Si les caractéristiques physiologiques de la détentrice du record du monde du marathon Paula Radcliffe vous intéressent, plongez vous dans la deuxième partie de leur analyse.

Poursuivons l’analyse des performances et des caractéristiques physiologiques de Paula Radcliffe, détentrice du record du monde du marathon en 2h15mn25s (1ère partie à retrouver ici)

Apports de terrain

Il est à noter qu’Andrew Jones nous informe sur le fait que Paula ne présentait pas de capacités pulmonaires exceptionnelles, ses valeurs de ventilation volontaire étant très proches de celles prédites pour une personne de son âge et de sa taille. Cependant malgré le fait qu’elle ait grandi sur cette période (1.68m à 1.73m), sa masse corporelle est restée inchangée (54 kg). Les valeurs mesurées à l’aide de la méthode des 4 plis cutanés indiquent également que Paula a fait varier la répartition de sa masse corporelle vers une plus grande masse musculaire et une réduction de sa masse graisseuse, pour atteindre une répartition optimale à sa pratique.

Le succès dans toutes les activités d’endurance repose sur la combinaison de différents facteurs parmi les principaux une prédisposition génétique, un engagement de l’athlète dans son projet de performance, de nombreuses années d’entraînement supportant une haute charge mais raisonnée, réfléchie et individualisée avec son encadrement, ajouté à un certain équilibre personnel. En ce qui concerne la prédisposition génétique, la famille de Paula était composée d’athlètes de bon niveau (comme son père également marathonien). Il est également à noter que la VO2max de Paula était déjà de 72 ml.kg.min à 18 ans (lorsque son entraînement était minime, 40 à 50 km/sem). Elle était donc clairement talentueuse, mais son potentiel athlétique n’a été atteint qu’une dizaine d’années plus tard. Le volume d’entraînement de Paula a considérablement augmenté au cours de sa carrière pour atteindre au début des années 2000, 190 à 260 km/sem en période de préparation. Cependant, la base de la philosophie de Paula et de son staff était de ne jamais compromettre la qualité de son entraînement pour la quantité. Une large partie de celui-ci reposait sur des séances aérobies continues (3’20-3’40 au kilo, soit 18-16 km/h, donc des intensités sous SV1 la concernant). Chose par ailleurs très intéressante, malgré ces très hauts volumes d’entraînement, il était interdit à Paula de réaliser une séance contre-productive. S’il lui était impossible de soutenir l’intensité demandée par son staff, elle annulait tout bonnement la séance pour se reposer et éviter de trop importants niveaux de fatigue. Un autre élément important du programme d’entraînement de Paula incluait de régulières séances de « tempo » à environ 3’08 au kilo (légèrement supérieur 19 km/h, soit autour de SV2) sur des périodes prolongées. Son planning hebdomadaire d’entraînement comprenait aussi généralement une à deux séances de haute intensité (i.e. nécessitant 95-100% de VO2max) réalisés par intermittence et/ou par séries sur piste, chemin ou route et enfin 2 séances de musculation des jambes à dominante force et de renforcement musculaire du haut du corps. Une grande partie de ses préparations ont été effectué en altitude à Font-Romeu en France ou parfois à Albuquerque au Mexique.

Comme il l’a été souligné plus tôt, il semble que l’amélioration de l’économie de course ait été essentielle à la progression continue de Paula. Il est très difficile d’en déterminer le mécanisme responsable, cependant quelques hypothèses peuvent être avancées. L’important travail aérobie de base réalisé a pu transformer des fibres musculaires de type II (à contractions rapides) vers des fibres de type I (à contractions lentes). Cela permettrait une consommation moindre d’O2 pour un travail musculaire donné. Par ailleurs Paula présentait une très grande capacité d’oxydation (et proportionnellement une faible capacité à la glycolyse), ce qui entraînait de faibles pics de lactate après un exercice maximal (seulement 4-6 Mmol quand des marathoniens seront plutôt à 8-12 Mmol). Il convient également de relever que des changements subtils à la fois dans la technique de course (vers plus d’efficience) et des variables anthropométriques (masse corporelle et composition) relevés sur ces 12 ans pourraient également avoir été responsables d’une économie de course améliorée.

Enfin trois autres facteurs de l’entraînement de Paula pourraient être des éléments explicatifs de l’amélioration de son rendement énergétique. Bien entendu, nous ne pouvons en connaitre les apports exacts sur ses performances réalisées en course à pieds, mais ils pourront nourrir notre réflexion. Le premier est l’important travail de musculation en force effectué sur les membres inférieurs par Paula et son staff. Comme dit précédemment, son programme comprenait au minimum une séance de musculation par semaine en période « d’entretien », contre deux séances en période de « développement ». Il n’est plus à prouver aujourd’hui les bienfaits de la musculation sur l’économie de course. Cependant à haut-niveau, différentes problématiques sont à prendre en compte. La charge d’entraînement spécifique étant déjà très importante, le travail en salle de musculation peut entraîner une surcharge et risquer un travail contre-productif amenant à des périodes de surmenage. De plus, il sera nécessaire de savamment doser ce travail de force en évitant qu’il n’entraîne un trop haut niveau de courbatures néfastes à certaines séances d’entraînement primordiales au développement de l’athlète. D’autre part, bien que les progrès soient « rapides » chez les athlètes d’endurance lors de l’apport de musculation, un plateau de performance pourra s’installer, notamment avec si peu de séances. Ses entraîneurs semblent donc avoir dosé au mieux ce travail de musculation, notamment en prenant le parti lors de certaines périodes de préparation de doubler, voire de tripler le nombre de séances hebdomadaire, tout en innovant sans cesse le contenu des séances. Lors d’une mesure sur détente sèche au cours d’un saut vertical, Paula est passée d’une performance de 29 cm en 1996 à 38 cm en 2003. Aussi, Paula a travaillé de façon chronique sa souplesse durant ces 12 ans, aspect où elle montrait de réel manque à ses débuts. Ce vecteur a été travaillé dans un souci de prévention des blessures, mais également car il a été suggéré que les structures tendino-musculaires « raides » pourraient améliorer le rendement de course (donc son économie) en permettant un plus grand stockage et une meilleure restitution de l’énergie élastique. Enfin, comme dit précédemment la majorité des camps d’entraînement de Paula ont été effectué en altitude. Ce type d’entraînement demande une approche individualisée pour éviter certaines erreurs qui auraient des effets néfastes sur la performance, mais force est de constater que son staff semble avoir géré au mieux ce stress surajouté à son entraînement, pour qu’il ait un apport bénéfique sur ses performances.

