Fatigue, surcompensation et performance : les étapes de la décadence

Depuis des décennies, le mythe du rebond gouverne une partie des mœurs d’entraînement. Celui-ci suggère une surcompensation du niveau de performance consécutive à une très forte période de charge. Ainsi, plus le niveau de fatigue engendré serait important, plus la progression enregistrée suite à une récupération serait grande. Sur le papier, l’idée semble tenir la route. Dans les faits, mieux vaut ne pas y mettre sa main à couper.

Si les stratégies de progression en activité d’endurance ne manquent pas, un dénominateur commun à ces réflexions reste le phénomène de dose-réponse. Celui-ci repose sur l’idée qu’en réponse à une charge d’entraînement donnée, une transformation proportionnelle au stress initial survient, grâce à l’ensemble des adaptations développées par l’organisme en période de récupération. Empiriquement, chaque nouvel apprentissage nous amène à conforter cette observation. Ce qui tendrait à rendre la logique du rebond intuitive.

 

Si facile ?

 

Depuis quelques années, une batterie d’études scientifiques rondement menées s’est penchée sur le sujet, avec en ligne de mire la véracité de ce phénomène de surcompensation. Parmi elles, une équipe de la capitale vient de jeter un pavé dans la marre… L’étude en question comparait, au cours de 4 semaines d’affûtage, l’évolution des performances aérobies de sujets soumis préalablement à une surcharge à celle d’un groupe témoin. Pendant trois semaines, le groupe expérimental composé de triathlètes bien entraînés s’entraînait ainsi avec un volume hebdomadaire gonflé à 140% du volume de base (soit 21h par semaine pour un sujet initialement à 15h, en préservant l’intensité et la fréquence d’entraînement). Pendant ce temps, le groupe contrôle maintenait scrupuleusement son entraînement habituel.

 

Surcharge ou pas surcharge ?

 

A l’issue de cette période de trois semaines, quand bien même une forte fatigue était reportée par l’ensemble du groupe expérimental, deux profils de réponses pouvaient être discriminés. Une partie des participants voyait son niveau de performance diminuer d’environ 2% lors du test maximal (les « surchargés »), tandis que l’autre partie parvenait tant bien que mal à maintenir son niveau d’efficacité (les « fatigués »). La période d’affûtage qui s’ensuivait devait alors éclaircir les débats.

 

Un déclin bénéfique ?

Alors qu’un test de performance était effectué chacune des quatre semaines d’affûtage afin d’être certain de ne pas manquer ce fameux rebond, la surcompensation tant attendue pour les « surchargés » ne dépassa pas au mieux … 1% du niveau initial. Déception… Pire, ce « rebond » était même inférieur aux performances réalisées par le groupe contrôle, qui profitait lui aussi de ce temps d’affûtage (~1,5%). La surprise venait en réalité des « fatigués ». Bien qu’ayant encaissé la même augmentation du volume d’entraînement que les « surchargés », ce groupe démontra une amélioration de son niveau de performance de près de 5%, pointant en moyenne en seconde semaine d’affûtage, avant de glisser vers le niveau d’origine en fin de protocole.

 

Rebond… Rebond… Où es-tu ?

 

A force de protocoles – et de sujets bien complaisants – cette même équipe de chercheurs a pu commencer à démêler les tenants et aboutissants du processus conduisant à l’état de surmenage. Les indicateurs régulièrement mesurés (chaque jour du protocole et chaque jour de test !) laissaient en effet présager de la survenue pas à pas de cette décroissance de performance. En d’autres termes, à mesure que l’athlète avançait dans la surcharge, certaines mesures devenaient prédictives de la baisse de performance constatée. En étant initiés chez les « fatigués » mais accumulés chez les « surchargés », ces indicateurs peuvent alors s’ériger en véritables régulateurs/repères pour tout un chacun.

 

Surmenage quand tu me guettes

 

Au fil d’une surcharge, trois dimensions imbriquées peuvent alerter quant à la décadence de son mode de fonctionnement et la survenue d’une contre-performance. 1. Comme renseigné par les « fatigués », les premiers symptômes semblent d’abord perceptifs. Le ressenti quotidien est perturbé : les tâches habituelles semblent plus pénibles et s’activer devient un réel challenge. 2. Poussez encore un peu le bouchon à l’entraînement et les troubles précédents gangrèneront peu à peu votre comportement. Plus irritable, incapable de rester concentré, moins patient voire impulsif et intolérant, vous perdez en réalité votre capacité d’auto-régulation. Les ressources mentales vous manquent pour reprendre le dessus, et ce n’est pourtant pas fini. 3. En continuant à appuyer sur le champignon à l’entraînement (ou dans votre vie perso !), une désactivation globale de l’organisme s’installe. Alors, en plus d’une pénibilité accrue pour rentrer une séance anodine, la physiologie de votre corps se rappelle à vous : la fréquence cardiaque peine à décoller, la fréquence cardiaque de récupération est en chute libre, la technique devient grossière et la moindre douleur supplice.

