Trail : Quelles qualités pour performer ?

Vingt années de pratique du trail et de recherches en physiologie nous permettent de mieux définir le portrait-robot du traileur performant. Le règne du montagnard expérimenté, endurant mais peu rapide est révolu, et exit le fantasme du marathonien à la VMA surdimensionnée. Le traileur nouveau est différent : il est plus jeune, fort, rapide, endurant et technique. Faisons le point !

Une erreur de transposition

Le trail running est une discipline aérobie, définie comme de la course à pied en montagne. Il était donc simple et logique dans un premier temps de transposer les qualités nécessaires à la performance aérobie de type marathon – le type d’effort que nous connaissons le mieux – à la course en montagne de longue durée, et de reproduire les mêmes schémas d’entraînement (développement endurance-VMA-Seuil).

Résumons ces qualités par le schéma suivant :

 

 

Fig 1 : Les facteurs de la performance aérobie
Fig 1 : Les facteurs de la performance aérobie

 

Ces qualités sont nécessaires mais se révèlent insuffisantes, et l’évolution du profil des performers et de leurs performances nous en apportent la preuve en permanence. Il y a 10 ans, nous pouvions penser que l’ultra trail réussissait aux coureurs-randonneurs-montagnards, très endurants, expérimentés et donc âgés. Les 2 victoires de Marco Olmo sur l’UTMB© à 59 et 60 ans démontraient cette théorie. Pourtant, l’analyse des qualités de Marco, et notamment sa morphologie et son passé sportif, tout comme la victoire l’année suivante d’un jeune espagnol de 20 ans, apportèrent beaucoup d’enseignement sur la discipline et ouvrèrent la voie à une nouvelle ère de l’ultra trail.
Guillaume Millet, chercheur en physiologie à Calgary a multiplié les études en marge de l’UTMB© pour mieux comprendre la physiologie du traileur, et notamment les dégâts musculaires engendrés par un ultra trail. Autre traileur-chercheur, Grégoire Millet, ex-athlète de haut niveau et chercheur mondialement reconnu (et accessoirement le frère du premier), a utilisé sa propre performance comme un laboratoire vivant, notamment au cours des éditions 2011 (fatigue neuromusculaire, posture, biomécanique), 2012 (fatigue cardiaque) et 2013 (fatigue cérébrale) du Tor des géants (épreuve italienne de 330 km et 24 000m de dénivelé), desquelles il a tiré de nombreux enseignements sur les facteurs de la performance en ultra trail.
D’autres chercheurs comme Minetti* et Di Prampero ont approfondi les notions de coût énergétique en montée et en descente, nous permettant ainsi de mieux comprendre les enjeux physiques et techniques de la locomotion en milieu montagnard.

Qu’avons-nous appris et quels sont les facteurs reconnus ? Tout d’abord, nous retrouvons les mêmes facteurs de performance évoqués précédemment mais ils sont complétés et relativisés par d’autres qualités qui prennent toute leur importance comme la technique de descente et la VMA ascensionnelle. A ces critères, il convient d’ajouter des données stratégiques, mentales et alimentaires afin de compléter le tableau.

Tout ceci peut être représenté sur un nouveau schéma :

Facteurs de la performance en trail. P. Balducci
Facteurs de la performance en trail. P. Balducci

 

Ce schéma requiert quelques explications. Les capacités cardiaques et pulmonaires semblent rester le facteur numéro 1. Un bon traileur a un gros moteur, donc un VO2max élevé. Mais la pente introduit de nouvelles problématiques, tant en montée qu’en descente. En effet, nous avons montré au Laboratoire Inter-universitaire de Biologie de la Motricité (étude 2016*) que les coûts énergétiques de montée subissent de fortes variations inter-individuelles. Cela veut dire que 2 coureurs de même niveau à plat (VO2max et VMA) et de même VO2max sur un test en pente (12.5 et 25% dans l’étude), peuvent avoir des écarts de performance atteignant les 13%, uniquement dus à la consommation d’oxygène par unité de distance. La valeur individuelle de ce coût influe fortement sur la fraction F pouvant être soutenue sur la durée, et donc sur la performance finale.

De plus, le trail ne se limite pas à des pentes propres n’excédant pas 20-25% sur lesquelles la restitution d’énergie élastique est encore possible, bien que fortement réduite. Au-delà de ces pourcentages, et/ou sur terrain technique, le coût énergétique augmente fortement et la capacité ascensionnelle dépend du facteur puissance, qualité que les avions de chasse est-africains (aux IMC ne dépassant pas 19) ne possèdent pas pour la plupart. Le rapport puissance/poids devient un indicateur intéressant, capable de faire la différence entre la performance sur un championnat de course de montagne aux pentes raisonnables et sur un kilomètre vertical à fort pourcentage.

