Les stratégies d’allures de course en natation

Dans cet article, le but sera de déterminer en quoi la gestion des allures de courses en natation a un impact sur la performance et les réponses physiologiques. Cet article se fondera en grande partie sur la revue de littérature scientifique publiée par McGibbon et collaborateurs dans la revue internationale Sports Medicine.

Il est bien connu que la distribution de l’énergie dépensée au cours d’un effort est déterminante pour réaliser une haute performance sportive. Cette gestion d’allures est facilement observable sur des épreuves de longue distance comme le marathon par exemple. Il est courant de voir des athlètes perdre en fin de course car ils ont réalisé un départ trop rapide et n’ont pas pu développer l’énergie nécessaire pour surpasser leurs adversaires à l’approche de la ligne d’arrivée. Ce constat est bien évidemment valable en natation et il est possible de l’observer sur les différentes courses.

Contexte

En natation, l’objectif est de réaliser une distance le plus rapidement possible et de devancer ses adversaires. Pour cela, le nageur doit utiliser toutes les sources d’énergie possibles en limitant l’apparition de fatigue. C’est pour cela qu’il doit distribuer son effort en fonction de la distance à parcourir. Il doit trouver le meilleur équilibre entre dépense d’énergie et fatigue.

Lors des derniers Jeux Olympiques, nous avons observé de très petits écarts entre les meilleurs nageurs du monde. Le « pacing » autrement dit, la gestion des allures de courses, représente donc une voie d’amélioration pour permettre de gagner ces précieux centièmes pour passer de la deuxième à la première place.

Ces stratégies d’allure sont fortement influencées par plusieurs facteurs. D’abord, il est souvent observé que bon nombre de nageurs adaptent leurs allures de courses en fonction de leurs concurrents se situant dans les lignes d’à côté. De plus, ces allures de courses sont aussi dépendantes du profil du nageur et de ses capacités à solliciter tel ou tel système énergétique. Enfin, certains nageurs ont un plan clair de course dès le départ, alors que d’autres subissent davantage le rythme de l’épreuve.

Types de pacing

Avec l’aide des données chronométriques, il est aisé de calculer la vitesse de nage pour chaque portion de 50 mètres (ou de 25 mètres lorsque l’on nage en bassin de 25 mètres) et alors de mesurer les variations de vitesse au cours d’une épreuve. Mais certains chercheurs arrivent également à observer ces variations de vitesse au sein même de ces portions, grâce à des outils technologiques avancés. L’ensemble de l’analyse de ces données a permis de caractériser plusieurs profils de nageurs, en fonction de leur gestion d’allures de courses.

NB : dans la partie suivante, nous présenterons les différents types de pacing avec leurs termes anglais, afin de conserver le sens voulu par les auteurs scientifiques ayant identifié ces différents profils.

 

  • Negative

Ce type de pacing implique de nager plus rapidement lors de la deuxième partie de course par rapport à la première. En natation, il est difficile de le voir chronométriquement sur des courtes distances, surtout dû au fait que le départ plongé engendre une vitesse beaucoup plus importante lors du premier 50 mètres.

Quelques raisons sont susceptibles d’argumenter ce type de pacing. En effet, un départ plus lent pourrait permettre de réduire l’utilisation de glucides, réduire la consommation d’oxygène et limiter l’accumulation de fatigue au niveau musculaire. C’est pourquoi, nous observons souvent ce type de gestion d’allures lors des épreuves de longue durée.

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Illustration du pacing de type « negative » (McGibbon et al., 2018)

 

  • Positive

Ce type de gestion d’allure représente une baisse relativement constante de la vitesse de course en fonction du temps. Il est estimé que ce pacing s’explique par une réduction graduelle de l’intensité d’exercice associée à une réponse nerveuse qui permet d’éviter une fatigue trop brusque. La baisse graduelle de l’intensité retarde ainsi la sensation de forte fatigue.

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Illustration du pacing de type « positive » (McGibbon et al., 2018)

 

  • All-out

Ce type de pacing diffère du pacing positif car il consiste à dépenser une énergie maximale dès le début de l’épreuve. Cette stratégie peut s’avérer efficace sur des épreuves courtes où il est nécessaire de créer beaucoup de vitesse dès le départ, puis ensuite de bénéficier de cette vitesse pour « surfer » dessus jusqu’à la fin de l’épreuve. En natation, cette stratégie semble possible pour un 50 mètres, envisageable pour certains sur un 100 mètres, mais elle serait très osée et très risquée sur les distances supérieures.

