Talon d’Achille : «trois mois pour m’en sortir»

Témoignage d'Ignace Manca

Coureur à pied, marathonien, Ignace Manca nous raconte comment il a vécu (et vaincu) sa tendinite au talon d'Achille qui l'a empêché de courir pendant trois mois.

Novembre 2011. Je cours le marathon Nice Cannes. A partir du km 17, je ressens des tiraillements à la cheville gauche. Je pense tout de suite à une tendinite. Moral à zéro. Doutes sur ma capacité à terminer. Sentiment de grande injustice. Si j’ai finalement bouclé le parcours dans un temps honorable, l’addition a tout de même été salée : près de trois mois sans courir. Comment un coureur qui n’a jamais connu d’interruption d’entraînement en 35 ans de pratique assidue vit-il cet arrêt forcé ? La réponse sous forme d’abécédaire.

Addiction

Addict à la course à pied, moi ? J’aurais mis ma main au feu que non ! Depuis toujours, je ne manquais pas une occasion de souligner que je courais par plaisir et non parce que j’étais accroc ! La dépendance, c’était bon pour les autres. En fait, je n’arrêtais jamais de courir et c’est pour cela que je vivais ma pratique régulière comme « naturelle » et que je ne ressentais aucun « manque ». La tendinite que je viens de connaître m’a ouvert les yeux. Comme Frédéric Lemaître dans « les Enfants du Paradis », qui ne peut jouer Othello qu’après avoir connu, grâce à Baptiste, les affres de la jalousie, j’ai réalisé mon addiction à l’occasion de cette interruption forcée. Oui, sans aucun doute, je fais partie des addicts, mais il a fallu que je sois privé de footings pour que je me l’avoue.

Bitume

« Il faudrait éviter de trop courir sur le bitume pour soulager vos articulations. » Ce conseil en forme d’avertissement proféré par le médecin que j’ai consulté pour ma tendinite n’a pas manqué de me poser question. Plus facile à dire qu’à faire quand on habite Paris intra-muros que des générations successives se sont acharnées à bétonner. Comment, sans prendre une voiture, aller courir au bois de Vincennes ou à celui de Boulogne ? Et comment s’organiser une petite sortie en démarrant au pied de chez soi ?

Consultation

On est quand même un peu penaud, il faut bien l’avouer, quand on essaie de justifier qu’on a mis un mois avant de se décider à consulter. Surtout quand, comme moi, on se présente devant un praticien qui ne s’en laisse pas conter et devant lequel on voit tout de suite qu’il faut numéroter ses abattis. L’explication embarrassée du style – « je pensais bien que ça allait passer avec du repos » ; « je n’avais pas vraiment mal » – ne convainc pas vraiment, l’examen de l’échographie ne produit qu’un « Humm ». On est ainsi préparé psychologiquement à une suite peu réjouissante. Ôter ses chaussures pour se faire examiner. Se tenir debout pieds joints, descendre sur les talons, pour enfin terminer couché sur le ventre à imaginer ce qui se passe derrière son dos. Manipulations, piqûres, massage, crème, on devine les actions successives sans les voir vraiment. Et le verdict tombe enfin : « Vous glacez 20 minutes tous les soirs, vous mettez de la crème et, dans une semaine, vous pourrez recommencer à courir. Mais attention, sur le plat, en terrain souple, et pas plus d’une demi-heure pour commencer. Sinon je vous revois plus vite que vous le pensez. » Je me sens soulagé car je craignais bien pire. Je repars muni de mon ordonnance : talonnettes à insérer dans les chaussures, homéopathie (on retrouve l’arnica) et crème à étaler sur le talon après le glaçage et « à entourer de film alimentaire ». Je vais avoir l’impression d’emballer un rôti…

