Les objets connectés : aide à la performance ? – Partie 2

Article écrit par Cyril Schmit

Découvrez le second extrait du chapitre rédigé par l'expert et sportscientist Cyril Schmit consacré aux objets connectés, extrait du livre "Objectif Marathon" de notre coach Jean Claude Vollmer.

Découvrez la partie 1

 

Collecter… pour quoi faire ?

 

Un utilisateur sur deux délaisse son investissement connecté après achat, on le disait. Par manque de valeur perçue, assurément ! Que comprendre de toutes ces données collectées ? « Collecter » suffit-il à donner du sens ? La question se pose… Certes ces outils permettent l’autonomie d’entraînements réalisés à toute heure et en tout lieu, certes ils apportent une certaine objectivité dans les mains de chacun. Mais le « sens » de la donnée est une affaire de maturité, il s’apprécie à moyen-terme dans l’expertise qui lui est associée. Courir à 13km/h pendant 60 minutes… Très bien, mais après ? Où sont les observations, les interprétations, les prises de décisions et les alertes ? Comme un coach donc, un outil connecté doit prendre sa dimension dans la compréhension qu’il apporte de la donnée : les séances à réaliser ou à éviter, la fatigue à anticiper, les aliments à favoriser, les feedbacks personnalisés. Sans cela, l’intuition reste maîtresse à bord.

« J’ai envoyé sur cette séance ! Même s’il y avait un peu de descente, mon cœur est bien monté et j’ai fait mieux que la semaine dernière. » Si le point fort de cette démarche – intuitive et partagée par tout un chacun – est son approche multifactorielle, cela ne suffit pas à exploiter le potentiel de nos données. Pourquoi l’interprétation reste-t-elle ici partielle ? Réponses :

  • Elle s’appuie sur des valeurs moyennes (ex : 4’30/km) et non pas sur le déroulement des différentes intensités de la séance (ex : baisse drastique de l’allure sur la 4e série, dérive cardiaque progressive sur les 3e et 4e séries) ;
  • Elle se base sur des séances aux parcours, aux terrains, à la météo et aux durées pouvant être (très) différents ;
  • Elle exclut des variables subjectives clés, qui ne sont jamais renseignées dans l’analyse de l’outil a priori ;
  • Elle se fait à l’échelle de la séance seule, et non du programme d’entraînement plus global. Or, chaque séance ne doit pas viser la performance (cf. chap. …).

Aujourd’hui, il reste ainsi difficile de capter ne serait-ce que les premiers conseils qu’il est possible de retirer d’une séance. Et s’adonner à l’apprentissage des données sportives est une aventure très chronophage, bien que toujours enrichissante. Dans ces conditions, le schéma se répète encore : après une démarche spontanée d’analyse de ses données, l’utilisateur finit par décrocher car il stagne dans sa compréhension, sa motivation et son niveau de performance. Leçon : le sens doit être donné par l’application d’abord !

 

De la quantification à la personnalisation

 

L’utilité d’un entraîneur se révèle d’elle-même dès qu’on l’écoute. D’une question anodine sur notre niveau de performance, l’entraîneur est en effet capable d’extrapoler des liens rationnels avec le régime nutritionnel, la qualité du sommeil, le cercle social ou encore le niveau d’anxiété. Il possède une compréhension des variables pertinentes / non-pertinentes de l’entraînement, adaptée au contexte et à la personne. Et tel devrait être le cas d’un logiciel dont le « cœur de métier » est l’entraînement ! – « Entraîner » suppose de conduire un sportif d’un point A à un point B à partir d’une logique d’analyse (même si celle-ci est partielle) et d’orientations adaptées à cette logique. Actuellement, la majorité des applications d’ « entraînement » n’entraîne pas proprement dit. – Pour externaliser un tel schéma mental, deux approches peuvent alors être « mimées » par une application (nous choisissons ces approches mais d’autres sont envisageables).

À l’échelle de la séance, d’abord, le croisement des données est une action indispensable. Il suppose, pour chaque seconde d’entraînement, de confronter les données les unes aux autres afin de comprendre l’effort du sportif tel qu’il a été réalisé dans son contexte. Courir à 15km/h en pente vs. sur du plat, à 15°C vs. sous 35°C, pendant 30’ vs. 120’… n’induit en effet pas les mêmes réactions de l’organisme. Ajoutez à cette équation d’autres variables et le contexte de l’effort commencera alors à prendre forme. Dans ce contexte, changer une variable signifie, par conséquent, réinterpréter la séance toute entière. Exemple avec le facteur dénivelé : il possède l’avantage d’augmenter la tension sur les muscles et les tendons. Pour une même allure, les contraintes énergétique, cardiovasculaire et thermorégulatoire seront donc plus élevées que sur terrain plat. Par contre, le niveau de fatigue se développera aussi plus vite en montée et le risque de microtraumatismes des tissus y sera plus élevé. Ainsi, une séance réalisée entièrement à 0% de pente et une autre à 5% de pente moyenne induiront, pour une même allure, différentes contraintes que le sportif devra prendre en compte dès la fin de l’entraînement (ration de récupération, délai avant la prochaine séance, etc.). Et comme pour le Dénivelé, chaque variable d’entraînement possède ses propres enjeux. Les croiser les unes aux autres est donc une première étape vers l’objectivité. Mais ce n’est pas tout.

