge capable de courir 2h04’00 sans semelles…dès le 1er kilo.

 

Ensuite, vous connaissez vos classiques : respect des allures, réglé comme des horloges sur l’hydratation et la nutrition en course. Tout le monde ne pourra pas viser 2h, mais chacun aura son objectif personnel : finisher, 4h30, 3h45… limitez donc la prise de risques au maximum et le plaisir en sera décuplé au passage de la ligne d’arrivée. Cette course n’est vraiment pas une science infuse donc ne partez pas à l’abordage pour vous éclater quel que soit le résultat final.

Bon courage à tous !

Pour suivre l’actualité d’Anaël AUBRY sur Twitter : @AUBRYANAEL et Facebook : http://facebook.com/Anael.AUBRY.Sport.scientist

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3 réactions à cet article

  1. Bravo pour cette contribution très complète; ce qui m’y frappe- positivement, c’est qu’à l’heure de l’IA, de l’homme transformé ou du robot humanoïde, la science reste concentrée autour des performances de l’individu. La chaussure est contributrice mais c’est bien le coureur qui fera la différence, son comportement, son environnement et non la technologie. C’est rassurant envisager le progrès (et quel progrès !) sous le contrôle de l’homme et grâce à la connaissance . Bon je m’y met pour passer sous la barre des 3h15 alors 🙂 Merci .

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  2. On peut écrire beaucoup de choses mais pour passer de +/-2h09’… à +/-2h01’… il aura fallu 48 ans (un peu moins de 8’ d’amelioration) la minute 41 qu’il manque ce ne sera pas avant au moins 15 ans,… sauf phénomène qui débarque d’une autre planète,…

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  3. Merci pour ce fabuleux article. Je voudrais tout de même souligner que cet article n’est pas totalement sans influence. Le second auteur de l’article original (Rodger Kram) est consultant pour Nike et payé par Nike. Il a donc tout intérêt à publier un article qui validerait la faisabilité d’un projet sub-2H…

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