Douleur

J’ai terminé le marathon Nice-Cannes dans la douleur : crampes abominables aux deux mollets, douleur lancinante à la cheville gauche provoquée par ce qui a été confirmé comme une tendinite, mal terrible dans les jambes. La douleur est un signal d’avertissement que les coureurs doivent écouter et respecter car il n’est pas normal de souffrir. Faire disparaître cette douleur a été mon premier objectif durant ces trois mois. Comme les pannes intermittentes, j’étais tenté, dès que la douleur disparaissait, de mettre mes chaussures et me tester. Mais, à chaque fois, je m’arrêtais au bout de quelques centaines de mètres, stoppé dans mon élan par une douleur qui s’installait très vite alors que dans mes déplacements habituels, je ne souffrais pas du tout. C’est après avoir constaté que le phénomène ne s’atténuait pas au fil du temps que je me suis décider à « aller voir quelqu’un ».

Echographie

Avant d’aller consulter, il faut passer par la case examen et c’est à une échographie qu’il faut se plier « si possible avec un Doppler », me conseille la secrétaire du médecin lors de la prise de rendez-vous. Par bonheur, au centre de radiologie de l’avenue de Clichy, le médecin à qui j’explique la raison de ma présence semble bien comprendre ce que je lui raconte. Couché sur le ventre, j’attends, résigné, de découvrir la gravité de la lésion du talon d’Achille. Heureusement, ses propos sont rassurants et les images des deux tendons le « sain » et le « douloureux » ne sont pas significativement différentes. Pas de catastrophe donc. Je m’en tire avec quelques lésions superficielles mais pas de véritable déchirement. Je suis soulagé d’autant que « le Doppler confirme le diagnostic car il n’y a pas de dégagement de chaleur ». Ouf c’est toujours ça de pris.

Foulée

La foulée s’adapte probablement automatiquement à la douleur. C’est ce que j’ai constaté lors de mes sorties d’essai inutiles et contre-productives car elles ont repoussé d’autant ma guérison. Inconsciemment, je devais compenser la douleur en reportant davantage de poids sur le pied droit. Résultat, alors que je n’en avais jamais eu, il s’est rapidement formé une ampoule au talon droit qui a dégénéré au fil des sorties en une blessure ouverte et qui a fini par me faire souffrir davantage que la tendinite au talon gauche.

Glace

« Il faut glacer tous les soirs pendant au moins 20 minutes ». Facile à dire. Vous avez déjà essayé de faire tenir une pochette de glace sur votre talon ? Bien en contact avec le tendon ? Je m’en suis sorti en pliant la pochette juste sortie du congélateur en deux parties inégales et en la ceinturant avec un ruban (rouge du plus bel effet) que j’ai enroulé autour de la cheville en tentant d’éviter le glissement de la poche vers la plante des pieds. Il faut un sacré entraînement même si on finit par prendre le pli. Il semblerait que la glace et la peau ne font pas bon ménage et je n’ai pas… ménagé la crème hydratante pour reconstruire l’épiderme brûlé par le froid. Avant de me faire dire qu’il faut envelopper la glace dans un tissu…

Habitude

Le lendemain de chaque marathon, je fais une sortie de 20 à 30 minutes en vue du décrassage recommandé par tous les bons sites de course. Plein les pattes, c’est ce que j’ai ressenti le lundi matin du Nice-Cannes au moment de sortir dans la nuit et le froid parisiens pour faire ma séance de décrassage. A tel point que je me suis dit que l’aller et retour habituel en Vélib vers mon lieu de travail (deux fois 25 minutes tout de même) en tiendrait lieu. C’était sûrement prémonitoire car pendant toute la journée, ma cheville gauche m’a tiraillé, me confirmant ce que je redoutais depuis la veille : l’installation d’une tendinite durable.

Introspection

Le coureur blessé, a fortiori quand il ne peut s’en prendre qu’à lui-même, surtout s’il est privé de son sport favori, ne cesse de se flageller. Après la phase du « pourquoi moi ? », vient la deuxième période, celle du « si j’avais su ». Le coureur blessé se refait en permanence le film en continu pour découvrir là où il a péché par omission ou par inadvertance, même si au fond, il n’est pas totalement convaincu que dans le futur, une fois guéri, il saura en tirer toutes les leçons. Ca ne vous rappelle pas les hommes politiques ? Une fois élus, ils s’empressent d’oublier une grande partie de ce qu’ils ont promis de faire pendant la campagne… au prétexte que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent.

