Jimmy Gressier champion du monde du 10 000 m et médaillé de bronze sur 5 000 m a réalisé une performance exceptionnelle lors des Mondiaux d’athlétisme à Tokyo en septembre dernier.
De retour en France pour la première fois depuis ses exploits aux Championnats du monde et après quelques jours de vacances, l’athlète natif de Boulogne-sur-Mer se livre avec spontanéité et sincérité sur sa saison hors-norme tout en étant lucide sur son nouveau statut de champion. Entretien.
Lepape-info : Jimmy, à Tokyo vous avez un réalisé un exploit, votre rêve
Jimmy Gressier : Oui un rêve qui paraissait inaccessible il y a encore 3-4 ans. Je me rappelle des Mondiaux d’Eugene en 2022 où je termine 11e, à Budapest en 2023 je prends la 9e place du 5000 m alors que j’étais dans le groupe de tête à la cloche à 400 m de l’arrivée. Quand les gars accélèrent, je ne peux pas réagir, je ne peux rien faire, je me suis demandé ce qu’il me manquait pour rester avec eux jusqu’au dernier 100 m. J’avais dit à mon coach Adrien Taouji que je rêvais un jour d’être à la bagarre, de pouvoir croire ne fusse qu’un peu à la médaille et puis est arrivé ce 14 septembre 2025. Je me suis beaucoup parlé à moi-même pendant la course, je me félicitais régulièrement d’être bien placé à la corde, de ne pas faire trop d’effort quand cela accélérait. Il y a eu des tentatives d’échappées, ce n’est jamais moi qui faisait la remontée sur les gars devant. J’ai couru de manière très intelligente, on arrive dans le dernier 400 m et j’ai fait ce que j’ai appris depuis des années à l’entraînement et que j’avais enfin réussi à mettre en place au meeting de Zurich en finale de la Ligue de diamant en août. Ce meeting et cette victoire m’avait donné beaucoup de confiance et j’ai réalisé quasiment le même dernier 400 m et ultime ligne droite. A Tokyo, en finale du 10 000 m, je passe, je gagne et c’est l’apothéose. Je me suis dit que j’avais réussi ma carrière. On a toujours peur de se dire que l’on est passé à côté de quelque chose que l’on a pas pu faire dans sa carrière, là je suis champion du monde c’est juste derrière le graal ultime d’être champion olympique.
Lepape-info : Ce dernier 400 m, vous l’avez énormément travaillé avec un évènement déclencheur aux championnats de France à Talence début août
J.G : Ma deuxième place derrière Yann Schrub en finale du 5 000 m m’a frustré, j’étais dans une forme incroyable, à la cloche je me suis dit que j’allais finir super fort, à 70 m de l’arrivée j’arrive à passer les épaules devant Yann puis il repasse devant moi et là j’ai dit à mon coach que quelque chose n’allait pas dans le dernier tour. On a analysé cela ensemble et il m’a dit : « Quand je te vois à l’entame du dernier tour tu commences à te crisper, à vouloir partir tout de suite. » Il m’a dit d’être plus zen, tranquille. On a travaillé cela en stage à Font-Romeu où j’ai vu que je pouvais finir des séances où je courrais le dernier 100 m en 11 »90 avec un dernier tour en 53″, il n’y avait plus qu’à le répéter aux championnats du monde. Je ne m’attendais pas à le faire dès le meeting de Zurich car on pensait que cela allait courir plus rapidement. Avant le départ de la course de Zurich, Adrien m’avait dit : « Si cela ne cours pas trop vite, tu es là pour gagner la course ». C’est vrai que ma défaite aux championnats de France a marqué un tournant psychologique et dans mon entraînement dans les semaines qui ont précédé les Mondiaux.

