Nicolas Martin : « Ce n’est pas parce qu’on est le meilleur qu’on est forcément le plus épanoui en tant que sportif ou être humain. »

10 ans déjà ! En ce mois d'avril, le site Lepape-info créé lors du Marathon de Paris 2011 fête son 10ème anniversaire. L'occasion d'échanger avec les spécialistes des disciplines que nous traitons régulièrement.
Le traileur Nicolas Martin vice-champion du monde 2016 et champion de France 2017 se confie notamment sur l'incertitude de la situation actuelle et sur l'évolution de son sport ces 10 dernières années. 10 ans, 10 questions. Entretien.

Nicolas Martin au San Remo Urban Trail 2021 - Crédit photo : @nico_martin_trail

Lepape-info : Nicolas, quelles sont vos perspectives à venir avec les incertitudes liées à la crise sanitaire ? 

Nicolas Martin : Depuis quelques temps j’ai un petit soucis au genou gauche du coup l’absence de compétition, d’objectifs concrets due à la crise est propice à me soigner correctement. Le trail est très fortement impacté comme les autres sports qui occasionnent des évènements de masse ou grand public. Mis à part de rares courses comme le Trail de la  Cité de Pierres (Aveyron) le 26 mars dernier réservé aux élites ou le San Remo Urban Trail auquel j’ai participé le 21 février (5ème du 32 km) il ne se passe pas grand chose, on est dans l’incertitude.

Ma saison devait être basée sur le circuit Golden Trail World Series. La première course prévue le 6 juin à Zegama (Espagne) vient d’être annulée. Du coup mon prochain objectif devrait être les Championnats de France de course en montagne prévus à la même date s’ils sont maintenus ou alors le marathon du Mont-Blanc à la fin du mois de juin.

 

Lepape-info : Cela vous laisse plus de temps pour vous rétablir physiquement 

N.M : Je vais devoir faire une réathlétisation pour retrouver une condition physique en vue des grosses compétitions. J’en ai pour quelques semaines avant d’y arriver, la situation ne m’inquiète pas trop. Ma gêne au genou est en partie congénitale, normalement la rotule est en un seul morceau, la mienne à mon adolescence ne s’est pas complètement soudée je m’en suis rendu compte en faisant une IRM l’année dernière et j’ai toujours une petite douleur qui traîne, pas handicapante au moins de m’arrêter vraiment et de ne plus pouvoir pratiquer puisque j’ai couru en février mais cela est devenu chronique. Avant de se lancer vraiment dans la saison j’ai décidé de soigner cela, c’est vrai que le contexte sans un vrai calendrier de course m’a incité à prendre soin de moi en priorité.

 

Nicolas Martin : « En première partie de carrière j’étais tourné vers la performance, aujourd’hui je suis plus dans l’exploration de mes limites, la prise de plaisir, le partage de mon expérience avec les plus jeunes, les rencontres humaines que ce soit en compétition ou lors de stages. »

 

Lepape-info : La situation incertaine se prolonge, comment le vivez-vous ?   

N.M : Il y a quelques temps, j’étais assez confiant pour une reprise progressive des courses en juin maintenant je le suis un peu moins. J’espère que cet été courant juillet cela devrait repartir. L’inconnue est plus sur les très gros évènements avec plusieurs milliers d’inscrits, il y aura besoin d’ajustements. La jauge ne sera surement pas tout de suite à 5 000 ou 10 000 personnes. Plus que le côté sportif ce qui m’interroge c’est le côté matériel et notamment le sponsoring, les partenaires. Mon contrat principal avec l’équipementier Hoka One One s’arrête à la fin de l’année et cela suscite des inquiétudes, des incertitudes.

 

Lepape-info : Quel regard portez-vous sur vos 10 dernières années de pratique ?  

