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Assis sur la selle ou danseuse ? (1/3)

Assis sur la selle ou être en danseuse ? Qu’est-ce qui explique ces différentes postures sur le vélo ? Pourquoi ne réagissons-nous pas tous de la même manière face aux relances, aux attaques ou aux montées ?

Pourquoi certains restent-ils sur leur selle « Ad vitam æternam » tandis que d’autres optent spontanément pour la danseuse ? Et au fond, existe-t-il une position plus avantageuse selon le terrain ou la situation ?

Dans une série de 3 articles nous allons étudier les efforts demandés, les conséquences, les conditions de la mise en place de telle ou telle position.

Dans ce premier article, nous allons nous intéresser au concept de synergies musculaires et de la nécessité de se mettre en danseuse sur les efforts de haute intensité.

Introduction

Amis cyclistes, je tenais tout d’abord à vous parler des trois types de coureurs cyclistes que je rencontre au quotidien sur mes sorties d’entraînement et que j’ai très subjectivement nommé le « forçat », le « chien fou » et le « danseur ».

Vous les connaissez-vous aussi, ils évoluent parmi nous en permanence et vous êtes peut-être même l’un d’entre eux.

D’abord, il y a le coureur-forçat, celui qui a visiblement fusionné avec sa selle. Peu importe les circonstances, son postérieur reste fixe quoiqu’il arrive. Une relance ?

Pas de problème : il appuie juste plus fort sur les pédales, stoïque. Une attaque ? Il lisse son effort avec un calme olympien et finit par recoller dans les 500 mètres suivants. Une montée raide ?

Rien ne l’ébranle : il agrippe son guidon, bascule son bassin vers l’avant et appuie tant que cela est nécessaire.

Ensuite, nous avons la « race » des agités, autrement plus agaçante, enfin en tout cas, qui moi, m’agace. Vous voyez, ce sont ces cyclistes incapables de tenir en place, toujours en danseuse, véritables « chiens fous » de la route.

On observe souvent ce comportement chez les jeunes coureurs qui canalisent difficilement leurs efforts, ou chez ce collègue de sortie « trop facile » par rapport au reste du groupe. Il joue avec vous en permanence, il discute, monte et descend dans le groupe, part en attaque ou contre, comme un gamin hyperactif.

Avouons-le, c’est légèrement agaçant mais aussi il faut bien l’admettre, assez fascinant à regarder.

Enfin, « le grimpeur-danseuse ». Dès que la pente s’élève, hop ! Il quitte la selle comme s’il avait des ressorts sous les fesses et reste en danseuse du pied au sommet.

On le reconnaît facilement : son vélo bascule de gauche à droite de manière rythmée, associé à une forte ondulation du buste.

Son style… ? Nous le qualifierons, « d’artistique », digne d’un Contador, même si, soyons honnêtes, le moteur est souvent loin du légendaire grimpeur espagnol. C’est spectaculaire, parfois maladroit, mais est-ce franchement rentable… ?

Définition de la danseuse

Tout d’abord, accordons-nous sur ce qu’est cette technique que nous appelons dans le jargon cycliste « La Danseuse ».

Loin de la ballerine, tant notre niveau de grasse est éloigné de cette dernière, cette position désigne en cyclisme, une posture où l’on se met debout sur les pédales, effectuant un mouvement de balancier du vélo de gauche à droite.

On utilise ainsi deux points d’appuis que sont le cintre et les pédales, en lieu et place de nos trois points d’appuis traditionnels permettant au buste de maintenir une posture plus verticale, mobilisant d’avantage les différentes chaines musculaires. Elle est utilisée parfois simplement pour soulager temporairement les muscles ou son sieur postérieur, dans des montées raides ou lors de fortes accélérations, comme sur un sprint.

Mais attention cette « danseuse » idéale pour les passages courts et intenses, nécessite une bonne coordination et une technique efficace pour rester performant sans se fatiguer trop rapidement.

Le concept de synergies musculaires et leur comportement lors du changement de position

Bien que le cyclisme se pratique majoritairement en position assise, nous avons vu précédemment que nous choisissons spontanément la danseuse lors de l’ascension de pentes raides ou d’accélérations, favorisant une forte production de puissance. 

