Froome, un coureur comme les autres ?

Article écrit par Cyril Granier (expert cyclisme pour Lepape-INFO)

Et de trois ! Trois grands tours majeurs dans l’escarcelle de Christopher Froome ! Le voilà enfin au panthéon cycliste, avec sa récente victoire au classement général du Tour d’Italie, après ses victoires sur les Tours de France et d’Espagne.
Soyons clair ! Cet article n’a pas pour but d’enrichir la polémique actuelle mais plutôt de proposer une vision d’ensemble de ce qu’est un athlète cycliste professionnel sur route vainqueur d’une course de trois semaines. Peu d’études ont été réalisées sur de grands vainqueurs d’épreuves et pour une fois que l’un de ses grands champions donne publiquement accès à ses résultats, profitons de l’occasion pour comprendre ce qui fait de Christopher Froome un cycliste hors norme.

Un Grand Tour c’est quoi ?

Un grand tour, c’est une course cycliste de 3 semaines durant laquelle est déclaré vainqueur le coureur ayant mis le moins de temps au cumul des temps de chacune des 21 étapes. Cette compétition se compose de différents parcours allant du prologue (< 8km), au Contre La montre (épreuve individuelle sur plusieurs dizaines de kilomètres), à l’étape plate, aux étapes de montagne… La plupart du temps ces épreuves sont remportées par des spécialistes du CLM et de bons grimpeurs. Le profil de l’athlète capable d’intégrer un Top 10 d’une épreuve de ce type, sera un coureur léger (car beaucoup de temps est passé dans les cols) ayant de bonnes qualités de puissance aérobie et une capacité à supporter les changements de rythmes.

Un dernier petit détail, il faut supporter les hautes altitudes car les cols franchis sont parfois à plus de 2000m.

 

Des tests, on en veut !

En aout 2015, soit une semaine avant le Tour d’Espagne, Christopher Froome s’est soumis à des tests d’évaluation au sein du GSK Human Performance Laboratory, situé à l’ouest de Londres.

Une batterie de tests lui fut proposée au cours de cette journée, se composant d’une analyse anthropométrique, d’un test sous maximal en condition de température normale et chaude et d’un test progressif maximal.

 

Afin d’évaluer sa composition corporelle c’est à dire son poids, son pourcentage de masse grasse et de masse maigre, sa densité minérale osseuse… fut utilisé un principe d’imagerie médicale nommé absorptiométrie biphotonique à rayon x…  A vos souhaits !

Il s’agit en fait d’un scanner géant qui passe au-dessus du corps pour mesurer les différents paramètres évoqués. Les chercheurs rapportèrent une masse de 70 kg, pour 9.5% de masse grasse chez Froome.

Ces valeurs sont plutôt élevées pour un cycliste d’un tel calibre. Habituellement elles se situent en deçà des 7%. Rappelons-nous la date du test… Il est intervenu une semaine avant le tour d’Espagne et 3 semaines après la victoire de Froome sur la Grande Boucle… Tiens donc, il serait donc un peu comme nous et se laisserait aller à quelques gourmandises une fois l’effort effectué, prenant 3 à 4 kg supplémentaires. C’est en tout cas ce que suggère cette étude.

Vient ensuite, un test sous maximal permettant d’évaluer plusieurs paramètres tels que la cinétique du lactate (reflet de l’intensité de l’exercice) et les fameux seuils aérobie et anaérobie (Réf article Lepape-info : Le seuil ou les seuils ou Qu’est-ce que les filières énergétiques ? ). Quel fut le protocole utilisé me direz-vous ? Après un échauffement libre de 10 min le test débuta à 250 W et augmenta de 25 W /4 min, s’achevant lorsque la concentration sanguine en lactate fut > 4 mmol/L.

Le test maximal aérobie permis de mesurer la consommation maximale d’oxygène autrement connue sous le nom de VO2max (réf : Qu’est-ce que le ou la VO2 max), la fréquence cardiaque maximale, ainsi que la puissance maximale aérobie ou PMA (ref : Cyclisme : La PMA et ses questions). Le test démarra à 150W et l’intensité fut augmentée de 30W/min, amenant le coureur au maximum de ses capacités. C’est ce que l’on nomme le « test à l’effort » que bon nombre de cyclistes font avant la reprise de leur entraînement.

