De nouvelles recherches sur l’élasticité musculaire offrent des perspectives surprenantes pour les marathoniens et pourraient expliquer le fonctionnement des « super chaussures ».
La course à pied est un sport de ressorts ! Nos muscles et nos tendons agissent comme des bandes élastiques : ils s’étirent à chaque foulée, puis reprennent leur forme pour délivrer de la puissance à chaque foulée.
Selon certaines estimations, ce cycle de détente fournit environ la moitié de l’énergie nécessaire à une course soutenue, ce qui signifie que l’élasticité des muscles est tout aussi importante (si ce n’est plus suivant la catégorie de coureurs ?) que les paramètres physiologiques travaillés quotidiennement : VO₂max, seuils, endurance, etc.
Le problème : au fil d’une course longue et intense, l’élastique s’use !
En début d’année, des scientifiques du Nike Sport Research Lab, dans l’Oregon ont publié les premières données connues sur l’élasticité musculaire avant et après un marathon. Les résultats suggèrent un lien entre l’élasticité des quadriceps et leur capacité à résister aux lésions musculaires, une limitation cruciale de la course sur marathon.
Le traumatisme répétitif de dizaines de milliers de pas provoque des lésions microscopiques des fibres musculaires des jambes.
Des recherches antérieures ont montré que ces lésions constituent le meilleur indicateur de l’affaiblissement musculaire que l’on a tous connu en fin de course, mieux encore que l’état énergétique, la déshydratation ou la température corporelle.
Alors, comment se protéger des lésions musculaires pendant une course ? Potentiellement en améliorant l’élasticité !
Le lien entre les deux n’a été établi que récemment, grâce à une technologie novatrice appelée élastographie par ondes de cisaillement. En envoyant une onde ultrasonore dans le muscle et en calculant sa vitesse de propagation, les chercheurs peuvent estimer l’élasticité d’un muscle. Plus précisément, ils utilisent un paramètre appelé « module d’élasticité » – une propriété matérielle comme la densité ou la conductivité thermique – qui indique l’étirement musculaire lorsqu’on le tire avec une force donnée.
Il s’avère que ce module d’élasticité est un indicateur précis des lésions musculaires : les microtraumatismes accumulés pendant un marathon provoquent un raidissement musculaire en fin de course. Votre niveau d’élasticité de base avant le départ est également important, car des muscles plus souples et surtout plus mobiles peuvent probablement absorber davantage de foulées avant de commencer à être endommagés.
La nouvelle étude de Nike publiée dans le très respecté European Journal of Applied Physiology visait à tester cette hypothèse. L’auteur principal n’étant autre que Brett Kirby, l’un des scientifiques à l’origine du projet Breaking2 autour d’Eliud Kipchoge en 2017.
Kirby et ses collègues ont utilisé l’élastographie par ondes de cisaillement pour mesurer l’élasticité des quadriceps chez quatre-vingts coureurs avant et après les marathons de Chicago et de Boston. Comme prévu, ils ont constaté que les coureurs plus rapides et plus expérimentés avaient tendance à commencer avec un module d’élasticité plus faible, correspondant à des muscles plus mobiles, probablement parce que leurs jambes s’étaient adaptées à un entraînement plus intensif et plus efficient.
Les chercheurs ont également constaté que courir un marathon rendait les muscles plus raides et plus difficiles à étirer, augmentant le module d’élasticité d’environ 23 % du début à la fin : le signal d’alarme indiquant une accumulation de lésions musculaires.
Les chercheurs ont testé les coureurs 24, 48 et 72 heures après la course afin d’évaluer leurs courbatures et l’allure qu’ils estimaient pouvoir atteindre sur trois kilomètres. Seul un tiers environ des coureurs étaient rétablis après 72 heures. Surtout un lien clair a été établi entre les changements d’élasticité et le temps de récupération nécessaire.
Plus l’augmentation du module d’élasticité – l’indicateur des lésions musculaires – était importante pendant la course, plus les coureurs avaient besoin de temps avant de pouvoir courir à nouveau normalement.
À première vue, cela peut paraître évident : plus on sollicite ses jambes, plus la récupération est longue.
Mais relier les dommages musculaires à l’élasticité nous offre une nouvelle perspective pour explorer les moyens de réduire ces dommages.
Nike est une marque de chaussures, vous pouvez donc deviner ce qui les intéressait le plus. La caractéristique principale de la génération actuelle de super chaussures avec la plaque en fibre de carbone et son épaisse couche de mousse rebondissante au niveau de la semelle intermédiaire. Ce coussin d’amorti pourrait-il absorber une partie des impacts de la course, préservant ainsi l’élasticité des quadriceps ? Oui !
