Andreas Almgren qui a établi très récemment le nouveau record d’Europe du semi-marathon en 58’41 au début du mois, ne jure que par ça. Son record serait le résultat de ce complément !
Cole Hocker vainqueur du 5000 m des Mondiaux aussi : « Oui, j’en ai pris un avant la course », a-t-il déclaré après avoir remporté l’or dans cette épreuve aux championnats du monde d’athlétisme de Tokyo en septembre.
Mads Pedersen, ancien champion du monde de cyclisme, affirme que c’est grâce à cette boisson qu’il a réalisé son meilleur temps sur 90 minutes.
Nomio, un complément alimentaire extrait de germes de brocoli concentrés, est devenu le complément alimentaire du moment chez les athlètes d’endurance de haut niveau.
Le slogan imprimé sur la boîte et mis en avant sur le site web de l’entreprise affirme qu’il s’agit d’un « composé naturel qui réduit l’accumulation de lactate lors d’un effort physique intense ». Cette promesse de réduction du lactate rappelle les allégations concernant le bicarbonate de soude, qui a connu un véritable essor sur les courtes distances ces dernières années (bien qu’il faille rappeler que sa prise est commune depuis très longtemps dans de nombreux sports). C’est ce qui attire les athlètes.
Pourtant, les données scientifiques relatives à Nomio, bien que préliminaires et donc à visée internes, suggèrent une réalité plus complexe et peut-être plus intéressante que le message marketing.
Nomio : un allié contre sur les épreuves lactiques ?
L’ingrédient actif de Nomio est constitué d’isothiocyanates (ITC), présents dans les légumes crucifères tels que le brocoli, le chou frisé et le chou.
Ce produit a été mis au point par des scientifiques de l’Institut Karolinska et de l’École Suédoise des sciences du sport et de la santé. Certains de ces mêmes scientifiques ont mené des recherches pionnières sur les propriétés des nitrates présents dans des aliments comme la betterave, dont on connait l’intérêt dans les sports à dominante aérobie.
Le jus de betterave s’avère être l’un des rares compléments dont l’efficacité est étayée par des preuves solides et l’un des cinq seuls approuvés par le Comité International Olympique.
Ce parallèle est encourageant : peut-être qu’un autre extrait végétal est sur le point de rejoindre cette liste ?
Les allégations sur le site web de Nomio sont pourtant pour le moins contradictoires. Non seulement le produit réduirait le taux de lactate sanguin (et par ricochet des ions H+ ceux limitant les performance), mais il diminuerait également le stress oxydatif et l’inflammation, améliorerait la réponse à l’entraînement en favorisant la création de mitochondries et accélérerait la récupération après l’effort. Il donnerait aussi une sensation de jambes légères.
Bref cela fait beaucoup et c’est un peu gros !
L’onglet « Science » du site web de Nomio propose trois références pour étayer ces affirmations :
La première est une étude de 2023 est menée par Filip Larsen, cofondateur de Nomio. Des volontaires ont pris une dose de Nomio ou un placebo, deux fois par jour pendant une semaine, tout en effectuant quotidiennement des séances d’entraînement fractionné sur un vélo d’appartement.
Le complément alimentaire a réduit le stress oxydatif et les niveaux de lactate sanguin pendant l’effort, amélioré la régulation de la glycémie et augmenté le temps d’effort maximal d’environ 12 % lors d’un test maximal aérobie (sans toutefois modifier la VO2max elle-même). Mais donc ici avec un conflit d’intérêt non négligeable.
La deuxième étude est disponible en prépublication pendant son évaluation par ses pairs. Elle est également menée par l’équipe de Larsen (mince), sous la direction de Michaela Sundqvist.
Il s’agit cette fois d’un test à dose unique : une dose de brocoli, suivie trois heures plus tard d’un exercice physique. Là encore, les niveaux de lactate étaient plus faibles à une vitesse ou une puissance donnée qu’avec un placebo.
La troisième étude est un peu plus complexe. Elle consistait à stimuler in vitro et individuellement des fibres musculaires pour simuler l’exercice. En présence d’ITC, on a observé une augmentation de la réponse à l’entraînement, provoquant une diminution du stress oxydatif et une augmentation du nombre de mitochondries, ces « centrales énergétiques » cellulaires essentielles à l’exercice aérobie (nos usines à oxygène dans le muscle).
