Travaillez votre registre de course

Objectif : progresser sur votre distance cible

C'est en quelque sorte la fiche d'identité du coureur à pied : le registre de course. Pourquoi ? Comment ça marche ? Et surtout, à quoi ça sert ? Notre spécialiste Jean-Claude Vollmer a les réponses à ces questions.

Peloton pieds

Votre objectif est clair : vous voulez réaliser un bon chrono sur 10 kilomètres ou améliorer votre performance actuelle. Mais comment vous y prendre ? Comment savoir si les entraînements que vous avez programmés seront efficaces, s’ils seront bien adaptés à votre objectif quand vous ne pouvez  pas vous appuyer sur les compétences d’un entraîneur ? Bien sûr, vous pouvez suivre un plan d’entraînement que vous aurez trouvé sur le web, un plan construit sur la base d’un objectif cible (prenons ici l’objectif d’un 10 kilomètres en 55mn) et un nombre de séances bien précis. Mais ce plan construit pour un coureur visant un objectif de 55mn sur 10 kilomètres ne représente qu’un cadre général (car le coureur est virtuel) qui peut parfois être très bien adapté au coureur que vous êtes, mais qui peut aussi parfois être inadapté car votre profil de coureur ne correspond pas à celui du coureur virtuel. Cette notion de profil de coureur est très importante.

Pour construire un plan d’entraînement – cadre, on se base sur une VMA estimée qui permet de cibler le profil du coureur. Mais pour la réalisation d’une performance en course,  la VMA n’est pas le seul critère qui influence fortement cette performance. Un autre critère, tout aussi essentiel et qui sera même déterminant au fur et à mesure que les distances de course s’allongent, est votre facteur endurance c’est-à-dire la durée pendant laquelle vous allez pouvoir poursuivre un effort correspondant à un certain pourcentage de votre VMA. Ce facteur clé, c’est votre capacité à courir plus ou moins vite et plus ou moins longtemps à des allures permettant de maintenir un état stable de lactatémie.

Appréhender ces critères et les valeurs correspondantes nécessite d’avoir recours à des tests assez sophistiqués qui se déroulent soit sur le terrain soit en laboratoire, ce que peu de coureurs pourront réaliser.

Pour y pallier, de nombreux tests de terrain ont été créés, la plupart pour déterminer la VMA : la Vitesse Maximale Aérobie. En réalité, elle devrait être appelée VMMA (Vitesse Minimale Maximale Aérobie) car elle correspond à la vitesse minimale permettant d’obtenir la consommation maximale d’oxygène.

S’il y a de nombreux tests, plus ou moins faciles à réaliser et validés pour déterminer la VMMA, il n’y a, par contre, quasiment pas de test de terrain présentant un haut degré de validité permettant de déterminer avec précision les niveaux d’état d’équilibre d’un coureur. Alors comment faire pour bien cibler des allures d’entraînement ?

Rappelons ici  très sommairement, sur le plan physiologique, les caractéristiques des différentes courses de fond et demi-fond. La part de production énergétique aérobie ou anaérobie est différente selon les distances. Cette différence va fortement influer la nature de l’entraînement à suivre selon l’objectif de distance pour développer les adaptations physiologiques nécessaires.

Ainsi, si une course de marathon se court entre 95 et 99% de production énergétique aérobie (qui correspond à une durée de 2h05 – 2h10 pour un coureur de très bon niveau international, de 2h20 à 2h25 pour les féminines), un semi-marathon va se courir entre 90 et 95%  de production énergétique aérobie (soit une durée de 1h – 1h03 pour un coureur de très bon niveau international  – de 1h10 à 1h13 pour les féminines).

Pour un 10 kilomètres, la part de production énergétique aérobie sera entre 80 et 90%  (soit une  durée de 27mn – 27mn30 pour un coureur de très bon niveau international et de de 30mn30 à 31mn30  pour les féminines).

Un 5 000m va se courir avec une production énergétique aérobie de 70 à 75% (soit une durée de 13mn – 13mn10 pour un coureur de très bon niveau international – 14mn50 à 15mn10 pour les féminines) alors qu’un 3 000m va se courir à 65 à 70%  (pour une durée de 7mn35 – 7mn45 pour un coureur de très bon niveau international et de 8mn35 à 8mn45 pour les féminines).

Pour un 1 500m, l’apport de la production énergétique aérobie ne sera plus que de 50 à 60% (soit une durée de 3mn30 – 3mn32 pour un coureur de niveau international et de 4mn à 4mn04 pour les féminines.

Les temps d’effort vont donc de 3mn30  à plus de 2 heures pour les hommes et de 4mn à 2h25 pour les féminines. Les vitesses correspondantes pour ces distances sont de plus de 27 km/h ( pour le 1 500m) à 20 km/h (pour le marathon) chez les hommes et de 22,5km/h à 18 km/h pour les féminines.