À ce titre, la cadence diminuera, la bascule du haut du corps engendrera une avancée du bassin et des genoux, ce qui aurait pour incidence une contribution musculaire différente de la position assise.

Une des hypothèses expliquant la préférence pour la position en danseuse, notamment en montée, pourrait être liée à la capacité de coordination musculaire du cycliste. En jargon scientifique, on parle de synergies musculaires. Ces synergies musculaires font référence à la coordination entre différents groupes musculaires et leur sollicitation dans le temps, afin de produire un mouvement fluide et efficace.

Elles permettent aux muscles de travailler de concert, pour générer la force nécessaire au pédalage, tout en minimisant le coût énergétique.

Une équipe de recherche toulousaine (Turpin et al. 2017.), a étudié ces synergies musculaires du membre inférieur en position assise et en danseuse, chez des personnes non entraînées et non cyclistes.

Leur hypothèse était que les stratégies d’activation musculaire varieraient entre les deux positions et seraient influencées par la puissance développée. Pour ce faire, 10 hommes, non cyclistes furent soumis à un protocole où le poids corporel (corps délesté, poids normal ou 120 % du poids corporel) et la cadence de pédalage (50, 70 ou 90 rpm) variaient.

Lors de cinq sessions en laboratoire, les participants ont suivi le protocole décrit dans la figure 3. Après un échauffement de 5 minutes, ils ont effectué un effort de 20 s à 200 W, suivi de 40 s de récupération à 50 W. La puissance était ensuite augmentée par paliers de 25 W jusqu’à ce que chaque sujet choisisse spontanément de passer en position debout (danseuse) pour répondre à l’intensité demandée.

Ce moment, ainsi que la puissance correspondante, ont été définis comme le point de transition assis/danseuse (SSTP dans l’article). Ils ont ainsi obtenu 5 SSTP différents dépendamment de la condition de test proposée.

Après 5 min de récupération, fut proposé la réalisation d’effort de 20 s, séparés de 3 min de récupération à différents pourcentages de SSPT ou chaque sujet pédalait assis ou en danseuse, soit un total de 12 réalisations.

Lors de ces efforts, une analyse électromyographique, réalisée à l’aide de capteurs placés sur huit muscles (tibial antérieur – TA, soléaire – SOL, gastrocnémien – GM, vaste latéral – VL, vaste médial – VM, droit fémoral – RF, biceps fémoral – BF et grand fessier – Gmax), a permis d’évaluer l’activité musculaire.

Ils trouvèrent que la transition « spontanée » entre la position assise et la danseuse (SSTP) s’effectuait aux environs de 582 ± 103 W, soit 80 à 85 % de la puissance maximale de ce public non spécialiste.

L’analyse des patterns d’activité musculaire lors du pédalage a montré l’apparition de quatre synergies musculaires indépendamment de la position assise ou danseuse :

  • La première, concerne l’activation majeure du rectus femoris et du tibial antérieur dans l’initiation du cycle de pédalage (270° à 30° de rotation, le point mort haut correspondant à 0°).
  • La deuxième synergie, concerne les muscles extenseurs de la hanche et du genou, avec l’activation majoritaire des quadriceps notamment les vastes latéral et médial ainsi que les fessiers, on retrouve un léger renfort du soléaire et du rectus femoris (0° à 120°).
  • La troisième synergie, concerne cette fois les muscles extenseurs de la hanche et de la cheville. On retrouve l’activation des muscles du bas de la jambe (soléaire et gastrocnémien médial), des grands fessiers et dans une moindre mesure une partie des ischio-jambiers à savoir le biceps fémoral (45° à 180°).
  • La dernière synergie correspond aux différentes fermetures, on parle ici des muscles fléchisseurs que sont principalement les muscles des ischios-jambiers, le biceps fémoral et le semi membraneux (180 à 230°).

Bien que ces synergies musculaires soient identiques en position assise et en danseuse pour des novices, un décalage temporel de l’activation musculaire est observé en danseuse pour les muscles responsables de l’extension de hanche, du genou et de la cheville (synergies 2 et 3).

À des intensités comprises entre 40 et 80 % du SSTP, la danseuse induit une activation plus faible des ischio-jambiers et une plus grande sollicitation des muscles extenseurs.

