Marion Legrand : « C’est une consécration d’avoir pu rehausser mon niveau chaque année et d’arriver à ce titre. »

Marion Legrand est devenue championne d'Europe de duathlon à Caorle-Venise (Italie).
Un premier titre continental à la saveur particulière après 2 médailles d'argent obtenues lors des 2 précédentes éditions et un hiver compliqué. Entretien.

Marion Legrand championne d'Europe de duathlon - Crédit photo : Natascia Torres

Lepape-info : Marion, vous avez obtenu ce titre au bout du suspens  

Marion Legrand : Un petit groupe s’est détaché sur la toute fin de course. En posant le vélo lors de la dernière transition (cyclisme-course à pied) nous étions une dizaine de filles devant. Juste avant l’arrivée qui était dans un stade, le rythme s’est emballé, nous étions un petit groupe de 4 sur la fin avec un coude à coude serré qui s’est joué à 200 m de la ligne. Rapidement on s’est mis en file indienne, dans la dernière ligne droite j’avais un tout petit peu d’avance aux commandes.

Je me retourne et je me rends compte qu’il y a un trou, je force jusqu’au soulagement d’atteindre l’arrivée la première.

Lepape-info : C’était un scénario que vous aviez envisagé ?

M.L : Pas du tout, je me retrouve à faire exactement le finish avec les mêmes filles que l’an passé lors du championnat d’Europe avec l’ordre qui a changé à l’arrivée. L’Italienne Giorgia Priarone sacrée l’an passé cette fois termine 3ème, la Belge Maurine Ricour médaillée de bronze l’année dernière est 2ème et moi qui était 2ème, je suis devenue championne d’Europe. Je n’avais pas du tout envisagé ce scénario car j’arrivais sur cette course sans en avoir beaucoup parlé. Des proches, des membres de ma famille comme mon frère, ma sœur ne savaient même pas que je courais tellement j’avais peur de cette course après mon hiver où je m’étais blessée aux ischios. On m’avait dit que ce serait très long avant de revenir, même moi je pensais que je ne pourrais pas faire le championnat d’Europe qui arrivait trop tôt dans la saison. Au final, j’avais repris l’entraînement mi-janvier en stage avec l’équipe de France, c’était assez déroutant parce que je voyais tout le monde en pleine bourre alors que j’étais tout juste en reprise avec mes premiers footings, je remontais sur le vélo. À l’époque je m’étais dit que si j’allais au championnat d’Europe ce serait une première victoire et puis avec mon entraîneur on y a cru même si une petite grippe en prime m’a encore plus mis en difficulté. J’ai connu des hauts et des bas mais je n’ai rien lâché, j’ai eu 7 semaines pour préparer la course, on a essayé avec mon entraîneur de faire du mieux possible. Au départ même si cela faisait 2 ans de suite que je terminais 2ème et que je faisais partie des favorites, dans ma tête j’étais une outsider. Cela ne voulait pas dire que j’allais lâcher l’affaire mais je ne me voyais pas du tout jouer les premiers rôles aux avant-postes tout du long.

Marion Legrand : « Dans la dernière ligne droite je me suis persuadée que je n’avais pas le droit de ne pas aller chercher le titre après mes doutes et ce que j’avais vécu cet hiver. »

Lepape-info : Vous avez commencé à y croire en étant devant tout près de l’arrivée

M.L : J’ai couru différemment que d’habitude, je me suis dit que je n’étais pas sûre d’être la meilleure physiquement et qu’il fallait que je joue avec ma tête, que je devais gaspiller moins d’énergie, me placer le mieux possible à vélo, de ne pas mener quoi que ce soit, de laisser les autres faire et de tenir le plus longtemps possible pour ne pas avoir de regret. Lors de la dernière course à pied j’ai un léger passage à vide et je me dis que cela va trop vite, je suis encore là mais j’ai pris quelques mètres de retard dans le groupe de tête, si cela s’était emballé à ce moment j’aurais vraiment eu du mal à suivre. Lors de la dernière transition j’avais tellement souhaité être la plus rapide que je n’étais plus sûre d’avoir reposé mon casque de vélo dans ma boite, j’ai fait la dernière course à pied en pensant que j’allais avoir une pénalité. Quand je suis passé devant la « penalty box » avant l’arrivée pour voir si mon numéro de dossard était affiché j’ai vu le « 73 » et non le « 75 » qui était le mien, cela m’a reboosté, il ne fallait pas que je doute, j’étais dans le groupe de tête, il fallait juste y aller, profiter et tenter de saisir une opportunité en appréciant ce moment. J’avais retrouvé ma hargne et mon désir de le faire, dans la dernière ligne droite je me suis persuadée que je n’avais pas le droit de ne pas aller chercher le titre après mes doutes et ce que j’avais vécu cet hiver.