 

À l’échelle du programme, ensuite, l’objectif d’une application d’entraînement doit être de faire en sorte que le coureur progresse tout en évitant la blessure. Le monitoring de l’état de forme (qui correspond au suivi dans le temps des éléments qui révèlent le niveau d’efficacité d’un sportif et doit ainsi permettre de réguler le programme d’entraînement afin de maximiser ses effets positifs sur l’organisme) est cependant une démarche délicate, encore incertaine, pleine de débats et qui se forge aujourd’hui de façon autant empirique que théorique chez les adeptes. En effet, comment établir un suivi cohérent du sportif sans réflexion mêlant toutes ses données d’exercices à ses réponses cardiaque et perceptive ? La montre apporte des informations, le coureur en amène d’autres. Reste à interpréter cela… Certaines technologies tentent de répondre à cette problématique – ce qui ouvrira d’ailleurs la porte à la mise à jour automatique de programmes jusqu’alors statiques – mais l’évaluation de la fatigue ne demeure pas l’étape la plus difficile dans cette perspective (on sait effectivement déjà la caractériser dans ses grandes lignes). Non, le plus compliqué, c’est de réussir à « comparer ce qui est comparable ». Tout comme dans un protocole standardisé de laboratoire, en quelque sorte. 

 

Au vu de la diversité des séances d’entraînement d’un sportif lambda, un des moyens actuels pour déterminer si des valeurs de fréquence cardiaque, vitesse, etc. sont synonymes ou non de progrès, est de réaliser le même parcours d’entraînement à la même heure, avec une météo identique et une alimentation comparable. Un peu contraignant, non ? Ce serait dommage en effet d’acheter un sport-tracker en vue d’être libre de s’entraîner pour finalement se restreindre à ce type de procédure rigoureuse… La technologie de l’intelligence artificielle commence (heureusement ?) à lever les barrières d’une telle standardisation en offrant de rapprocher des séances d’entraînement même si celles-ci ont eu lieu à des endroits et moments différents. Grâce à sa capacité à traiter de très larges quantités de données, votre sortie longue faite à Paris la semaine dernière peut ainsi être analysée en comparaison de celle de Londres il y a 3 mois, à condition que leurs données de durée, dénivelé, etc. soient semblables. Seulement à partir de ce prérequis, il devient ensuite possible de déterminer si le sportif a  progressé. 

 

Savoir dire « Non » à la donnée

 

Elle peut régner en maître, et pourtant la donnée doit aussi être relativisée. En disposer est appréciable, on jouit d’un sentiment d’exclusivité. Cumuler leur nombre a aussi l’avantage d’augmenter les possibilités de comparaison, de croisement de données et donc de prédictions comme la blessure, le surmenage ou le pic de forme. Certes, mais dans tout cela, qu’en est-il de l’écoute de soi ?

Il est des athlètes de haut niveau (les marathoniens parmi d’autres) qui s’en vont courir délibérément sans leur montre connectée, affranchis de tout système de contrôle. Seraient-ils incohérents ? Les chiffres peuvent dicter le contenu d’une séance et c’est en partie là que se trouve leur force, mais ils la sanctionnent aussi une fois terminée. Et en ce sens les chiffres sont énergivores : ils peuvent obnubiler et aliéner le sportif, l’embrouillent (souvent contre son gré) entre persévérance et obstination, entre passion harmonieuse et obsessionnelle. Combien de sportifs subissent la pression du chrono alors qu’ils pourraient en faire un allié ? La capacité à s’écouter est, dans le contexte sportif plus qu’ailleurs, un véritable point de rattrapage. « Est-ce que j’en fais trop ? Ne serais-je pas en train de m’épuiser pour rien ? » Les sensations doivent toujours être considérées en complément des données des outils connectés. Avant, même ! La raison à cela est on ne peut plus simple : pour quelque variation du fonctionnement de l’organisme que ce soit, c’est d’abord le ressenti qui change. S’il s’améliore, l’enthousiasme et la concentration du sportif en auront été les marqueurs clé. S’il fatigue, ce seront ses niveaux d’humeur et de fatigue. D’ailleurs, on sait bien aujourd’hui qu’une baisse de fréquence cardiaque à l’exercice n’est plus seulement synonyme de progrès, mais aussi de surmenage ! Et devinez où s’établit la différence entre ces deux scénarios… Les outils connectés, oui, mais jamais sans votre propre retour !

 

Découvrez la partie 1

 

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1 réaction à cet article

  1. c ‘est la bible du marathonien, à lire absolument pour les amoureux du running !!

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