Athlétisme : dans les coulisses de la chambre d’appel

Entre stress, agressivité et excitation

La chambre d’appel, dernière porte à franchir pour les athlètes avant d’entrer sur le lieu de la compétition. Que se passe t-il entre ses murs quelques minutes avant l’épreuve ? Peut-on gagner ou perdre la compétition avant même de la commencer ? Elodie Guegan, athlète de haut niveau, nous fait passer dans l'envers du décor.

La chambre d’appel est l’endroit où sont convoqués les compétiteurs 20, 30, 40 minutes avant la course. Seuls les athlètes y ont accès. Les entraîneurs et agents doivent rester en dehors. Pour certains c’est comme aller à l’abattoir, la tête basse les yeux rivés au sol. Marion Lotout la perchiste française qualifiée pour les Jeux Olympiques de Londres décrit parfaitement la situation : « C’est assez stressant. Tout le monde fait semblant de ne pas se regarder mais on s’observe toutes. Les filles sont silencieuses, nous marchons les unes derrière les autres en regardant par terre pour nous mettre dans notre bulle ». Nous savons qu’en pénétrant dans cette « chambre » la compétition est proche, le stress grimpe naturellement d’un cran.

Un rituel strict, encadré par des officiels

Aux Jeux Olympiques et aux championnats du monde d’athlétisme un immense chronomètre est installé sur le terrain d’échauffement indiquant en rouge l’heure et le temps qui reste avant d’entrer en chambre d’appel. Il faut respecter cet horaire et donc bien gérer son temps d’échauffement.

Au terrain d’échauffement un juge officiel annonce au micro que les athlètes de telle épreuve sont appelés à se présenter en chambre d’appel. Plusieurs annonces sont faites pendant dix minutes. L’entraîneur accompagne son athlète jusqu’à la porte de la chambre d’appel sans dépasser la ligne. Bruno Gajer, entraîneur du champion de France et demi-finaliste aux Jeux Olympiques de Londres Pierre-Ambroise Bosse témoigne : « Mon travail avec l’athlète s’arrête au moment où il rentre dans la chambre d’appel. Il ne faut jamais être un entraîneur « papa ». L’athlète doit être autonome et savoir gérer ses émotions. Sur certaines compétitions comme les Jeux, l’athlète reste enfermé 50 minutes avec ses adversaires, c’est très déstabilisant, il se retrouve seul, je ne suis pas à ses côtés pour canaliser ses peurs et lui prendre la main. C’est important en tant qu’entraîneur de discuter avec son athlète de ce passage d’avant course si déterminant pour la suite de la compétition. Les exercices de respiration peuvent être une solution pour se relâcher un peu ou tout simplement se concentrer durant quelques minutes sur autre chose que son stress. Par exemple, regarder le sol ou le look de ses adversaires, peu importe. Il doit trouver une parade qui doit lui permette de sortir un peu de son état de grand stress ».

« Un jour j’ai reçu un coup d’épaule volontaire il m’a fallu un regard pour riposter »

Une fois à l’intérieur, vérification des sacs et des pointes par les juges. La musique, le téléphone portable ou autres objets électroniques nous sont confisqués. Le décor est posé : quelques chaises, un écran au mur sans son qui diffuse les compétitions et parfois une ligne de piste où les athlètes peuvent poursuivre leur échauffement. L’ambiance est souvent lourde, la pièce est moite nous ressentons le stress et l’excitation à quelques minutes de la course. Les athlètes sont appelés un par un, présentation des dossards, distribution des autocollants déterminant notre couloir. Rien que d’y repenser ma poitrine se serre et mes mains deviennent moites car cette atmosphère est très particulière.

David Alerte finaliste sur 200 mètres aux championnats du monde à Berlin en 2009 raconte : « En chambre d’appel l’agressivité monte, on croise les regards de nos adversaires, le combat psychologique commence à cet instant-là.  On n’hésite pas à intimider l’adversaire car l’entrée dans l’arène est imminente ».

Dans cette ambiance « explosive », comment gérer sa nervosité et ne pas gaspiller toute son énergie ? Pour David Alerte c’est simple: « Il faut être très solide et rester dans sa bulle en se concentrant uniquement sur son propre objectif. Le pire en chambre d’appel est d’observer  les autres et de perdre confiance. Un jour j’ai reçu un coup d’épaule volontaire il m’a fallu un regard pour riposter, la compétition démarre dès l’entrée en chambre d’appel mais il ne faut pas rentrer dans ce jeu. On peut laisser de l’énergie dans ces 20 minutes d’attente et entrer sur la piste complètement vidé ».

Maquillage et gammes de dernière minute

Dans cette poudrière il est important de se concentrer sur soi et son objectif. Pour cela chacun à ses petites astuces. En ce qui me concerne, j’ai connu des chambres d’appels à l’allure de salon esthétique. Les athlètes prenaient le temps de se repoudrer le nez ou de se mettre un peu de gloss sur les lèvres. Avec du recul, c’est assez amusant de voir que dans un espace restreint où tout(es) les concurrent(e)s sont face à face pendant de longues minutes, chacun(e) réagit différemment. Certaines filles restent assises sans bouger, le regard fixé au sol. Au contraire, d’autres fixent leurs adversaires du regard et jouent sur l’intimidation. Etre athlète, c’est finalement avant tout bien savoir jouer la comédie.

J’ai appris avec les années à ne pas m’occuper de mes concurrentes et à me concentrer sur moi. Avant, si une fille se levait pour faire quelques gammes ou des lignes, je m’alignais derrière pour faire la même chose. Terrible erreur ! « Copier » son adversaire laisse paraître une certaine appréhension, faiblesse. Si mon échauffement est terminé je ne refais pas des lignes supplémentaires au risque de m’épuiser pour la course. J’attends bien sagement sur ma chaise, je souffle plusieurs fois, je fais le vide dans ma tête pour me concentrer sur l’effort à fournir dans les minutes à venir.

Le coureur est confronté à lui-même et aux autres, l’anxiété se lit sur les visages, même ceux des favoris. Rares sont ceux qui discutent ou rigolent (sauf peut-être Usain Bolt le roi du sprint). La concentration et l’adrénaline sont « au summum ».

Ce moment est incontournable, une course peut se gagner ou se perdre avant même d’avoir commencé. A chacun d’entre nous d’être confiant et de profiter de ce dernier moment de calme avant l’entrée sur la piste et la clameur du public pour faire le vide et penser positivement. Objectif : donner le meilleur de soi.

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