 

Surmenage quand je te guette

 

Anticiper cette décadence ne requiert pas d’être obsessionnel sur son état de forme, mais stratégique. Et ce, quel que soit notre volume d’entraînement, de 5h comme de 20h semaine, car les stresseurs (sportifs, professionnels, personnels) s’additionnent et systématisent sur le corps les mêmes effets. Si vous n’êtes alors pas dans l’optique de lâcher du lest, soyez au moins vigilant : une attention particulière accordée à votre ressenti et votre FC lors d’une séance clé (un 10x400m à allure connue) sera largement suffisant. En période de surcharge, ces critères pourront vous renseigner sur l’avancé de votre état de fatigue. Objectif : une sensation de pénibilité plus grande qu’à l’accoutumée, mais une FC maintenue. Ensuite, on coupe. Finie la surcharge. Place à la récupération.

Le mythe du rebond n’est peut-être donc pas tant illusoire que cela. Reste simplement à définir quelles parts de soi laisser dériver, et sur quelles parts rester intransigeant.

Cyril Schmit

14 réactions à cet article

  1. Merci beaucoup pour cet article.
    L’étude que vous mentionnez a-t-elle été publiée? Si oui, peut-on en connaître les références?

    Cordialement

    Répondre
    • 🙂
      voici la référence : Aubry et al., Functional Overreaching: the key to peak performance during the taper? » Medecine and Science in Sports & Exercise, 2014

      Répondre
  2. Je suis d accord avec cette article, et je pense qu un suivi journalier (comme prise du pouls tous les matin) un geste simple permettrait à la personne de se connaître bezucoup mieux et de détecter les moments de fatigue pouls plus élevé

    Répondre
    • Si je comprends bien la phrase « la fréquence cardiaque peine à décoller, la fréquence cardiaque de récupération est en chute libre », c’est bien une fréquence plus basse qui traduit l’excès de fatigue !

      Répondre
      • Bettolo, la réponse cardiaque va dans le sens de la compréhension de Ju. La FC est plus basse au repos et cette différence entre FC en bon état de forme et FC fatigué va s’accentuer. Le test d’effort sera un exemple flagrant, le sportif voyant l’écart de plus en plus important à mesure que l’intensité d’effort augmente, pour finalement ne pas réussir à atteindre FCmax en situation de surmenage. Ensuite la différence entre la FC à l’arrêt de l’exercice et celle après 1′ de récupération va également augmenter. Pour exemple un sportif en pleine forme coupant son footing de 45′ à 12km/h à 140 bpm va par exemple atteindre 80 bpm post 1′. En situation de surmenage nous pourrions retrouver une FC de 134 bpm pour un même footing et de 60 bpm post 1′. Donc la FC de récupération passerait de 60 bpm en bonne forme à 74 bpm en situation de surmenage. J’espère avoir répondu à vos questions.

        Répondre
  3. Bonsoir
    Cela veut-il dire que l’on peut visualiser l’état de fatigue par la mesure de FC (FC de repos qui augmente, FC à l’effort qui peine à s’élever et FC qui peine à redescendre lors de la récup) ?
    Cordialement

    Répondre
  4. Bonjour Fred,
    Oui, en partie. En effet, la FC à l’exercice peine à s’élever (en raison d’une moindre libération d’hormones dans le sang). Par contre, la FC ne peine pas à redescendre en récup’, au contraire elle est « en chute libre » et descend donc encore plus bas qu’à la normale.
    Pour compléter, ces variations de FC ne peuvent autoriser à détecter un état de surmenage si elles sont utilisées seules. Pour détecter cela, il est nécessaire qu’elles soient aussi couplés à votre ressenti. Si vous êtes globalement fatigué, et ressentez une difficulté plus importante à l’exercice pour des mêmes allures, alors vous êtes fatigué. Si, à l’inverse, vous vous sentez en grande forme au repos et à l’exercice, alors ces variations de FC seront synonymes d’amélioration de votre condition physique.
    En effet, les mêmes indices physiologiques peuvent supposer 2 états complètement opposés (d’où l’intérêt de croiser avec des indices perceptifs).