Pour compléter les tests et mieux comprendre le fonctionnement corporel du cycliste, une analyse des pertes sudorales et électrolytiques (Sodium) fut mise en place grâce à la disposition de patch absorbant sur la peau. De plus, afin de mesurer la température interne de l’organisme, le sujet avala un traceur sous forme de gélule.  Il fut enfin équipé d’un analyseur de gaz (O2/CO2), d’un capteur de fréquence cardiaque et de deux capteurs de puissance. En effet son vélo (Pinarello Dogma F8) fut équipé d’un capteur de puissance (Stages Power) fixé à un home-trainer nommé Computrainer permettant d’appliquer une résistance sur le vélo.

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Et alors ! Et alors ?

Christopher Froome développe une PMA de 525 W soit 7.5 W.kg-1 pour une cadence de pédalage comprise entre 97 et 104 rpm. Messieurs les journalistes, cet été, ne vous affolez pas lorsque dans les cols vous le verrez tourner les jambes comme l’éclair… il s’agit simplement de sa « signature » de pédalage liée à des capacités pulmonaires importantes.

De telles valeurs de PMA furent retrouvées dans une étude effectuée en 2000 par des chercheurs espagnols, préparant Miguel Indurain dans sa tentative du record de l’heure. A l’époque ils avaient mesuré une PMA de 572 W pour un poids de 81 kg soit 7.06 W.kg-1 … Rappelez-vous les valeurs du coureur anglais ? Clairement Indurain n’aurait rien pu faire en montagne contre Froome.

Des valeurs au seuil anaérobie de 6.1 W.kg-1, furent observées dans les pelotons professionnels. N’oublions tout de même pas que ces valeurs sont celles d’un athlète ayant pris 3 à 4 kg superflus et que son poids de course habituel est de 67 kg ! Dans ce cas précis on se retrouve avec une PMA de 7.84 W.kg-1 et une puissance au seuil anaérobie de 6.37 W.kg-1. Là, on fait difficilement mieux ! Christopher Froome a des valeurs de laboratoire hors normes comparé aux autres cyclistes professionnels.

Un autre trait assez impressionnant est son rendement énergétique. En effet, la plupart des athlètes de l’élite ayant un rendement supérieur à 22% ont pour la plupart des VO2max inférieures à 77 ml/min/kg. Or notre coureur avec une VO2max de 84.6 ml/min/kg possède un rendement moyen de 23.3%. De plus, il semblerait que ce rendement s’améliore chez Froome en conditions environnementales chaudes (Figure 1.).

 

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Que lors des étapes du tour de France, Christopher Froome dépense moins d’énergie que les autres athlètes à une même intensité d’effort donc in fine il se fatigue moins… Associez à cela des équipiers qui vous ouvrent la route et votre dépense énergétique sur chaque étape est largement inférieure à n’importe quel coureur. De plus lorsque vous arrivez au pied du derniers col, là ou d’autres sont déjà dans le rouge Christopher Froome lui démarre à peine la machine !

Mais vous ne savez pas tout, l’analyse de ses pertes sudorales a montré qu’il avait une grande faculté à produire de la sueur ce qui permet de gérer la « surchauffe » de l’organisme et ce, en économisant ses réserves de sodium (intervenant dans le fonctionnement musculaire).


En conclusion Il n’est pas illusoire de penser que Froome soit le meilleur athlète actuel sur les grands tours d’autant plus si ces derniers se déroulent dans des conditions de températures chaudes. Le rôle de l’équipe en vélo de route joue également un rôle fondamental puisque caché dans les roues Froome à une puissance développée 30% inférieure à ses coéquipiers, donc il s’économise encore.

 

Froome imbattable ?

On pourrait le croire mais n’oublions tout de même pas que d’autres athlètes à fort potentiels sont présents dans le peloton. Les français Bardet et Pinot en sont des exemples. Il leur reste maintenant à peaufiner une tactique d’équipe mettant en difficultés et faisant douter la machine « Sky » et ce petit grain de sable, qui sait, viendra gripper les roulements d’une mécanique « Froomienne » bien huilée.

 

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