N.M : Les 10 dernières années c’est toute ma carrière, j’ai commencé à pratiquer sérieusement en 2010. Au départ je n’étais pas issu d’un milieu sportif, j’ai découvert le sport intensif avec une pratique structurée jusqu’au haut-niveau avec une pratique assidue dans le but de performer. Le sommet de ma carrière est le titre de vice-champion du monde en 2016 même si je pense que sportivement j’ai été meilleur en 2018 sur le Grand Raid des Templiers où je termine 2ème, ma performance d’un point de vue personnel était supérieure à ce que j’avais fait au championnat du monde. Ces dernières années j’ai eu quelques petites blessures qui m’ont fait rater quelques courses et puis j’ai aussi changé de philosophie. En première partie de carrière j’étais tourné vers la performance, aujourd’hui je suis plus dans l’exploration de mes limites, la prise de plaisir, le partage de mon expérience avec les plus jeunes, les rencontres humaines que ce soit en compétition ou lors de stages. Ce que l’on arrive à comprendre sur soi physiquement, mentalement est important. Je parle souvent d’excellence personnelle. Ce qui m’intéresse maintenant quand je finis une course au-delà du résultat c’est de savoir si j’ai bien préparé ce qu’il fallait, si j’ai bien géré mentalement les moments difficiles alors que ton corps te dit de ralentir.

 

Nicolas Martin : « Je communique ou le peu que je fais c’est parce que l’on est un peu contraint. Je considère que la valeur d’un sportif doit être liée à sa valeur sportive et non pas à sa capacité et son envie de communiquer. Mais comme le dit Kilian Jornet aujourd’hui cela fait partie du jeu, un sportif n’a plus beaucoup d’autre choix que d’être un peu influenceur. »

 

Lepape-info : Votre vision de la compétition a changé ?  

N.M : La compétition reste importante mais ce n’est plus mon moteur principal et je pense que cela se ressent parfois sur les résultats. Je ne suis plus obnubilé uniquement par le fait d’être performant, j’apprécie tout ce qu’il y’a également à côté. Ce n’est pas parce qu’on est le meilleur qu’on est forcément le plus épanoui en tant que sportif ou être humain. C’est important de vivre ce moment où l’on arrive à prendre du recul sur sa pratique, de se demander si la quête de la performance ne vous coupe pas de pleins de choses qui font le sel de la vie. Je pense que les tous meilleurs ne sont pas forcément des gens ultra équilibrés parce qu’ils ont ce côté très focus sur quelque chose. On valorise souvent beaucoup la performance mais je pense qu’il y a un équilibre global qui prime pour moi en tout cas aujourd’hui. L’autre constat aussi c’est que souvent les gens de l’extérieur imaginent que c’est incroyable de gagner une médaille mondiale mais en fait quand on est athlète on se rend compte que c’est à la fois exceptionnel parce que cela n’arrive pas tous les jours mais en même temps on s’attendait à être performant ce n’est pas une surprise non plus.

 

Lepape-info : Comment avez-vous vu évoluer votre discipline en 10 ans ? 

N.M : Il y’a 10 ans, le trail commençait déjà à être en fort développement. Mais c’est vrai que c’est devenu un sport à la mode qui a pris de l’ampleur auprès du grand public avec beaucoup de grands évènements qui se sont installés comme l’UTMB. Au point de vue de la structuration de la discipline, au niveau fédéral cela va dans le bon sens mais cela a pas évolué énormément en 10 ans. Quand j’ai rejoint l’équipe de France en 2013 je pensais que l’évolution structurelle serait plus rapide. Cela manque de cohabitation entre les grands évènements privés très pris par le marketing et de l’autre côté les organisations plus fédérales. En 2021, il y aura le 1er championnat du monde de course en montagne et trail qui regroupera course en montagne, course en montagne longue distance et trail organisé par World Athletics du 11 au 14 novembre en Thaïlande, c’est la 1ere fois qu’il y aura cet évènement comme ont lieu les championnats du monde d’athlétisme. Le fait que cela soit reconnu par la Fédération internationale c’est bien pour la structuration au haut niveau. Pour le grand public c’est un sport qui a le vent en poupe, on a désormais en France quasiment le même nombre de courses sur route que de trails.

 

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Crédit photo : @nico_martin_trail

 

Lepape-info : Le trail séduit de plus en plus de monde 

N.M : Le trail est devenue la discipline n°1 des coureurs assidus. Ce que pouvait être le marathon il y’a 20 ans, c’est maintenant la pratique du trail sur différents formats qui concerne ce genre de coureurs très impliqués. Peut-être qu’ils vont faire un marathon mais au lieu d’en faire 3,4,5 pour améliorer leur record personnel ils vont plus se diriger vers le trail en faisant un 40 km puis un 80 km voire ensuite peut-être un ultra. Il y a cette évolution avec certes un besoin de nature mais aussi moins cette notion de compétition chronométrique qu’il peut y avoir sur les courses sur route et qui plait aux gens.