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Illustration du pacing de type « all-out » (McGibbon et al., 2018)

 

  • Even pacing

Ce type de pacing consiste à garder une allure quasi constante tout au long de l’épreuve de manière à répartir au mieux la distribution de l’énergie développée. Cette stratégie est souvent utilisée dans les épreuves égales ou supérieures à 2 minutes. En effet, il est plus facile de conserver une vitesse plutôt que d’en créer une. De plus, en natation, lorsque votre vitesse augmente, les résistances à l’avancement sont multipliées de manière exponentielle. C’est pourquoi de ce point de vue, il semble important de conserver une vitesse constante pour éviter la déperdition d’énergie dûe à l’augmentation de ces résistances.

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Illustration du pacing de type « even » (McGibbon et al., 2018)

 

  • Parabolic

Ce type de pacing consiste à réduire son allure durant la partie située en milieu d’épreuve après un départ relativement rapide, puis de permettre une fin également plus rapide. Cette stratégie se retrouve notamment dans les épreuves d’endurance, où le but est de minimiser le coût énergétique en milieu de course, pour pouvoir accélérer en fin de course. En natation, ce type de pacing se rapproche fortement du « negative split ». Une variante de cette gestion d’allure est aussi connue en anglais sous le nom de J-shaped car la forme graphique de la vitesse de course ressemble à un J. Toutefois, en natation cette observation est presque impossible, en raison du départ systématiquement plus rapide à l’aide du plongeon dans l’eau.

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Illustration du pacing de type « parabolic » (McGibbon et al., 2018)

 

L’influence de la nage

Bien entendu, lorsque l’on observe les temps de passage sur les différentes épreuves de natation, il convient de prendre en compte certains aspects. Premièrement, en dos, le départ ne s’effectue pas du haut du plot et la création de vitesse est moindre que dans les autres nages. Deuxièmement, le premier parcours de dos et de nage libre se termine par un virage culbute, alors que ce n’est pas le cas pour le papillon et la brasse. Cela explique pourquoi la différence de temps entre le premier et le deuxième 50 mètres est souvent plus grande dans les nages simultanées.

Les différentes épreuves

  • 50 mètres

Sur cette épreuve, une stratégie all-out est souvent utilisée. Le nageur produit un effort maximal pour créer un maximum de vitesse dès le départ de la course, puis il essaye de maintenir cette intensité maximale jusqu’au bout de l’épreuve. Cette stratégie se termine souvent en positive pacing, avec une chute graduelle de la vitesse au cours du 50 mètres. Dans cette épreuve, il semble particulièrement intéressant de trouver la combinaison optimale entre amplitude et fréquence de nage.

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Illustration du pacing optimal pour un 50 mètres (Thompson et al., 2004)

 

  • 100 mètres

Sur le 100 mètres, on retrouve également une stratégie de type positive pacing. Le premier 50 mètres est nagé plus rapidement que le deuxième, avec l’aide du plongeon. Le temps du deuxième 50 mètres augmente de 10 à 12% par rapport au temps du premier 50 mètres. Ce constat s’effectue à tous les niveaux de pratique et il semble que le pacing dépende davantage de la distance que du niveau de pratique. Toutefois, il a déjà été observé que l’écart de temps entre le premier et le deuxième 50 mètres est légèrement supérieur chez les femmes. Enfin, il est important de noter que cet écart varie peu selon la nage. Toutefois, il a tout de même été remarqué au plus haut niveau mondial, que le temps du deuxième 50 mètres était davantage corrélé à la performance que le premier 50 mètres. De plus, les meilleurs nageurs montrent un écart moins important entre le premier et le deuxième 50 mètres.

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Illustration du pacing optimal pour un 100 mètres (Thompson et al., 2004)

 

  • 200 mètres

Sur cette épreuve, on observe des différences de stratégie avec certains nageurs qui utilisent toujours un positive pacing (bien que moins marqué comparativement aux épreuves de sprint), et d’autres nageurs utilisent un even pacing. Les modèles mathématiques incitent à nager avec un even pacing, afin de conserver une vitesse constante pour ne pas engendrer une augmentation trop forte des résistances à l’avancement et donc une augmentation inutile du coût énergétique. Généralement, on observe une différence de 6 à 8% entre la vitesse du premier 100 mètres et celle du deuxième 100 mètres. Cette différence est principalement dûe au départ plongé évidemment. En brasse, cet écart est souvent supérieur, en raison de l’utilisation des jambes, qui implique un coût énergétique plus important que dans les autres nages. On observe parfois un positive pacing en brasse et en papillon, à cause de l’efficience mécanique moins importante dans ces nages, et donc une fatigue qui arrive plus rapidement. Sur cette distance, c’est le troisième 50 mètres qui apparaît comme le plus corrélé à la performance finale, ce qui montre l’importance de cette portion. Un des moyens qui semble être intéressant pour éviter cette perte de vitesse est l’utilisation des coulées sous-marines qui permettent de recréer de la vitesse en sortie de virage.