Lepape-info : Tokyo récompense votre travail depuis plus d’une dizaine d’années à l’entraînement, lors des stages au Kenya, à Font-Romeu…
J.G : Cela n’arrive pas par hasard, c’est un travail de longue haleine. Je me souviens de mes débuts avec l’entraineur qui m’a découvert Arnaud Dinielle lorsque pendant certaines séances je m’entrainais avec lui dans le noir éclairé par une lampe torche posée sur un vélo, sous la pluie, je cravachais déjà c’était mes débuts. Après je suis arrivé à l’INSEP, je me suis beaucoup entrainé mais je me suis aussi cassé les dents sur des compétitions comme les championnats d’Europe à Munich en 2022 (4e du 10 000 m) ou à Rome (5e du 10 000 m) l’an passé. À Munich le public ne le sait pas mais j’étais totalement cramé mentalement, à Rome j’étais blessé idem aux Jeux olympiques juste après avec une fissure au tendon et une bursite. Je ne peux quasiment pas marcher après toutes les séances, je ne peux pas faire une séance avec les pointes, je cours avec des chaussures de footing sur pratiquement tous mes entraînements. Ce fut dur d’accepter de ne pas arriver aux Jeux à 100% même si je descends pour la première fois sous les 27′ en 26’58 lors de la finale olympique du 10 000 m. On pouvait croire que je me trouvais des excuses lorsque je disais qu’il fallait me laisser du temps. Le demi-fond est une discipline à maturité tardive surtout quand tu viens du milieu du football comme moi. Je ne pouvais pas passer du foot à 17 ans à l’athlétisme en ayant tout de suite ou rapidement la maturité qu’il fallait. Je ne suis pas comme Jakob Ingebrigtsen qui avec ses frères et son père a baigné dans l’athlétisme et qui a été porté très haut très jeune dans sa carrière. J’ai pris des claques pour comprendre qu’il fallait que je m’entraine plus aussi dur et différemment (augmenter le kilométrage mais baisser l’intensité puis la réaugmenter) parce que je me cramais physiquement et mentalement. J’ai appris à bien planifer les compétitions, cette année je n’ai fait qu’une erreur courir un mile à Berlin fin juillet une semaine après le 1500 m d’Heusden et deux semaines après le 5000 m de Monaco.
Jimmy Gressier : « Je prends ce statut de champion du monde avec beaucoup de bienveillance, j’ai hâte d’être aux prochains Mondiaux en 2027 (à Pékin) pour refaire quelque chose d’extraordinaire en attendant les Jeux de Los Angeles. Je sais que c’est possible et que mon corps est capable de le refaire. »
Lepape-info : La saison a été parfaite hormis ce mile à Berlin
J.G : Début février, à Boston je fais le record de France du 5 000 m en salle (13’00″54) ensuite à New-York je réalise le record de France du 3 000 m en salle (7’30″18), ensuite je reviens à Boston pour aller chercher le record d’Europe du 5 000 m que je visais quelques jours avant, je m’accroche derrière Grant Fisher et je signe le record d’Europe en salle en 12’54″92. Je rentre en France record d’Europe du 5 km sur route à Lille en 12’57. Ensuite je me prépare à Font-Romeu et j’enchaine à Bruxelles en avril avec le titre de champion d’Europe du semi-marathon. Derrière je dois commencer ma saison en Ligue de diamant à Rome mais je n’y vais pas car je ne me sens pas encore prêt mais je ne peux pas refuser le meeting de Paris même si je suis à 80 %, je me dis que j’ai la chance de courir devant mon public, je pense courir sur 5000 m près des 13′ finalement je fais 12’51″59 ! Ensuite je termine 2e à Monaco dans une course un peu bizarre en 12’53 à 2 secondes mon record en ayant l’impression d’avoir fait une course tactique avec un dernier 100 m en 13 secondes. Après à Heusden, je suis « séché » mais j’arrive quand même à courir un 1 500 m en 3’32″71 avec du vent et de la pluie. Ensuite le point noir c’est le mile de Berlin j’ai pas envie de courir, je me rebooste pour les championnats de France mais je me prends une petite claque battu par Yann Schrub. Je retourne à Font-Romeu et là je me dis ok la prépa pour les Mondiaux elle commence maintenant, je sentais que je n’avais pas atteint le sommet de ma forme en compétition ou à l’entraînement. Je gagne ensuite Zurich, ma dernière séance avant de partir au Japon j’aligne 10 fois 1000 m avec 1 minute de récupération entre chaque bloc, je me balade et je sais à ce moment-là que mon maximum est atteint juste pile au moment des championnats du monde.
Lepape-info : Vous avez changé de statut, quel message avez-vous envie d’envoyer ?