Toutefois, aux faibles intensités, l’activation des ischio-jambiers est similaireen position assise et debout, tandis qu’à des intensités supérieures à 120 % SSTP, l’activation des extenseurs du genou est moins importante en danseuse.

En pratique, rester assis sous 80 % SSTP semble plus efficient, car la danseuse impose un coût musculaire élevé, notamment pour stabiliser le haut du corps. Au-delà de 80 % SSTP, la danseuse devient plus avantageuse sans engendrer de surcoût pour les ischio-jambiers.

Au vu de ces résultats, vous pourriez vous dire : « A quoi bon se mettre en danseuse, sachant que cette position ne devient réellement avantageuse qu’à des puissances bien supérieures à ma PMA ? ». Lors de nos sorties sur route, nous passons assez facilement en danseuse dès que la pente s’élève ; ou ce n’est que moi peut être….

Mais ce qui est sûr, c’est qu’aucun de nous ne va jouer en se mettant à PMA, surtout si la montée est longue. Autre élément à garder en mémoire, rien ne dit si pour des cyclistes amateurs ou des cyclistes pro, ce SSTP apparaitrait à des intensités plus précoces ou tardives, il faut donc considérer ces résultats avec prudence mais ils donnent une première orientation.

Allons voir si cette position danseuse est uniquement préférable sur les hautes intensités.


Le départ : assis ou debout ?

Lorsqu’on pédale, le changement de posture entre la position assise et la position dite « en danseuse » est un geste bien connu des cyclistes tel qu’évoqué précédemment.

Les fondements biomécaniques de ce phénomène sont aujourd’hui mieux définis et semblent être liés à un avantage mécanique accru ou à une activité musculaire clé plus importante, notamment du tibial antérieur, de l’érecteur du rachis et du biceps brachial en adoptant une posture debout, par rapport à une posture assise.

Mais ne devançons pas les choses, nous rentrerons dans les détails plus tard. Cependant, cette posture exigeante n’est pas sans contreparties : elle sollicite davantage les muscles, augmente la dépense énergétique et entraîne une résistance à l’air plus importante.

En revanche, l’activation musculaire lors d’un départ arrêté en position debout et les enjeux de cette position ont été examiné dans une étude de 2016 par Padulo et ses collaborateurs (Padulo et al. 2016). Allons voir de plus près ce qu’il en ressort.

11 cyclistes amateurs ont participé à cette étude, réalisant des sprints maximaux, départs arrêtés, en position assise et en danseuse, mains en bas de cintre, à la fois sur ergocycle et sur piste (5 sprints de 5s assis et en danseuse avec 4 min de récupération entre chaque effort soit un total de 20 sprints).

Ils obtinrent en moyenne 10% de vitesse supplémentaire, sur les 5 premiers mètres, lors des départs arrêtés en danseuse vs assis. La raison à cela, une activité électromyographique différente entre les deux postures.

Les résultats indiquent que l’activité du gastrocnémien médial (GM) n’a pas différée entre les deux postures, tandis que celle du tibial antérieur (TA), de l’érecteur du rachis et du biceps brachial augmentait en position debout, principalement lors du premier coup de pédale.

Ces activations musculaires entraîneraient un transfert amélioré de puissance aux membres inférieurs, notamment celle du biceps brachial qui contribuerait à réduire les déplacements verticaux indésirables du centre de masse.

De la même manière, une activation plus importante du TA pourrait être présente pour augmenter la rigidité de l’articulation de la cheville, permettant d’améliorer l’efficacité des muscles des membres inférieurs principalement activés lors du cycle de pédalage.

In fine, adopter la position en danseuse lors d’un départ arrêté améliore les performances grâce à une accélération initiale plus rapide.

Je vous vois venir, vous allez me dire : « Ok mais tu nous parle des premiers coups de pédale, or le cyclisme c’est un enchainement de cycles de pédalage et de plus la position debout offre une plus grande résistance à l’air et à l’avancement ».

C’est tout à fait juste, la danseuse à un cout métabolique plus élevé, associé à une résistance aérodynamique accrue à certaines intensités (pas toutes mais nous le verrons plus tard). Par conséquent, une posture debout semble avantageuse et métaboliquement viable uniquement pour des périodes de courte durée, impliquant une forte accélération et un couple élevé.