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Illustration du pacing optimal pour un 200 mètres (Thompson et al., 2004)

 

  • 400 mètres

Sur cette épreuve, nous observons encore des profils de pacing bien différents. Certains nageurs adoptent une gestion d’allures de type parabolique avec un départ et un finish plus rapide que le milieu de course. D’autres nageurs adoptent des profils de pacing de type positif, négatif ou even, bien que ces profils soient moins communs sur cette distance. Il semble tout de fois qu’un pacing de type positif ne soit pas très utile sur cette épreuve. Les statistiques montrent de petites différences entre les différents profils mais ces différences sont importantes tant les écarts entre les nageurs à l’arrivée sont minimums. Il est donc important pour les nageurs d’identifier leur profil idéal, en fonction de leurs caractéristiques physiologiques et de la tactique de course qu’ils veulent mettre en place, notamment par rapport à leurs adversaires. Toutefois, au plus haut niveau international, on observe que les meilleurs ont une plus grande capacité à augmenter leur vitesse en fin de course. On observe également chez eux, un départ relativement plus lent, avec une première partie de course inférieure à la vitesse moyenne de course, alors que les autres n’en sont pas capables. C’est pourquoi les meilleurs nageurs arrivent à conserver davantage d’énergie durant la course et sont capables d’accélérer en fin d’épreuve.

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Illustration du pacing optimal pour un 400 mètres (Thompson et al., 2004)

 

  • 800 mètres et plus

Sur ces épreuves, à l’instar du 400 mètres mais de manière encore plus prononcée, un pacing de type parabolique est généralement adopté avec un départ et une fin de course plus rapides que le milieu de course. Ce type de pacing se rapproche du negative split avec une deuxième partie de course qui est souvent plus rapide que la première ou en tout cas similaire. Ce constat se traduit généralement par une élévation de la fréquence de nage en deuxième partie de course. Cette stratégie est adoptée par la grande majorité des nageurs. Les meilleurs du monde se différencient par une plus faible variabilité du temps de chaque portion de 50 mètres. L’objectif des nageurs est de conserver une vitesse la plus stable possible pendant la course, puis de pouvoir accélérer en fin de course.

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Illustration du pacing optimal pour un 800 mètres (Thompson et al., 2004)

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Illustration du pacing optimal pour un 1500 mètres (Thompson et al., 2004)

 

  • Epreuves de quatre nages

Ces épreuves sont particulières en termes de gestion d’allures puisqu’elles sont fortement dépendantes des nages de spécialité de chacun des nageurs. Toutefois, on observe quand même certaines tendances intéressantes. En effet, on observe généralement que le premier 200 mètres est plus rapide que le deuxième chez les hommes, alors que c’est l’inverse chez les femmes, qui semblent partir plus prudemment. Chez les meilleurs nageurs, il est intéressant de voir qu’ils passent davantage de temps en papillon mais ils sont plus rapides en dos et en brasse. Il est possible qu’un départ légèrement plus prudent en papillon, permette de nager plus rapidement la suite de l’épreuve.

Résumé et conclusion

En natation, les nageurs n’ont pas à lutter pour se faire une place dans un peloton, à l’image du cyclisme ou de la course à pied, c’est pourquoi on observe une forte reproductibilité de la gestion d’allures de course pour un même nageur. Toutefois, on note tout de même que les seniors de niveau élite arrivent mieux à stabiliser leur allure par rapport aux juniors de moindre niveau. Sur les épreuves d’endurance, on note que les meilleurs nageurs sont ceux qui arrivent à maintenir leur allure en deuxième partie de course, sans doute grâce à une meilleure capacité à conserver une vitesse constante durant l’épreuve.

De plus, on remarque que cette gestion d’allures reste individuelle, mais varie peu, quelque-soit les conditions de concurrence (type d’adversité) ou de compétition (séries, finales).

Bien que le type de pacing soit individuel, peu changeant avec le temps et fortement dépendant du type d’épreuve, il semble qu’un bon nombre de nageurs n’arrive pas à optimiser sa stratégie de gestion d’allures. Il paraît donc important de développer des stratégies alternatives de pacing à l’entraînement et/ou en compétition, afin d’identifier la gestion d’allure idéale pour chaque nageur !

Références :
  • McGibbon KE, Pyne DB, Shephard ME, Thompson KG. Pacing in Swimming: A Systematic Review. Sports Med. 2018;48(7):1621-1633.
  • Thompson KG, MacLaren DPM, Lees A, Atkinson G. The effects of changing pace on metabolism and stroke characteristics during high-speed breaststroke swimming. J Sports Sci. 2004;22(2):149–57.

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