33 des 80 coureurs du groupe expérimental portaient des super chaussures et leur module d’élasticité n’a augmenté que de 17 % du début à la fin du marathon, contre 31 % dans un groupe de vitesse équivalent portant des chaussures classiques.
Le principal argument de vente des super chaussures est qu’elles permettent de courir plus efficacement dès leur chaussage. Mais ces résultats semblent confirmer l’impression de toutes et tous : elles permettraient également de se préserver musculairement.
Avec les deux avantages fortement ressentis par la communauté running :
- Permettre de maintenir le rythme sur les derniers kilomètres d’un marathon ou d’allures épuisantes (fin d’un 800-1500m, 10km, etc).
- Accumuler des entraînements plus durs ou plus fréquents.
Il m’est important en tant que scientifique de tout de même dire que dans cette études les meilleurs coureurs étaient plus nombreux en pourcentage à porter les super-shoes. Il y a donc un biais car se sont déjà ceux qui sont par essence les mieux armés sur la préservation de l’élasticité musculaire.
Il existe d’autres moyens d’améliorer l’élasticité et donc de renforcer nos muscles contre les lésions musculaires :
– les sorties longues
– la course en descente
– Le renforcement musculaire.
Grâce à l’élastographie par ondes de cisaillement, nous disposons désormais d’un outil permettant de tester l’efficacité de chacune de ces approches. Par exemple, le simple fait d’étirer les muscles semble produire des résultats mitigés, ce qui n’est pas surprenant ; tirer plusieurs fois sur un élastique ne le rend pas plus élastique.
En revanche, des chercheurs japonais ont montré sur un groupe d’athlètes que huit semaines d’entraînement en drop-jump avait réduit leur module d’élasticité des muscles du mollet de 21 %.
Pour l’instant, cependant, les données les plus convaincantes (mais elles sont rares….) sur la prévention des lésions musculaires concernent les chaussures. C’est important, car les super chaussures ont suscité une vive controverse.
Qu’est-ce que cela signifie pour l’histoire du sport lorsque la quasi-totalité des records, à tous les niveaux, sont effacés des livres en quelques années ?
Que révèle le fait que tant d’entre nous soient prêts à débourser plus de 300 euros pour une paire de chaussures qui promet de gagner quelques minutes sans effort supplémentaire ?
Ce sont des questions difficiles à résoudre, mais les données sur l’élasticité confirment une autre perspective.
Personnellement, depuis 2020-2021 et la démocratisation des chaussures à mousse, tous les élites qui ont connu « l’ancien temps » me disent l’écart abyssal entre avant et maintenant dans leur capacité à répéter les séances difficiles.
Pour parler de l’opposé du marathon, des top 8 mondiaux sur 800m et 1500m me disent pouvoir passer une « spé » de plus par semaine ou mettre de la qualité le lendemain de celles-ci quand avant ils devaient auparavant mettre leurs jambes dans le coton.
Evidemment le constat est le même pour les coureurs de longues distances où l’on a tous pu constater que les élites qui touchaient difficilement les 150km/sem il y a encore peu jouent désormais autour de 200 km sans sourciller.
Quand on sait que le travail spécifique à haute-intensité pour les premiers et le volume pour les seconds sont des facteurs de performance prioritaires, on comprend mieux qu’au-delà de l’impact direct des chaussures en compétition, leur gestion moderne permet aussi et surtout de passer des caps à long terme.
Sur une population de masse comme vous et moi j’y vois d’autres avantages :
- Limiter l’impact mécanique au quotidien et donc les bobos.
- Prendre plus de plaisir dans son quotidien de runner non professionnel (ne pas rentrer en boitant à la maison après chaque spé).
- Mieux supporter la difficulté mécanique de la course à pied.
Attention malgré tout :
- Elles ne devront jamais prendre la place du travail technique et de renforcement musculaire qui seront et de loin, le meilleur moyen d’améliorer vos capacités mécaniques, d’élasticité, d’économie et de prévention des blessures.
- Cela a un coup au départ (mais le même sur le long terme) : créez-vous une panoplie de chaussures de différentes technologies (mousse, sans mousse, fort amorti, amorti limité, et.) pour les faire rouler en fonction de vos entraînements et de votre état. Si vous ne pratiquez plus qu’avec des mousses votre pied et ses muscles vont devenir fainéants et vous régresserez d’un point de vue mécanique donc nous reviendrons au point de départ sur l’endurance, les blessures, etc.
- D’autre part il y a un vrai intérêt (de façon intelligente) en variant au quotidien vos souliers : travailler dans des angles musculaires différents, améliorer votre capacité à encaisser les chocs, travailler vos muscles intrinsèques du pied, etc., bref vous deviendrez de meilleurs coureurs en améliorant vos qualités musculaires, tendineuses et musculaires sans vous en rendre compte.