J.G : Le message que j’ai envoyé est que tout est possible pour qui se donne les moyens de réussir par le travail. Maintenant, le message que je veux faire passer est que l’on peut être mais cela ne veut pas dire que l’on va refaire à chaque fois une performance exceptionnelle et pour autant cela ne veut pas dire qu’on ne peut plus la refaire. Il faut garder les pieds sur terre, continuer à travailler, rester humble, se dire que tout est possible et de ne pas se prendre la tête sur les résultats. Je prends ce statut de champion du monde avec beaucoup de bienveillance, j’ai hâte d’être aux prochains Mondiaux en 2027 (à Pékin) pour refaire quelque chose d’extraordinaire en attendant les Jeux de Los Angeles. Je sais que c’est possible et que mon corps est capable de le refaire.
Lepape-info : Comment rester au sommet ?
J.G : J’ai fait des erreurs par le passé que j’ai moins fait sur ces dernières années, je vais continuer dans cette logique. Je n’ai pas eu l’impression cette année d’avoir été ultra fort à l’entrainement et plus qu’il y a 4 ans où je me sentais monstrueux. Cette saison je ne me suis pas senti une seule fois cramé mentalement, c’est ma force ultime. Bien s’entrainer, ne pas courir partout, depuis Tokyo je reçois de nombreuses sollicitations, maintenant on me propose énormément d’argent pour participer à des courses, je refuse pas mal d’opportunités car je veux réussir dans l’athlétisme. J’ai signé des contrats qui me permettent de me concentrer financièrement parlant sur mon sport, la performance et des projets en dehors. Je ne dois pas m’éparpiller et garder les pieds sur terre.
Lepape-info : Les vacances furent courtes mais bonnes après Tokyo
J.G : Oui aux Maldives tu ne peux que déconnecter, nos seuls amis sont les requins, ils ne parlent pas, les sports de glisse c’était génial avec ma copine, j’ai bien mangé. J’étais coupé du monde cela fait du bien, j’avais aussi hâte de rentrer pour revenir à la vie normale. De retour l’enchainement avec les médias fait partie du job mais j’ai hâte de remettre les chaussures et de retrouver de bonnes sensations à l’entraînement et de préparer la suite.
Jimmy Gressier : « Grâce à mon sport, à ce que j’ai réussi et aux gens qui m’accompagnent, je peux offrir ces moments sympathiques à ma famille, mes amis et rassembler tout ceux que j’aime. »
Lepape-info : Les retrouvailles et le retour à domicile samedi dernier à Boulogne-sur-Mer, c’était un moment très attendu
J.G : Ce fut un moment fou et intense mais j’ai eu l’impression de ne pas avoir pu profiter avec tout le monde. Le matin j’ai enchainé avec des sollicitations avec mes sponsors, ensuite j’avais prévu de moi-même une séance de photos dédicaces avec 400 personnes qui ont pu me voir en 1h30. Après j’ai partagé un moment dans un sport que j’adore le paddle avec mon premier éducateur de quartier, mon premier entraîneur de football, mes frères, ma famille, mes amis d’enfance, mes sponsors partenaires en mélangeant ceux et celles qui gravitent autour de moi dans mon écosystème. Enfin cela s’est conclu par une soirée tous ensemble, on a chanté « les Corons » et d’autres chansons, toute cette journée m’a fait énormément de bien avant de lancer ma semaine marathon médiatique.
Lepape-info : Votre grand-père a pu enfin voir et toucher vos deux médailles
J.G : Il était trop content mais après déçu car j’ai du les reprendre juste le temps de ma semaine médiatique. Un autre moment fort fut avec Fabrice Lecarpentier, le meilleur ami de mon premier coach qui a toujours été un mentor pour moi a devant ma famille fait un super discours sur moi en décrivant l’homme que j’étais sous forme de poème, il a parlé du musée de mon Pépé dans sa poésie et à ce moment-là mon grand-père a levé les bras il était comme un gamin. Grâce à mon sport, à ce que j’ai réussi et aux gens qui m’accompagnent, je peux offrir ces moments sympathiques à ma famille, mes amis et rassembler tout ceux que j’aime.
Jimmy Gressier : « On s’est dit avec Yann Schrub et Etienne Daguinos qu’on avait envie de marquer autrement l’histoire de l’athlétisme Français en allant chercher une médaille aux Mondiaux de cross c’est l’objectif en janvier. »
Lepape-info : Vous avez décidé de quitter l’INSEP, comment envisagez-vous votre retour prolongé à Boulogne-sur-Mer ?