Jalousie

Qui dira la jalousie qui s’empare d’un coureur frappé d’interdiction de gambader quand il croise des joggeurs ? La mienne est cuisante : je regarde avec une attention mêlée de regrets mais surtout d’envie tous (et toutes) les bipèdes qui tracent leur route quelles que soient les conditions. Et même par temps de cochon, je ressens la morsure de la jalousie.

Kilos

Je n’ai pas de balance chez moi et je me soucie généralement assez peu de mon poids, compensant largement un solide appétit et un goût prononcé pour la bonne cuisine par une activité physique intense. Las, quand j’ai été contraint de m’abstenir de courir, je n’ai pas immédiatement diminué la quantité de nourriture que j’avais pris l’habitude d’absorber. Le résultat ne s’est pas fait attendre : +3 kg à la balance au bout de trois semaines. J’ai immédiatement allumé un contre-feu en diminuant drastiquement les quantités de nourriture. Et j’ai ainsi pu limiter les dégâts.

Liberté

Je cours car j’adore cette sensation de liberté que procure la course. Celle de sentir son corps répondre à la moindre sollicitation, de voir le paysage défiler, le souffle s’organiser, les muscles s’adapter. C’est pour cela aussi que je ressentais si mal le fait d’être privé le courir car j’assimilais cette interdiction à une privation de liberté (toutes proportions gardées bien sûr…).

Médecin

J’ai mis plus d’un mois à me décider à consulter un médecin. Mais pas n’importe lequel : celui qui vous est expressément conseillé par un coureur car il a su réparer ses tendons abîmés. La décision prise, il faut d’abord prendre son mal en patience en apprenant que le rendez-vous n’est pas possible avant trois semaines. Et tout le charme que vous pouvez déployer envers la secrétaire en insistant sur l’urgence de la situation, les courses qui se rapprochent, ne rencontre qu’une vague promesse : « Donnez-moi votre téléphone et je vous appelle si un rendez-vous s’annule », ce qui n’arrive bien évidemment pas…

Négation

La première tentation du coureur blessé est de nier en bloc. Et n’y voyez aucune mauvaise foi… Heureusement, les faits sont têtus et il est compliqué de faire semblant de courir normalement quand vous boitez en marchant…

Ordonnance

C’est le premier pas vers la guérison. Qu’importe sa composition, il faut rapidement aller acheter ce qui est inscrit dessus. Je me suis ainsi précipité à la pharmacie la plus proche… pour m’entendre dire que je devais commander la plupart des produits de la liste. Qu’à cela ne tienne, j’ai changé de boutique jusqu’à trouver l’intégralité de la prescription. Et démarrer le traitement au plus tôt.

Préconisations

« Les conseilleurs ne sont pas les payeurs », paraît-il. Et pourtant que ne les ai-je pas écoutés ces copains coureurs, habitués aux blessures, qui m’ont tout de suite incité à glacer mon tendon endolori et à installer des talonnettes dans mes chaussures pour le soulager. Résultat : il a fallu attendre deux mois et demi et la visite chez un médecin pour que je fasse tout simplement ce que mes amis coureurs m’avaient, avec beaucoup de bon sens, incité à faire.

Quête

La quête de la guérison ressemble à s’y méprendre à la quête du graal. Les chevaliers qui partaient chercher le saint graal devaient y penser jour et nuit et tenter le tout pour le tout pour réussir. Le coureur qui recherche la guérison est dans un état d’esprit voisin de celui-là, l’armure en moins.