 

Lepape-info : La façon de communiquer aussi a changé  

N.M : Je communique ou le peu que je fais c’est parce que l’on est un peu contraint. Je considère que la valeur d’un sportif doit être liée à sa valeur sportive et non pas à sa capacité et son envie de communiquer. Mais comme le dit Kilian Jornet aujourd’hui cela fait partie du jeu, un sportif n’a plus beaucoup d’autre choix que d’être un peu influenceur. Cela correspond au manque de structuration et à la jeunesse de notre sport. Si l’on prend d’autres disciplines comme le cyclisme, le Tour de France fait le coureur, peu importe que le coureur communique ou pas. Par exemple Christopher Froome peu de personnes le connaissait, il a gagné le Tour c’est devenu une star. Celui qui va être parmi les meilleurs va être automatiquement médiatisé. C’est un peu moins le cas dans le trail où il est plus question d’histoires de communautés, d’être inspirant mais ce n’est pas évident et cela dépend de la personnalité des gens.

 

Lepape-info : La représentation hommes / femmes tend à s’équilibrer au fil des années ? 

N.M : Sur les courtes distances il y a pas mal de féminines et de plus en plus, il y’a des courses qui sont quasiment à 50/50. Sur les formats plus longs, les ultras on passe à 10-15% de féminines pas plus. C’est purement sociétale, dans un foyer la mère de famille a souvent une charge mentale un peu plus importante et moins de temps à consacrer à la pratique. Plus les formats sont longs et plus il faut du temps de disponible, par exemple pour espérer terminer un ultra il faut au moins s’entraîner 3 à 4 fois par semaine à moins d’avoir un talent particulier.

 

Lepape-info : Dans quel sens va s’orienter votre sport dans les années à venir ?  

N.M : J’ai du mal à me positionner. Je vis à la campagne dans le Vercors et je me rends compte qu’en pratiquant le trail on fait des choses pas très utiles à la société. Les modèles très consommateurs et pas très écologiques que l’on connait n’ont pas des dizaines d’années devant eux. Veut-on être sur des valeurs « nature » ? sur des évènements plus locaux, proches des gens ? Je ne suis pas prêt non plus à renoncer au fait de vivre de ma passion. Il y a une dissonance dans mon esprit entre le fait que je sais que cela serait bien d’être moins impactant, de faire quelque chose de plus utile dans la société et de l’autre d’aller m’entraîner cela me rend heureux. Le trail est un sport où l’on consomme beaucoup de matériel, le marketing est très présent cela contribue à cette société de consommation mais qui fait aussi vivre beaucoup de monde. C’est difficile de prôner un côté écologique et de prendre l’avion pour aller faire une course au bout du monde. Certains athlètes dans le trail ont décidé de ne plus prendre l’avion, même si certains les critiquent parce que finalement pendant longtemps ils ont fait le tour de la planète, c’est une décision qu’il faut quand même saluer.

1 réaction à cet article

  1. Super intéressant Nicolas Martin. Ce point du vu sur la performance et le développement du trail. Je n’ai jamais été fan de l’approche fédérale, qui fait vraiment chauvin alors qu’en montagne les nationalités sont brouillées pour une culture commune. Les catégories à l’infini et l’obsession olympique ou chronométrique de la FFA me semble contre nature.

    Personnellement je pense que courir à l’intérieur de 500 km est une vraie résolution à prendre pour ceux qui ont des terrains propices. Cela redonne de l’exceptionnel aux voyages.

    L’exemple du cyclisme me semble plutôt être un antimodele puisque je préfère écouter des choses intéressantes d’une personnalité médiatisée que de n’avoir à écouter qu’un performeur qui ne dit rien d’intéressant ou inspirant (C.Froome). Le culte de la perf réduit les athlètes à des chiffres et c’est assez ignoble dans le fond.

    Le trail et sa culture moins perf et moins chiffre fetichisé (2h…) est sur la bonne voie, les athlètes « quasipro/mediatisé » restent assez utiles en petit nombre mais on a pas besoin de pelletées pour faire avancer les choses. L’exemplarité est par contre essentielle et sur le dopage, les voyages je les attends !

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