Andrew nous informe également sur deux points physiologiques de l’entraînement de Paula ayant pu permettre ses progrès de performance. Le premier est que la baisse de FC sous-maximale (figure 7) pourrait être la conséquence de l’augmentation de l’éjection systolique de son cœur (volume de sang éjecté lors de chacune des contractions de son cœur), qui pour un même débit cardiaque (volume de sang éjecté par le cœur en 1 minute, ici pour une activité de course à pieds), permettrait une baisse de la FC. L’augmentation du volume d’éjection systolique permettrait également de préserver son débit cardiaque maximal et sa VO2max.

Enfin, la réduction spectaculaire de l’accumulation de lactate dans le sang pendant l’exercice sous-maximal et les améliorations proportionnelles de SV1 et SV2 (20-30%, fig. 5) sont d’autres avantages certains pour la performance en course à pieds. L’acidose métabolique étant une des causes importantes de fatigue pendant ce type d’effort. D’autre part une réduction de la production d’acide lactique pourrait également signifier un plus faible taux d’utilisation du glycogène musculaire et donc favoriser l’endurance, par une plus grande disponibilité en glucides. Pour conclure, une réduction de l’acidose métabolique concomitante à une baisse de la ventilation pulmonaire, pourraient à leur tour réduire la perception de l’effort et favoriser de meilleures performances de l’athlète. Comme pour l’économie de course, les améliorations spectaculaires de SV1 et SV2 sont difficilement attribuables à une adaptation physiologique unique. Une amélioration de la capillarisation (le réseau de la circulation sanguine) pourrait faciliter une meilleure oxygénation des tissus musculaires et entraîner une réduction de la production d’acide lactique musculaire. De plus une augmentation du volume et de la densité des mitochondries ( la « centrale énergétique » de la cellule qui convertit l’énergie des molécules organiques issues de la digestion (glucose) en énergie directement utilisable par la cellule (l’ATP)) par l’entraînement, améliorerait la capacité du muscle à extraire et à utiliser l’O2 disponible. Enfin une plus grande capacité à utiliser les acides gras libres (graisses) comme substrats métaboliques (transformation que réalise très mal le sportif occidental) pourrait réduire la production d’acide lactique musculaire et améliorer les performances sur marathon en « épargnant » du glycogène musculaire.

Conclusion

Comme nous le disions l’objectif de cet article n’est pas de de faire de nous de petits Paula, mais de retranscrire l’évolution physiologique hors norme de cette athlète….hors norme. Cette évolution nous renseigne sur un point essentiel, plutôt que de réaliser des plans d’entraînement « tous prêts » il convient de cerner ses points forts/faibles, ses objectifs, les vecteurs pouvant être améliorés (n’oublions pas l’aspect mental qui n’est que trop rarement traité dans les plans d’entraînement), prendre du recul et aussi prendre des risques. Qui ne s’est jamais dit « je sens que ce qui me limite est mon manque de vitesse, mais je veux être performant sur 10km donc je dois travailler au seuil, et de toute façon JE NE SAIS PAS pas courir vite… ». Ok mais dans ce cas vous resterez le champion du temps de maintien à SV2, et il deviendra compliqué de remonter votre SV2 donc de courir plus vite sur 10km. Les athlètes de « classe mondiale » bien que souvent spécialisés sont souvent caractérisés par une palette physiologique multiple permise par des qualités intrinsèques et surtout un travail de longue haleine. Notre ami Morhad Amdouni et son compatriote Florian Carvalho viennent de réaliser 28’56 et 28’45 au 10km de Rome (sur une course au profil tortueux) et les 9ème et 6ème places aux championnats d’Europe de cross à Hyères. Morhad est tout récent demi-finaliste mondial estival sur 1500m (3’34’’05) après une belle carrière espoir sur 5000m (13’14), quand Florian présente un record sur 1500m en 3’33’’47 ! Ajoutez des séances de 800-1500, des gammes, de la musculation ou d’autres choses encore, à vous de réfléchir. Mais si vous apportez une nouveauté réfléchie, tout en entretenant vos qualités spécifiques, vous aurez de grandes chances de passer devant vos camarades d’entraînement 😉

Continuons la réflexion commune dans un prochain article.

Pour suivre l’actualité d’Anaël AUBRY sur Twitter : @AUBRYANAEL et Facebook : http://facebook.com/Anael.AUBRY.Sport.scientist

 

Réagissez