L’effet déconfinement : un parallèle cognitif avec nos fins de séances

Une séance d’entraînement et un confinement sans-précédent ont-ils des points communs ? Au premier coup d’œil, tous deux ont un moment d’arrêt défini, tous deux engagent des efforts. Et s’il en est d’autres, une question se pose alors : la baisse d’autodiscipline que l’on observe en ce moment en France avant le déconfinement « officiel » ne pourrait-elle pas être rapprochée de mécanismes cognitifs que l’on vit plus généralement dans nos fins de séance ?

Avez-vous remarqué combien les derniers kilomètres d’une séance peuvent surpasser leur niveau d’effort présumé ? C’est-à-dire comment, à une allure normale, on peut se retrouver avec une sensation d’effort décuplée juste parce que c’est la dernière phase de la séance.

 

Et ce d’un simple claquement de doigt ! Un claquement déclenché par le souvenir que, là tout de suite, à cet instant précis de la séance, la ligne d’arrivée n’est plus très loin.

 

Cette problématique d’un décalage entre « ce que je produis comme allure » et « ce que je ressens comme effort », surgit en fin de séance. Rarement avant. Pas au début. Car la perspective de la ligne d’arrivée est encore trop loin, trop abstraite.

 

Autrement dit, plus on se rapproche du but, plus on s’expose à une dissonance entre allure et sensations. Pourquoi ? Quels sont les phénomènes sources de cette « souffrance disproportionnée » ? 

 

D’un point de vue général, on sait bien que 2 schémas de pensée différents peuvent conduire 2 personnes au même comportement. Mais dans ce scénario précis, nous allons évoquer une seule et unique cause que ni les enjeux d’une stratégie nutritionnelle, ni les bénéfices psychologiques des copains d’entraînement ne peuvent empêcher. 

 

Cette cause, c’est le fait que l’on calibre l’effort sur 1 seul objectif : la fin de séance

 

Pour nous, le mécanisme est devenu automatique : tout comme un trajet en voiture, on sait combien de temps on part courir à l’entraînement. Conséquence : on anticipe notre ressenti puis on l’étale en fonction de cette durée de sorte à être sûr de terminer la séance avec la quantité d’énergie en réserve. 

 

D’ailleurs, une partie des stratégies motivationnelles et attentionnelles fonctionnent sur ce principe de planification : un but est fixé, on le visualise puis on utilise les ressources à disposition pour dérouler le plan prédéfini. 

 

À noter que les enfants n’ont pas/peu cette capacité d’autogestion en raison d’un développement de leur lobe frontal (abritant les fonctions exécutives) encore en cours. Ce qui explique leur départ de course toujours trop rapide.

 

Or, en running (et dans la vie de tous les jours) et même chez les adultes, on observe encore cette tendance à sortir du plan. 

 

Concrètement, à mesure que le dernier kilomètre se profile, l’enjeu peut prendre le dessus. On s’écarte alors d’une gestion raisonnée de l’effort pour se projeter dans l’après (accomplissement, fierté, récupération, etc). Logiquement, on préfère penser à ce qui nous fera du bien. 

 

Ce switch de l’attention n’est pourtant pas judicieux. En effet, il paraît bon d’y succomber dans l’immédiat mais quelques instants suffisent pour comprendre l’erreur… Car si jusqu’alors on était en mode « je gère mes foulées, je cale mon allure, je rythme mon souffle, j’ajuste ma posture, je peaufine ma technique… », switcher dans « l’après-séance » pendant qu’on court revient à passer la main aux mécanismes cognitifs-réflexes. 

 

Conséquences : 

  • On ne contrôle plus correctement l’amplitude ventilatoire (donc renouvellement partiel de l’oxygène)
  • On ne tire plus le coude et le genou vers l’avant (donc perte d’amplitude)
  • On n’a plus la posture droite, le bassin recule et s’affaisse (donc moindre transfert mécanique des forces produites, moindre tonicité musculaire, moindre rebond au sol, les phases de traction/poussée sont plus dures)
  • La fréquence cardiaque dérive 
  • Et d’autres.

 

En bref, on est ailleurs. Cela se voit de l’extérieur. Et cela se sent de l’intérieur. 

 

Sans prise de conscience d’un tel mode, ce switch annonce malheureusement un cercle vicieux. Car plus on se rapproche de la fin de la séance, moins on se destine à gérer l’effort et plus notre cerveau reçoit alors de signaux de défaillance.

 

D’un effort qui aurait dû être « juste » difficile en raison de la fatigue accumulée, on arrive alors à des niveaux « très » difficiles car on n’est plus « dans l’instant présent ».

 

Le comble, c’est d’ailleurs que si l’on s’était projeté sur une durée de séance plus longue (12km au lieu de 10km, par exemple), le ressenti à 10km aurait été moins pénible car on aurait calibré notre attention différemment – d’où l’intérêt de découper sa séance en sous-buts où chaque étape compte, et non en 1 seul but où seul le point d’arrivée compte.

 

Voici donc comment, par un désengagement attentionnel de l’effort car l’enjeu est proche, on en arrive à se surprendre avec des sensations exacerbées. 

 

Ici, il peut alors être bon de rappeler que les meilleurs marathoniens sont encore ceux qui restent dans l’effort (ils adoptent des stratégies dites « associatives » avec l’effort) et parviennent ainsi à limiter les temps de rêverie « délétères » à leur performance.

 

Dans notre contexte actuel de distanciation physique propre au COVID-19, ce même mécanisme de projection sur un après-confinement pourrait expliquer la baisse d’autodiscipline que l’on observe sur les réseaux : 

fin anticipée projection dans l’après baisse de focus du moment présent écart avec le plan 

 

À l’exercice, cet écart avec le plan n’est autre que du ressenti, on l’a vu. Mais dans le contexte sanitaire d’aujourd’hui, la date du 11 mai annoncé comme « l’arrivée » ne devrait-elle pas être accompagnée d’un surcroît d’effort de résilience ?

 

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