Cette échelle de vitesse montre bien l’étendue du registre des courses de fond et de demi-fond. Cette échelle de durée et de vitesse rend quasi impossible la possibilité de voir des coureurs capables de gagner lors d’une même compétition aussi bien sur 1 500m et sur 10 000m et encore moins sur des distances encore plus extrêmes.

Les registres (profils) des meilleurs coureurs sur 10 000 mètres sur le plan international sont à ce titre intéressants à observer.

Noms 1500 m 3000 m 5000 m 10 000 m semi marathon
Bekele 3’32″35 7’25″79 12’37″35   26’17 »53 62’12 2h 05’04
Gebrselassie 3’31″76 7’25″09 12″39″36   26’22 »75 58’55 2h 03’59
Tergat 3’42″3 7’28″70 12’49″87   26’27 »85 59’17 2h 04’55
Kemboi 1’46″65 800 m 3’56″19 mile 7’50″94 13’01″14   26’30 »03 60’07 2h 08’01
Dinkesa 7’40 12’55″58   26’30 »74 60’03   2 h14’33
Kogo 7’38″67 13’00″77   26’35 »63 59’49 2 h 06’56
Koech 5’01″92 7’33″79 12’56″29   26’36 »26 60’01 2 h 07’07
Tadese 7’39″93 12’59″27   26’37 »25 58’23 2 h10’41
Hissou 3’35″9 7’28″93 12’50″80   26’38 »08 61’56 2 h12’45
Abdullah 7’43″01 12’56″27   26’38 »78 61’46  2 h 08″36
 
Moyenne   7’35″5 12’51″34 26’31″49 60’07 2 h 08’15

 

Que voit-on à l’analyse du profil des meilleurs coureur(e)s de 10 kilomètres ?

Premier constat : on observe que tous ces coureurs possèdent des chronos de grande valeur (de niveau mondial) soit sur la distance inférieure, soit sur la distance supérieure.

Certains coureurs présentent des profils tout à fait exceptionnels tels que Haïle Gebrselassie (le coureur le plus complet de tous les temps au niveau mondial avec des performances exceptionnelles sur plusieurs distances). Mais les coureurs présentant ce profil universel sont rares (et il est nécessaire toutefois de nuancer ce constat  car si on regarde les années de réalisation de ces performances on observe que ces performances n’ont pas été réalisées la même année mais bien souvent sur deux ou plusieurs olympiades – le record de Gebrselassie sur 5 000m date de 1998 et son record sur marathon de 2008). Ces quelques années d’écart dans la temporalité des performances montrent bien que  plusieurs années d’entraînement sont nécessaires pour arriver à l’obtention de performances sur une autre distance et donc à modifier un profil initial.

Il faut également noter que ces progressions se font sur des distances supérieures et jamais en sens inverse. L’entraînement du facteur endurance permet donc de progresser sur des distances supérieures en modifiant les adaptations physiologiques.

Deuxième constat : si les coureurs possèdent un registre très large, la plupart des coureurs présentent des profils assez clairement identifiés et très clairement marqués : ils sont plutôt  très bons sur 3 000m /5 000m tout en étant performants sur les plus longues distances qu’ils abordent parfois plus tardivement. Ainsi, tous présentent des performances de très bon niveau sur les distances périphériques, que ce soit sur les distances inférieures ou sur les distances supérieures, bien que courir sur ces distances ne soit pas considéré comme prioritaire par les coureurs et donc qu’ils ne les abordent pas aussi souvent que leur distance cible.

En résumé, on peut donc dire que pour aller plus vite sur 10 kilomètres, il faut aller vite soit sur :

  • la distance inférieure (3 et 5 kilomètres)
  • soit sur la distance supérieure (semi)
  • soit être un coureur complet

Le registre de course représente une véritable fiche d’identité physiologique. Chaque performance sur l’une ou l’autre distance renvoie vers les caractéristiques biologiques, physiques du coureur qui lui permettent de s’exprimer plus ou moins bien sur les différentes distances.

Conseil : faites comme les grands coureurs, établissez  votre fiche d’identité en vous lançant sur d’autres distances. Connaître votre profil  de coureur, votre  « registre»  en courant  sur des distances périphériques à votre distance « cible » vous aidera considérablement dans l’approche de votre entraînement. Connaître votre registre permet de cerner votre entraînement.

Établir des performances sur plusieurs distances vous permettra d’observer la courbe de décroissance de vitesse et vous indiquera quel type de coureur vous êtes, quel est votre point fort  (celui qu’il vous faudra maximaliser) et le secteur où vous présentez une faiblesse (plus ou moins importante) qu’il vous faudra nettement améliorer pour progresser sur votre distance cible.

Si vous pouvez aborder ces distances lors de compétitions alors tant mieux, mais cela n’est pas toujours possible. Vous pouvez alors le faire lors de séances spécifiques – tests qui se dérouleront soit sur piste soit sur un parcours bien étalonné. Lors de ces tests, il vous faudra bien évidemment donner le maximum pour pouvoir exploiter les données.