Le trail se gagne en montée et se perd en descente

Grande différence avec les facteurs de la performance aérobie à plat, la descente est un point fondamental. Certes, le temps passé en descente est faible comparé à celui passé en montée, mais il s’y passe tellement de choses ! La capacité à bien descendre est la conjonction de 3 habiletés : technique, musculaire et mentale. Technique car l’anticipation, les poses de pieds, les trajectoires, la position du corps par rapport à la pente … conditionnent la vitesse de descente et l’énergie dépensée ; musculaire car la répétition des contractions excentriques nécessitent des qualités musculaires (force, stiffness) abouties ; et enfin mentale car la notion d’engagement fait souvent la différence. L’étude de Minetti** montre une différence importante entre l’énergie disponible, le coût énergétique théorique, et la vitesse réellement atteinte. Les meilleurs ultra traileurs ont déjà optimisé ce critère.

Autre facteur que l’on peut relier au grand thème de l’énergie disponible pour réaliser la performance : l’alimentation. Dans « La Préparation Physique », Masson 2007, Grégoire Millet et Daniel Le Gallais présentent parmi les modèles explicatifs de la performance aérobie (Noakes, 2000) le modèle de la fourniture énergétique (améliorer la capacité de l’organisme à stocker et utiliser les substrats énergétiques) et celui de la déplétion énergétique (retarder l’épuisement des stocks glycogéniques en favorisant la lipolyse). La stratégie alimentaire est donc un facteur essentiel de la performance, à adapter aux conditions environnementales et à sa propre physiologie. De plus, de nombreuses études*** montrent une augmentation de la perméabilité intestinale avec l’intensité et la durée de l’effort, favorisant les désordres gastriques. L’alimentation doit donc veiller également à renforcer la barrière intestinale.

Enfin, pour compléter l’étude des facteurs de la performance en trail et ultra trail, il faut parler de stratégie et de facteurs mentaux. Dans une discipline où la vitesse de déplacement n’est pas proportionnelle à la distance, la stratégie prend tout son sens en termes de matériel, de gestion des allures, des ravitaillements, voire des périodes de sommeil au-delà des 30 heures d’effort.

Quant aux habiletés mentales, si elles sont nécessaires dans toutes les disciplines aérobies (piste, route, cross), elles peuvent différer en ultra trail en raison de la durée prolongée de l’effort. Il est par exemple difficile de se projeter sur une épreuve dont la durée excède ce que l’on peut réaliser à l’entraînement.

Ces qualités étant établies, il nous reste à savoir quel profil d’athlète est à même de les cumuler, sachant qu’une seule ombre au tableau peut compromettre la performance globale. Compte tenu du « cahier des charges », le traileur-type (homme) mesure 1m65 – 1m75, pèse entre 55 et 65 kg, a un bon VO2max, de la puissance musculaire au niveau des membres inférieurs, une forte endurance, une bonne économie de course sur tous les terrains et une habileté technique en descente doublée d’une confiance en soi. Bien entendu, il peut y avoir des exceptions concernant un critère, notamment des athlètes plus grands ou plus petits, mais les paramètres physiologiques et techniques sont incontournables.
A la lecture de ce portrait, on comprend que les élus soient parfois d’un âge avancé mais l’évolution de la discipline montre un rajeunissement des cadres prouvant que l’âge n’est pas un critère de performance, à partir du moment où les athlètes ont pratiqué un premier sport d’endurance entre 10 et 20 ans, comme le cyclisme, le VTT, le ski de fond… Les meilleurs traileurs sont de plus en plus jeunes et la tendance devrait se poursuivre.

Pour les individus répondant au profil type, la difficulté sera plus de rester au haut niveau que d’y parvenir, la gestion de la répétition des courses et des phases de récupération étant primordiale.

 

Bibliographie

*Comparison of Level and Graded Treadmill Tests to Evaluate Endurance Mountain Runners (Balducci et al., 2016)

**Energy cost of walking and running at extreme uphill and downhill slopes (Alberto E. Minetti, 2001)

***Physiology and pathophysiology of splanchnic hypoperfusion and intestinal injury during exercise: strategies for evaluation and prevention Am. J. Physiol. Gastrointest. Liver Physiol. July 15, 2012 (Kim van Wijck, & al)

***Gastrointestinal bleeding during an ultramarathon. Dig. Dis. Sci. 35:276–270. (CrossRefMedline Borg G. A. V, 1990)

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