Tête de noeud : quand la fatigue emmêle les neurones

Article écrit par Cyril Schmit

Parfois, on refuse l’idée même de l’effort lorsqu’elle nous traverse. Une sortie improvisée, une aide spontanée… À peine conscientisée et déjà rejetée ! Cela arrive quand on se démène dans les séances d’entraînement d’un plan qui nous dépasse en réalité. Cela arrive aussi de façon plus commune après une journée de travail délicate. Deux scénarios bien différents. Et pourtant, si on analyse leurs conséquences respectives sur le sportif, on note des similitudes intéressantes.

De 2013 à 2015, une étude portant sur les caractéristiques nerveuses du surmenage (celles physiologiques étant déjà plutôt bien connues) chez des athlètes d’endurance a été conduite. Longue et complexe, cette étude a mobilisé près de 30 athlètes sur différentes périodes de 6 mois dans le but de comprendre les symptômes cognitifs de la fatigue chronique induite par l’entraînement. Sous-objectifs : tenter d’en comprendre les effets, d’en capter les mécanismes et, potentiellement, d’en dénicher des pistes de diagnostic utile en termes de prévention.

 

Pour ce faire, tandis qu’une partie du groupe d’athlètes réalisait son entraînement normal, l’autre a vu son volume augmenté de près de moitié pendant 3 semaines, sans baisse de l’intensité (au contraire) pour être certain de conduire leur organisme au phénomène attendu. Le groupe de chercheurs encadrant l’étude étant en effet familier de ces protocoles, il maitrisait les leviers capables de surcharger les athlètes tout en les préservant de la blessure.

 

Pour déterminer le rôle que pouvait jouer le système nerveux central dans le cadre du surmenage, une IRM fonctionnelle du cerveau fut alors réalisée en fin de protocole : les participants y réalisaient différents jeux de mémoire, de vigilance et de préférences. Ces tâches étaient spécifiquement choisies pour solliciter des aires cérébrales de nature différente et de façon plus ou moins intense, et ainsi pouvoir cartographier les régions du cerveau les plus sensibles au surmenage.

 

Les résultats de l’IRM ont mis en évidence que les participant étant caractérisés comme « surmenés » présentaient un niveau de performance cognitive similaire au groupe contrôle pour les tâches de mémoire et de vigilance (malgré un effort mental supérieur). Surprenant, quand on sait que les tâches de mémoire sont celles requérant le plus haut niveau de ressources mentales… Toutefois était-il possible de songer que ces tâches n’étaient pas suffisamment difficiles pour entraîner une perturbation significative chez les participants.

 

En revanche, la différence entre les groupes était réelle sur les tâches de préférence / de choix. Pour information, ces tâches demandaient au participant de choisir entre une faible somme à recevoir immédiatement et une forte somme d’argent récupérable plus tard (ex : 25€ maintenant vs. 100€ dans 10 jours). Pour donner plus de sens à l’étude, les participants étaient effectivement payés en fonction des sommes récoltées durant tout le protocole. Ce qui a rendu les résultats d’autant plus intéressants :

 

  1. Au niveau des choix effectués par les athlètes surmenés, une plus grande tendance aux récompenses immédiates était observée par rapport au groupe contrôle, caractérisée par le souci de choisir plutôt « 25€ maintenant » dans l’exemple ci-dessus.
  2. Au niveau de la finesse des analyses cérébrales, on observait par ailleurs une moindre activation d’une partie spécifique de la zone avant du cerveau (le cortex préfrontal). Cette zone est connue pour guider nos choix avec prudence, patience et réflexion. En cas de difficulté à s’activer, on comprend mieux pourquoi elle pouvait alors conduire à écarter les récompenses différées.

 

Cette étude s’est donc conclue sur l’idée que des athlètes d’endurance menés à un état de surmenage présentait une impulsivité marquée, et que cette impulsivité pouvait être expliquée par une moindre activation de régions cérébrales spécifiques. Bien, mais après ?

 

Si l’intérêt d’une telle étude se justifie « scientifiquement » dans la compréhension fine de mécanismes susceptibles d’être impliqués dans des états connus de nombreux sportifs pour tenter de les en préserver, elle trouve aussi son utilité dans le rapprochement à des protocoles ayant menés à des résultats similaires. Et c’est adéquat, car au moment même où cette étude fut conduite, un protocole visant à capter les mécanismes cérébraux de la fatigue « mentale » était mené par une autre équipe de recherche, à seulement quelques kilomètres d’écart. Comme quoi le hasard fait bien les choses…

 

Dans ce nouveau protocole, les participants étaient pour leur part requis de réaliser les mêmes jeux cognitifs que précédemment sur une durée d’au moins 6h, afin de se rapprocher des sollicitations d’une journée de travail typique. Cette « journée » impliquait des évaluations par IRM de façon régulière, aussi dans le but de cartographier les raisons du cerveau les plus impactées par la répétition d’opérations mentales énergivores.

 

Les résultats de cette seconde étude sont aussi étonnants que simples, puisqu’ils s’apparentent aux observations effectuées sur le premier protocole ! Autrement dit, les personnes soumises à des calculs mentaux complexes sur une période prolongée (plusieurs heures) peuvent – eux aussi – s’attendre à prendre des décisions plus impulsives en fin de journée. Sans parler d’entraînement donc, ces résultats révélaient les conséquences décisionnelles probables de la fatigue mentale : réponses émotionnelles incontrôlées, agressivité marquée, achats compulsifs, etc. Voilà pourquoi une simple balade dans les boutiques en fin de journée peut soudainement virer au drame économique…

 

Au croisement de ces deux études, on peut donc retenir que la fatigue « physique » induite par un entraînement intense et la fatigue « mentale » générée par des opérations mentales difficiles, sont toutes deux capables d’expliquer certaines décisions sportives. Le (manque de) self-control peut ainsi mener au fait d’oublier son plan de course initial pour décider de se frotter à l’adversaire, ou aux oublis nutritionnels qui conduisent finalement à une défaillance – les athlètes les plus forts étant d’ailleurs ceux capables de rester « focus » dans leur course.

 

Si les origines de ces 2 types de fatigue divergent, elles montrent surtout un point commun ultra-intéressant pour l’entraînement : à l’effort et/ou au repos, le cerveau s’entraîne.

 

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