    🙂
    Cordialement

    Répondre
    • Merci de cette réponse rapide.
      Quel dommage ! J’aurais tellement aimé pouvoir supprimer le paramètre perceptif de la détermination de ma fatigue éventuelle.
      Tu parles d’hormone. Quelles sont elles ? La fatigue est elle liée à la production de ces hormones (Fatigue des organes producteur) ou est elle nerveuse ?
      Quelque chose me dit que tu va répondre : les deux ! 😉
      Merci

      Répondre
  5. Haha, et oui, mais malheureusement (ou heureusement) la dimension perceptive est souvent la clé. C’est d’ailleurs elle qui dérive en premier, avant même de constater la baisse de FC. Dès lors, la « connaissance de soi » devient source d’enjeu. Mais elle est complexe… et je comprends donc ta frustration 🙂
    Les hormones concernées sont plurielles. L’adrénaline et la noradrénaline sont parmi ces hormones. Pour un listing plus exhaustif, je te renvoie à la publication de Romain Meeusen (http://europepmc.org/abstract/med/23247672).
    Et, comme tu le soulignes, il y a aussi des implications nerveuses. On sait aujourd’hui que ces dernières sont non seulement motrices (moindre activation du cortex moteur malgré une perception d’effort similaire) et cognitives (moindre activation du lobe frontal). Cela a ainsi des répercutions sur la performance sportive pure, mais aussi sur la capacité de lucidité à l’effort (ex: la gestion d’allure)
    🙂
    Cyril

    Répondre
    • Bonjour,

      Oui c’est encore moi…

      J’ai du mal à traduire le dernier paragraphe concernant les implications nerveuses. Qu’entendez-vous par « moindre activation du cortex moteur malgré une perception d’effort similaire » ainsi que « cela a des répercussions sur la capacité de lucidité à l’effort (ex: la gestion d’allure) » ? Je ne vois pas la différence entre la répercussion motrice et cognitive.

      Pour traduire, cela signifie qu’on a l’impression de courir vite alors que non, par exemple de faire un effort comparable à une allure relativement rapide alors qu’on est en simple sortie en EF ?

      Merci d’avance.

      Elodie.

      Répondre
      • Hello (encore vous !) 🙂
        Encore une fois vous êtes dans le juste : il y a un changement du rapport entre intensité / ressenti. Autrement dit, pour une allure donnée, c’est plus difficile. Ou, pour un même ressenti, on va moins vite.

        Concernant les implications motrices, elles renvoient à la composante physique (production de force) de l’organisme. Les implications cognitives correspondent à la capacité à raisonner (ex: comment ajuster mon allure en fonction des informations environnantes et des informations que j’ai de mon corps ?).

        🙂

        Répondre
  6. Au top ! Merci pour la réf.

    Répondre
  7. Bonjour,

    Super intéressant comme article surtout pour moi qui ait bien du mal à lâcher du lest…
    J’ai tendance à me fier à la notion de FC pour déterminer mon état de fatigue sans prendre en compte le côté perceptif.

    En gros, tant que je vois que mes allures et la FC associée « suivent », sont cohérentes avec ce que je fais d’habitude, je me dis que tout va bien et que j’ai le feu vert pour poursuivre, en men disant que je n’en fais pas trop..

    Avant de m’accorder un jour de repos, j’attends le jour où non seulement le ressenti est plus pénible pour une séance en EF, mais aussi pour laquelle la FC semble être restée plus basse qu’à l’accoutumée.

    Du coup si je comprends bien, l’idée est de s’arrêter juste avant que la fatigue « ressentie » ne se perçoive aussi par l’analyse de la FC ? Et c’est quand la fatigue impacte la FC que « c’est trop tard » ?

    Merci de bien vouloir m’éclairer un peu là-dessus.

    Cordialement,

    Elodie.

    Répondre
  8. Hello Élodie,
    je ne vois pas grand chose à vous éclairer, car je pense que vous avez bien capturé le message essentiel de l’article. Peut-être hormis un point à revoir : il est préférable de s’arrêter avant que la FC ne baisse, c’est-à-dire seulement lorsque le ressenti n’est plus cohérent. Car comme vous le soulignez, « quand la fatigue impacte la FC, c’est trop tard » (autrement dit, 1 jours de repos ne sera pas suffisant pour récupérer, alors que 1 jours peut être suffisant pour récupérer d’une perception incohérente).
    Bien à vous

    Répondre

Réagissez