Courir sur beaucoup de distances et ainsi connaître votre registre de course vous obligera, je dis bien obliger, à explorer toute la richesse des allures dans le domaine aérobie. En clair : des allures proches ou supérieures à la consommation maximale d’oxygène (la VMMA) c’est-à-dire aller vite sur des temps d’effort courts, jusqu’à l’autre bout de la chaîne aérobie qui concernera les allures de récupération c’est-à-dire l’allure très lente. Exploiter cette richesse est essentielle pour progresser car dès lors vous balayerez toute la  dimension de l’espace aérobie. Beaucoup trop de coureurs s’entraînent  toujours à la même allure, sur la même distance et ce souvent bien trop lentement. En procédant ainsi vous ne développez que ….votre capacité à courir lentement sur la même distance !

Alors variez vos entraînements en jouant sur les allures, les durées.

Pour faire un bon chrono sur 10 kilomètres,  il faut certes une bonne base aérobie (qui reste la condition essentielle), mais cela ne suffit pas. Pour aller plus vite sur 10 kilomètres,  il vous faudra être meilleur sur 5 000m, et pour être meilleur sur 5 000m,  il vous faudra progresser sur 3 kilomètres. Et pour vous améliorer sur ces distances, il vous faudra donc faire des séances spécifiques propres à ces distances.

Progresser sur 10 kilomètres va ainsi nécessiter d’introduire des entraînements du type 3 000m, du type 5 000m, des sorties de type semi et bien entendu des séances vraiment spécifiques à la distance du 10 000 mètres sans oublier pour autant tout le travail foncier.

Souvenez-vous : pour être performant  sur une distance donnée,  il vous faut donc impérativement travailler l’ensemble du secteur aérobie, en variant intensités, durées pour explorer puis développer votre registre aérobie. C’est la condition nécessaire à votre progression.

2 réactions à cet article

  1. Bonjour,

    Cela revient-il a mettre des points sur le nomogramme de Mercier?

    Vopus ecrivez: « Connaître votre registre permet de cerner votre entraînement. » Comment faire? Sur un entrainement marathon par exemple, les 2 seances extremes sont l’endurance fondamentale et developement VMA. Donc suivant son profil, faudra-t-il accentuer l’un et diminuer l’autre?

    Merci d’avance.
    JC

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    • Bonjour

      Le nomogramme de Mercier est un outil qui permet de prédire une troisième performance sur une distance à partir de deux performances connues sur des distances.

      Ce que je conseille, c’est de tester ce que vous valez sur différentes distances pour définir votre profil et orienter votre entraînement dans les différents secteurs qu’il vous faut soit optimaliser soit maximaliser en fonction de votre distance cible.

      La prédiction de performance est un exercice difficile car la performance est un produit complexe avec beaucoup d’aléas et donc de surprises… et de possibles déceptions. En effet, la course à pied n’est de loin pas une science.
      Une façon plus simple pour cerner votre profil est de transformer vos résultats en compétition en vitesse en km/heure et de faire le rapport entre deux distances.

      Je prends deux exemples :
      Vous faites 48mn au 10 kilomètres et 1h58 au semi-marathon soit respectivement 12,5 km/h et 10,7 km/h. Vous avez un rapport (vitesse sur 10km/h divisé par vitesse sur semi-marathon et 10 km/h) soit de 10.7/12.5 = 0,856.
      Sachant que plus vous êtes proche de 1 et plus élevé sera votre endurance spécifique.
      Si vous faites 50mn au 10 kilomètres et 1mn52 au semi soit respectivement 12 km/h et 11,3 km/h vous aurez le rapport suivant de 0,94 soit un excellent indice d’endurance.
      Vous pouvez faire cela avec n’importe quelles distances.

      Les deux exemples sont la représentation de deux coureurs à profil différent.
      Pour progresser le premier devra s’améliorer dans le secteur aérobie – augmenter son niveau aérobie alors que le second devra améliorer son secteur VMA, bref sa vitesse de base.

      Ils auront donc des entraînements avec des dominantes différentes.
      L’entraînement est un compromis avec un curseur qu’il faut placer, déplacer selon la période d’entraînement, l’objectif …
      Il ne faut jamais oublier que chaque coureur présente un profil différent et que l’entraînement doit être adapté à un individu et non pas l’individu qui doit s’adapter à un système.

      C’est toute la difficulté des groupes d’entraînement car très vite, si l’entraînement n’est pas individualisé et adapté, stagnation ou même régression peuvent se manifester. Sur dix coureur(e)s qui font le même travail, l’intensité sera peut être parfaitement ciblé pour 3 coureurs mais sera trop élevé pour 4 coureurs et trop faible pour les autres.

      L’individualisation est bien entendu très complexe mais nécessaire.

      Cordialement

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