Cette étude a été menée visiblement cette-fois-ci indépendamment par David Hood, un physiologiste renommé de l’Université York.
Ces études sont certes prometteuses, mais difficile pour moi de porter toute crédibilité aux deux premières étant donné le potentiel conflit d’intérêt. Ensuite il est toujours intéressant de pousser la compréhension des phénomènes physiologiques, mais il manque deux preuves basiques.
Premièrement, une preuve directe que les ITC amélioreraient tout simplement les performances. Personne ne gagne de médailles seulement avec les meilleures mitochondries ou des taux de lactate les plus bas. Ce qui nous importe vraiment, c’est de savoir si le complément alimentaire rend les athlètes plus rapides.
Deuxièmement, une explication cohérente des raisons pour lesquelles on peut s’attendre à ce que les ITC améliorent les performances des athlètes.
L’autre origine de Nomio
Selon Larsen, tout a commencé avec une étude de 2021 sur le surmenage. Des volontaires ont augmenté progressivement leur charge d’entraînement sur trois semaines, la dernière semaine les poussant jusqu’à un état de surmenage.
À ce stade, leurs mitochondries semblaient fonctionner moins bien, leur glycémie était réduite et surtout leurs performances abaissées. « Cela correspond bien à ce que ressentent généralement les athlètes lorsqu’ils s’entraînent au-delà de leurs capacités d’adaptation : les muscles sont lourds et peu réactifs et la récupération entre les séances moins efficace », explique Larsen.
L’un des coupables serait une voie de signalisation appelée Nrf2, un régulateur clé des défenses antioxydantes de l’organisme et (comme l’ont montré David Hood et d’autres) de sa réponse à l’entraînement.
À la lumière de ces résultats, Larsen et son équipe se sont demandés si la stimulation de Nrf2 pouvait contrer les effets d’une surcharge d’entraînement trop importante.
De nombreuses études avaient déjà démontré que les ITC stimulent Nrf2. « Partant de ce constat », explique Larsen, « nous nous sommes simplement posé la question suivante : « Que se passe-t-il si nous donnons des ITC (provenant de germes de brocoli) à des personnes qui s’entraînent intensément ? »
C’est cette question qui a mené à l’étude de 2023 mentionnée précédemment. Conformément à l’hypothèse, les isothiocyanates (ITC) semblaient protéger les individus d’un stress oxydatif important lors d’entraînements intensifs.
Mais les autres bienfaits – une meilleure régulation de la glycémie et, surtout, une diminution du lactate pendant l’effort – étaient plus surprenants. C’est ce qui a motivé la seconde étude, dans laquelle une seule dose d’ITC – équivalente à celle contenue dans environ trois kilos de brocoli cru, conditionnée dans un petit verre – semblerait avoir permis de réduire le taux de lactate sanguin pendant l’exercice.
Larsen et ses collègues ignorent encore pourquoi les ITC diminueraient le taux de lactate sanguin. Plusieurs explications biochimiques sont possibles, mais aucune n’a encore été prouvée.
Les effets semblent plus marqués lorsque les concentrations de lactate sanguin se situent dans une fourchette intermédiaire, entre 3 et 8 millimoles par minute environ, ce qui correspond à un effort modérément soutenu, mais pas maximal, comme ceux que l’on observe lors d’efforts autour des seuils (à l’inverse, on pense que les principaux bienfaits du bicarbonate de soude se manifestent lors d’efforts plus courts et plus intenses, d’une durée comprise entre une et dix minutes environ).
Avant la découverte de ces résultats concernant le lactate, l’objectif initial de l’utilisation des isothiocyanates (ITC) était donc de lutter contre le stress oxydatif induit par un entraînement trop intensif. Ceci soulève un dilemme, car de nombreuses études suggèrent que la prise de fortes doses de suppléments antioxydants peut en réalité atténuer les bénéfices de l’entraînement.
L’idée principale est que le stress oxydatif est un signal qui indique à l’organisme qu’il faut s’adapter et se renforcer ; par conséquent, la suppression de ce signal par la prise d’antioxydants entraîne une moindre adaptation à l’entraînement.