Lepape-info : Vos doutes notamment en raison de vos blessure aux deux ischios qui vous ont privé de course à pied pendant un mois et demi

M.L : J’ai participé au semi-marathon de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) le 27 novembre, j’avais déjà des douleurs avant la course et le lendemain j’ai passé une IRM qui a révélé que j’avais une fissure. J’ai essayé de garder un entraînement cyclisme, de rouler à vélo mais c’était difficile en étant assise sur la selle cela me gênait. Certains médecins me disaient que c’était bien de faire du vélo, d’autres non, j’étais perdue et j’ai décidé de tout couper. On m’a annoncé que je pouvais en avoir pendant 4 à 6 mois. J’ai finalement repris à la mi-janvier par de petits footings, je courais un quart d’heure c’était très douloureux, j’avais l’impression que mes ischios avait rétréci. Je suis partie à la Réunion j’ai fait de la kinésithérapie

Marion Legrand : « Au championnat de France de cross, j’étais dans l’optique de passer une grosse séance et j’ai extrêmement souffert… Je savais que j’avais besoin de cette course pour me faire mal, arriver au championnat d’Europe de duathlon en ayant connu quelque chose de difficile et que mon corps le retiendrait en mémoire. »

Lepape-info : Finalement vous avez repris la compétition lors des championnats de France de crosscountry

M.L : Je savais que j’allais souffrir sur cette course mais je savais qu’il fallait que je passe par là pour « choquer » mon corps et que cela passe mieux au championnat d’Europe de duathlon si la course était très intense. J’ai beaucoup regardé ce qu’il se faisait sur ce style de blessure aux ischios, je suis rentré en contact avec des athlètes qui avaient connu cette situation. J’ai pioché des infos à droite, à gauche pour savoir qu’est ce qui fonctionnait le mieux, qu’est ce qui était moins bien. J’ai eu différentes versions de protocole de guérison. J’ai essayé de trouver le bon compromis entre ce qui était efficace et ce qui m’allait le mieux. J’ai tenté de recourir en allant chez le kiné et en faisant des exercices complémentaires. Je suis allé nager pour maintenir l’intensité physique dans l’eau, de maintenir mon souffle même si je ne suis pas une grande nageuse. Même en faisant un peu de triathlon, la natation est ma bête noire. Mentalement cela me faisait du bien, je m’entraînais et c’était important de palier mon manque d’entrainement de course à pied et à vélo par la natation.

Lepape-info : Votre 8ème place au championnat de France de cross court était un très bon indicateur pour votre rentrée

M.L : Généralement je fais du cross long, je ne savais pas comment le cross court allait se passer pour moi. Au championnat de France de cross, j’étais dans l’optique de passer une grosse séance et j’ai extrêmement souffert, ma 8ème place était un très bon résultat vu d’où j’arrivais, mais j’étais consciente que je n’avais pas du tout couru dans l’aisance mais en serrant les dents du départ à l’arrivée et en ayant l’impression d’être asphyxiée. Je savais que c’était encourageant, cela m’avait donné confiance mais les sensations que j’avais eu pendant la course, l’état dans lequel j’étais sur un parcours très exigeant m’ont fait réfléchir. Je savais que j’avais besoin de cette course pour me faire mal, arriver au championnat d’Europe de duathlon en ayant connu quelque chose de difficile et que mon corps le retiendrait en mémoire. C’est ce qu’il s’est passé, je me suis sentie bien mieux sur le championnat d’Europe.

Marion Legrand : « J’ai rejoint les Tritons Meldois qui est un club que j’apprécie beaucoup depuis plusieurs années que ce soit la direction ou les athlètes qui en font partie. »

Lepape-info : Ce titre européen représente beaucoup pour vous

M.L : Intérieurement cela change beaucoup de choses pour moi. Au départ j’avais du mal à croire en mes chances alors que j’avais les capacités de réaliser cette performance. C’est important d’avoir prouvé que j’étais capable de le faire et par rapport à mon parcours. C’est une consécration d’avoir pu rehausser mon niveau chaque année et d’arriver à ce titre. Quand je suis arrivée en équipe de France, j’avais comme modèles Sandra Levenez et Benoît Nicolas qui étaient au sommet, je les regardais avec des étoiles dans les yeux sans être convaincue que j’arriverai un jour à ce niveau. Finalement en travaillant on y arrive. Cela me fait du bien, j’ai réussi à faire quelque chose qui me tenait à cœur.

Lepape-info : Quel est le programme pour la suite de la saison ?

M.L : Je viens de changer de club, cela faisait 7 ans que j’étais au Stade Français où j’ai véritablement appris le duathlon. J’avais atteint certaines limites, il fallait du changement, j’ai décidé de partir même si j’avais énormément d’attaches là-bas car j’y ai travaillé aussi en tant qu’entraîneur. J’ai rejoint les Tritons Meldois qui est un club que j’apprécie beaucoup depuis plusieurs années que ce soit la direction ou les athlètes qui en font partie. C’était important pour moi d’être dans une équipe avec des filles avec qui je vais rigoler, me sentir très bien lorsque l’on sera par exemple en déplacement. L’objectif sera de remplir le contrat avec ce nouveau club qui me fait confiance. Ces dernières années en Grand Prix de duathlon j’ai fait des apparitions mais j’ai moins couru que lors de mes premières années, je veux être plus présente pour mon club. Les championnats du monde de duathlon arrivent bientôt (le 29 avril à Ibiza), mon titre européen me donne envie de confirmer et d’aller chercher une belle place, on va se préparer pour cela. Ensuite je vais essayer aussi de me tourner plus vers le triathlon et de m’amuser sur le longue distance en participant à des courses à label Ironman ou des organisations à part comme le triathlon de Royan, de l’Alpe d’Huez, j’ai encore beaucoup à apprendre sur cette discipline notamment en natation mon point faible.

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