J.G : J’espère qu’en revenant à Boulogne je pourrai rester un peu une personne normale auprès des gens. Ce n’est pas que je ne veux pas que l’on me dérange mais je veux m’entrainer dans de bonnes conditions et que les gens comprennent que si je rentre à la maison, que je m’entraine à Boulogne mais ce n’est pas pour me faire arrêter pendant mes séances à chaque fractionné. Je ne veux pas que les gens le prennent mal si je ne m’arrête pas, mon travail qui est de m’entraîner est dehors proche d’eux mais j’ai besoin de le faire sereinement, que l’on respecte ce côté personnel sans être perturbé mais après cela faire des photos avec eux ce sera avec plaisir. J’ai pas envie d’être vu comme une star et de ne plus pouvoir sortir de chez moi.
Lepape-info : Cette décision de revenir à Boulogne-sur-Mer avec votre premier entraîneur Arnaud Dinielle fut actée avant les Mondiaux
J.G : Il y a quelques mois, quand j’avais vu Arnaud qui avait décidé d’arrêter pour prendre du temps pour lui, je lui avais dit que si je quittais Paris j’aimerai reprendre avec lui, j’avais prévenu mon coach Adrien Taouji, il sait que je suis très famille, il est comme moi et il l’a compris. Cela va me faire du bien de rentrer chez moi et de me dire que je ne serai qu’à Boulogne ou en stage ou en compétition, je vais profiter du cocon familial. Je vais pouvoir acheter un bel appartement avec ma copine et rien que le fait de faire passer les copains à la maison pour une soirée pizza, regarder le foot à la télé avec eux ou faire un repas de famille cela va me faire beaucoup de bien j’ai envie de passer ces moments maintenant avec eux tant que c’est encore possible, les années passent vite. Je n’ai pas envie que l’athlétisme prenne toute ma vie et emporte tout et que je me dise dans quelques années que je n’ai fait que de courir sans profiter de mes proches. Le bon compromis est d’avoir de bonnes conditions d’entraînement à Boulogne avec mon kiné personnalisé et de partir en stage quand il le faudra tout en profitant de mes amis faire du paddle avec eux et voir ma famille. À Paris j’avais parfois l’impression de faire que de l’athlétisme sans mes copains d’enfance et ma famille.
Jimmy Gressier : « Il faut être reconnaissant de ce qui m’arrive tout en vivant à fond l’instant présent pour continuer et nourrir cette envie de vivre de grandes choses. »
Lepape-info : Le prochain gros objectif va arriver en janvier avec les Mondiaux de cross en Floride
J.G : On s’est dit avec Yann Schrub et Etienne Daguinos qu’on avait envie de marquer autrement l’histoire de l’athlétisme Français en allant chercher une médaille aux Mondiaux de cross c’est l’objectif en janvier. On est une très bonne génération et on a envie de raconter l’athlétisme autrement. On nous voit à chaque fois concurrents aux championnats de France ou championnats internationaux, là nous voulons que les gens nous voient comme des compatriotes qui vont chercher le meilleur pour leur pays. J’espère que je vais pouvoir bien m’entraîner en reprise et revenir à un niveau correct sans me blesser. Il ne faut pas tomber dans le devoir plutôt que le vouloir. Je vais enchainer avec quelques meetings pour conclure sur un 10 000 m en plein air aux Etats-Unis et tenter de battre mon record avant une semaine de vacances après mars. Ensuite viendra la saison estivale avec en ligne de mire les championnats d’Europe en plein air.
Lepape-info : Plus de 3 semaines après les exploits à Tokyo, quel est le sentiment qui prédomine ? Comment vivez-vous le moment présent ?
J.G : Je me dis vivement la prochaine ! Je n’ai qu’une seule envie c’est de m’entraîner, d’enchainer du kilométrage, de me sentir bien dans ma tête et mes baskets. J’ai envie de repartir dans ce que je faisais avant les Mondiaux. Je me sens satisfait, je suis un entrepreneur, j’ai l’impression d’avoir coché quelque chose que je voulais faire depuis longtemps mais maintenant je me concentre sur la suite. À la fin de ma carrière je me dirai j’ai fait tout ce que je voulais maintenant on passe à autre chose et je ferai carrière dans un autre domaine. Il faut être reconnaissant de ce qui m’arrive tout en vivant à fond l’instant présent pour continuer et nourrir cette envie de vivre de grandes choses. Je reste concentré sur la suite avec une envie encore plus débordante qu’avant d’être champion du monde, je ne suis pas rassasié, j’ai envie de tout arracher sur mon chemin et cela va passer par l’entraînement.