Reprise

C’est le jour de la reprise. J’ai bien entendu patienté une semaine durant laquelle j’ai scrupuleusement suivi le traitement. J’ai même ajouté un jour car je suis superstitieux et qu’on ne sait jamais. Et me voilà en train de mettre mes chaussures tout juste sorties de la naphtaline (je plaisante…). Enfin ! Une fois dans la rue, on oublie tout, tant l’on est à l’écoute de son corps et de ses sensations. Premier constat : c’est lourd (3 kg de plus tout de même), c’est lent – je n’arrête pas de penser au médecin qui m’a adjuré de commencer petit – et, surtout, c’est dur… C’est là qu’on se rend compte que pour revenir dans le match, c’est pas gagné et qu’il faut s’armer de patience pour retrouver le rythme d’avant l’interruption. Une belle leçon d’humilité.

Sommeil

« Dis, tu ne dors pas mieux depuis que tu t’es arrêté de courir ? » Cette remarque en forme de question formulée par ma compagne a fait mouche. Effectivement, moi qui dors souvent en pointillé, me réveillant toutes les heures avec les problèmes d’endormissement que cela entraîne, je me surprends à faire non des nuits complètes, faut pas rêver, mais à ne me réveiller que quelques rares fois. La démonstration était juste car dès que je me suis remis à courir j’ai retrouvé les nuits d’avant la blessure. Et les coups de barre pendant la journée.

Temps

« Il faut laisser du temps au temps » est une idée largement partagée… par ceux qui en manquent tout le temps. Et ce n’est surtout pas ce qu’on a envie d’entendre quand on ronge son frein en attendant de pouvoir courir de nouveau. Que le temps semble long qui nous sépare de la guérison. Plus que jamais l’unité de mesure du temps est l’élastique…

Ulcéré

J’ai déjà parlé du sentiment de jalousie qui habite le coureur empêché de pratiquer quand il croise un coreligionnaire en plein effort. Le second sentiment qui domine est l’ulcération. Dans son sens premier : « qui éprouve un violent ressentiment ». Et à qui en veut-il ? A la terre entière, pardi. A tout le monde…sauf à lui, pourtant le premier et souvent le seul à être vraiment responsable de son état.

Volée de bois vert

C’est ainsi qu’a commencé la consultation chez le médecin. Annoncer avoir fait presque 30 marathons a déchaîné une diatribe et je me suis pris une volée de bois vert. « Je ne peux pas vous empêcher de courir, mais évitez le bitume. Quoique, tant qu’il y aura des gens comme vous, je ne risque pas de me retrouver au chômage… » J’ai pris mes distances avec cette annonce en pensant à mon copain Bruno qui a bouclé son 51ème marathon à Berlin en septembre dernier et qui ne souffre d’aucune blessure. Mais j’ai quand même retenu la leçon et j’essaie d’effectuer la majeure partie de mes sorties sur terrain souple. Un coureur averti en vaut deux et coureur échaudé craint l’eau froide…

Yo-yo

Mon moral a joué au yo-yo durant presque trois mois. Au beau fixe quand la douleur s’atténuait, au fond du trou quand elle se faisait ressentir. En flèche quand un interlocuteur raconte une guérison définitive obtenue en un temps record, en berne quand on vous parle de X tu vois, qui a dû s’arrêter deux ans avant de pouvoir recourir de nouveau. Les lectures participent à ce mouvement ascendant/descendant. Il faudrait pouvoir s’enfermer dans une bulle et attendre que ça se passe. Même si la meilleure des thérapies est d’éviter la blessure.

Zut

C’est, en plus poli, le premier juron, suivi hélas de beaucoup d’autres, que j’ai proféré quand je me suis rendu compte que je me dirigeais droit vers une tendinite carabinée si je n’interrompais pas immédiatement mon marathon. Effectivement, courir pendant 25 km avec une tendinite relève plutôt du comportement d’un psychopathe que de celui de l’homme censé que je donne l’impression d’être habituellement. Folie quand tu nous tiens !

Ignace Manca

1 réaction à cet article

  1. Bonjour , un des meilleurs remèdes pour les tendons d’Achille est le protocole de STANICH. Si vs le faites comme indiqué et en entier vs obtiendrez normalement une bonne guérison. Qd on a des douleurs aux tendons d’Achille le mieux est d’arrêter de courir et de consulter car à continuer c’est l’autre qui prendle relais.

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