C’est exactement ce que l’on voit se produire chez les puncheurs en cyclisme sur route, ou lorsque des grimpeurs comme Pogacar, souhaitent changer de rythme ou distancer leurs adversaires.

C’est également ce que l’on observe en VTT XCO, une épreuve ou les athlètes réalisent un effort en danseuse, d’environ 7 s au-delà de PMA toutes les 40 s de course.

Il est peut-être intéressant également d’y associer les physiques de ces personnages. Si l’on exclut les grimpeurs de l’équation, on se retrouve avec des profils physiques plus musculeux, à l’image de cyclistes comme Wout Van Aert ou Mathieu Van Der Poel, ou encore les vététistes XCO d’aujourd’hui.

Cela oriente clairement notre approche de l’entraînement et de la préparation physique pour les athlètes qui ont ces profils ou pratiquent ces disciplines. Cette compréhension des contributions musculaires lors des passages assis/danseuse éclaire notre modèle de performance dans notre activité et va permettre de proposer des programmes d’entraînement plus individualisés.

Conclusion

Vous l’aurez compris, les synergies musculaires guident la qualité de notre exécution du pédalage. Ces synergies, bien que décalées dans le temps quand on se met en danseuse, sont sensiblement les mêmes que lorsque nous sommes assis sur notre selle. En tout cas chez le non pratiquant.

Malheureusement pour beaucoup de cyclistes, les raideurs musculaires et le manque de force vont parasiter ces synergies, générant des « co-contractions » qui vont limiter le développement de puissance mais par-dessus tout l’efficacité de pédalage.

La prise de conscience de son corps et de son fonctionnement par des exercices spécifiques sur et en dehors du vélo paraissent à ce titre, totalement indiqués.

Que vous pratiquiez la route, la piste, le cyclo-cross, le BMX ou le VTT cross-country, adopter la danseuse pour changer de rythme, accélérer ou démarrer, reste la stratégie la plus efficace.

Cette posture vous permet de maximiser la force générée afin de surprendre vos adversaires. Cependant, pour en tirer pleinement parti, votre système musculaire doit être fonctionnel, et cela ne peut s’obtenir en ne faisant « que » du vélo.

Cyclistes, élargissez vos horizons ! Intégrer ponctuellement du yoga, des exercices de respiration, du renforcement musculaire ou d’autres pratiques sportives, enrichira votre répertoire moteur et améliorera vos synergies musculaires. À défaut, variez vos exercices sur le vélo pour perturber vos coordinations ou en apprendre de nouvelles et progresser efficacement.

Je vous retrouve dans le prochain article pour examiner l’impact des positions assises et danseuses mais à des intensités proches de PMA afin de comprendre dans quelle mesure vous êtes plutôt le « forçat » ou le « chien fou » que je décrivais et comprendre si ces façons de rouler ont un intérêt particulier.

Cyril GRANIER

Docteur en sciences du sport

Pour aller plus loin :

  • Costes A, Turpin NA, Villeger D, Moretto P, Watier B. Influence of Position and Power Output on Upper Limb Kinetics in Cycling. J Appl Biomech. 2016 Apr;32(2):140-9. doi: 10.1123/jab.2014-0295. Epub 2015 Nov 17. PMID: 26575861.
  • Padulo, J., Ardigò, L. P., Milić, M., & Powell, D. W. (2016). Electromyographic analysis of riding posture during the bicycling start moment. Motriz: Revista de Educação Física, 22(4), 237-242. https://doi.org/10.1590/S1980-6574201600040003
  • Turpin NA, Costes A, Moretto P, Watier B. Can muscle coordination explain the advantage of using the standing position during intense cycling? J Sci Med Sport. 2017 Jun;20(6):611-616. doi: 10.1016/j.jsams.2016.10.019. Epub 2016 Nov 17. PMID: 27889272.
  • Watier B, Costes A, Turpin NA. Modification of the spontaneous seat-to-stand transition in cycling with bodyweight and cadence variations. J Biomech. 2017 Oct 3;63:61-66. doi: 10.1016/j.jbiomech.2017.08.003. Epub 2017 Aug 10. PMID: 28823464.