L’avis et les recommandations de Larsen
Larsen : « C’est une préoccupation légitime », reconnaît Larsen. Mais dans ce cas précis, les ITC ne sont pas de véritables antioxydants. En réalité, se sont de légers pro-oxydants, tout comme l’exercice physique.
Dans les deux cas, la génération d’une faible quantité de stress oxydatif stimule les défenses antioxydantes naturelles de l’organisme, contrôlées par le Nrf2. Ainsi, au lieu d’éliminer le signal d’adaptation à l’entraînement avec un antioxydant, Nomio cherche à l’amplifier.
Cependant, précise Larsen, cela signifie que ce produit n’est réellement utile que si vous vous entraînez à un niveau relativement élevé. « Nous recommandons également aux athlètes de le prendre uniquement avant des séances intenses ou pendant les périodes d’entraînement les plus exigeantes », ajoute Larsen, « et non avant des séances légères ou les jours de repos ».
Plus précisément, le protocole d’utilisation recommandé par l’entreprise comporte deux volets. Pour un bénéfice immédiat, il faudrait prendre une dose trois heures avant une compétition ou un entraînement intensif.
Pour un bénéfice adaptatif à long terme, prendre une dose par jour pendant les périodes d’entraînement intensif, trois heures avant la séance principale, puis une seconde dose avant le coucher les jours d’entraînement intensif, et aucune dose les jours de repos ou d’entraînement léger.
Compte tenu de l’équilibre antioxydant finement régulé du corps, Larsen affirme : « Je ne pense pas que la consommation d’ITC soit utile aux personnes en bonne santé qui ne font pas d’exercice. »
Mais est-ce vraiment efficace ?
C’est là que les choses se compliquent. Les articles scientifiques publiés jusqu’à présent indiquent seulement que les sujets ont tenu un peu plus longtemps lors d’un test de VO2max, ce qui n’est pas comparable à une compétition.
En l’état, les travaux sur le sujet sont trop faibles pour être jugés crédibles. Leur poids est ici trop faible et donc insuffisamment convaincant.
Mais comme souvent le terrain et/ou le marketing vont plus vite que la science. Est-ce que cela veut dire que c’est OK ? Pas forcément mais en tout cas cela se vend et s’affiche sur les réseaux.
La liste des athlètes utilisant le produit, avec ou sans la collaboration de l’entreprise, est longue et ne cesse de s’allonger. En plus d’Andreas Almgren et Cole Hocke, on peut noter aussi Conner Mantz (2h04 sur marathon), Clayton Young (60min sur semi), Sara Hall (2h20 sur marathon) et Graham Blanks (7min29 sur 3000m en salle ou 12min49 sur 5000m).
Le célèbre blogueur canadien Alex Hutchinson a interrogé Clayton Young sur son expérience et il a admis partager cette perplexité quant à l’objectif principal du produit.
« Après avoir lu les articles scientifiques, il m’a semblé que la plupart des recherches portaient sur des modifications mitochondriales », a-t-il écrit, « j’ai donc été surpris de constater que le produit était davantage commercialisé pour sa capacité à réduire le taux de lactate sanguin. Presque comme s’ils avaient voulu simplifier le marketing et le présenter comme une alternative au bicarbonate de soude. »
Malgré tout, fort des expériences positives de certains de ses amis et partenaires d’entraînement, Young a tenté l’expérience en vue du marathon des Championnats du monde de Tokyo, où il a terminé neuvième malgré une chute spectaculaire en début de course.
« Ma préparation pour Tokyo était l’une des meilleures que je n’aie jamais eues, si ce n’est la meilleure », a-t-il écrit. « Mes entraînements, en particulier mes séances de vitesse sur piste, semblent meilleures que jamais. Cela dit, de nombreux facteurs entrent en jeu dans l’entraînement et il est difficile d’affirmer que tout cela est dû à Nomio ».
La conclusion de Young semble finalement parfaite. J’ajouterai évidemment que comme toujours il y a bien à faire avant de se poser la question d’un quelconque complément alimentaire.
S’entraîner juste, bien manger et bien dormir en premier lieu évidemment. Et surtout lorsque vous aurez fait le tour des principaux leviers à l’entraînement pourquoi ne pas creuser les marginals gains.
Alors pourquoi pas le shoot de brocolis, notamment dans un premier temps en compétitions mineures, puis majeures.





