Prix des dossards en course à pied : que payez-vous vraiment ?

Trop chères, axées sur le business plutôt que sur le plaisir des coureurs : certaines épreuves de courses à pied sont montrées du doigt dans le peloton. Le prix des dossards est source de bien des commentaires, questionnements, et parfois idées reçues. Enquête.

Prix des dossards marathons France par tranches 2013

C’est une accusation que l’on entend souvent au cœur du peloton : « Ils se font de l’argent sur notre dos ». Une phrase qui, si elle témoigne d’une croyance bien répandue parmi les coureurs, a souvent le don d’irriter les organisateurs. Problème : parler du prix des dossards dans leur ensemble ne veut pas dire grand-chose.

Prenons l’exemple des marathons organisés en 2013 en métropole : le tarif moyen constaté tourne autour de 40 euros, soit globalement la tendance d’un euro du kilomètre qui fait souvent foi dans le milieu. Mais cette moyenne cache en réalité de grandes  disparités : d’une base de 22 euros sur le marathon des Isles en Val d’Allier, les tarifs s’envolaient à 110 euros à Paris pour la dernière tranche tarifaire. Mises côte à côte, ces deux données peuvent susciter des interrogations. Sauf qu’en dehors la distance des 42.195 kilomètres, les deux épreuves n’ont pas grand-chose à voir l’une avec l’autre. La première est organisée par l’Association Loisirs Gymnastique de l’Agglomération Moulinoise et a compté 132 finishers en 2013, tandis que la seconde, gérée par Amaury Sport Organisation, a enregistré un record de 38 690 coureurs sur la ligne d’arrivée.

Prix des dossards marathons France 2013On n’ira pas jusqu’à dire que plus le nombre de participants est élevé, plus le prix des dossards grimpe. Ca n’est pas une équation qui se vérifie de manière systématique (voir tableau ci dessus). C’est qu’il faut aussi prendre en compte d’autres critères, dont le type d’organisation (association, collectivité, entreprise privée, etc….), et les prestations offertes aux coureurs. Pour ce dernier point, précisons que le « manuel de l’organisateur » publié par la Fédération Française d’Athlétisme (à destination des organisateurs d’épreuves hors stade) stipule, par exemple, que les ravitaillements « doivent comprendre au minimum de l’eau potable et du sucre, si possible boisson glucosée, pain d’épice, fruits secs… ». Liberté est donc ensuite laissée aux organisateurs de proposer davantage pour améliorer le confort des participants (et répondre à leurs attentes grandissantes), au risque de faire augmenter le coût de l’événement. Même chose pour les médailles, tee-shirts, et autres cadeaux offerts aux coureurs.

« Un tee shirt nous coûte 8€. Nous en fournissons aux coureurs et aux bénévoles, cela représente 14 000 pièces. Les sacs à dos finishers que nous avons choisi d’offrir, nous reviennent à 7€. La vraie médaille 2€ », lance Pascal Thiriot. Il est le président (et non salarié, comme il le précise), de l’association Azur Sport Organisation qui dispose de six salariés à l’année et organise notamment la Prom’Classic, le semi-marathon de Nice et Nice-Cannes. Ce dernier, troisième marathon français cette année au classement par nombre de finishers (6 918 sur l’épreuve solo) fait partie des références en matière d’organisation. Une épreuve de cette envergure (12 814 participants en 2013 sur l’ensemble des courses) représente un budget de « 1.7 millions d’euros – échanges marchandises compris – dont 20% de frais de fonctionnement » et les dossards étaient vendus, selon les périodes, entre 45 et 80 euros pour les coureurs solos. Parmi les autres postes de dépenses : « le chronométrage, environ 3€ par coureur, le train entre Nice et Cannes, soit 5€, le village de la course pour plus de 100 000€ (et qui rapporte 18 000€ à l’organisation, ndlr), le site de départ (sono, barrières, toilettes) pour 20 000€, celui d’arrivée pour plus de 50 000€, les ravitaillements à hauteur de 48 000€, leurs transports sur le parcours pour 23 000€, mais aussi les gobelets spécifiques pour 7 500 euros, les éponges 3 500€ ou encore les sacs consignes 5 000€ ». Dans sa longue énumération, Pascal Thiriot n’oublie pas non plus de citer la sécurité, particulièrement importante sur un « parcours tout en longueur » et chiffrée à « 45 000€, plus 18 000€ de Police nationale et 20 000€ de CRS ».
Dans la case recettes, l’organisateur dispose évidemment des inscriptions, qui rapportent 600 000€ et des aides du Conseil Général des Alpes Maritimes, partenaire titre qui donne 180 000€, et des villes de Nice et Cannes à hauteur de 75 000€ chacune. « Le reste, ce sont des partenariats et des échanges marchandises ».
Et quand on parle à Pascal Thiriot de « se faire de l’argent sur le dos des coureurs », la réponse fuse : « Ce n’est pas parce qu’on a des salariés qu’on est là pour gagner de l’argent. Je n’ai aujourd’hui aucun intérêt à gagner de l’argent. Sinon, je ne pourrais plus avoir d’aides l’année suivante. Dès l’instant où j’ai une marge bénéficiaire, je la réinvestis dans l’événement. On a par exemple choisi de proposer des ravitaillements en eau tous les 2.5 km, et de ne pas se contenter du simple épongeage, avec un objectif : le service aux coureurs ».

Comme de nombreuses autres courses dans l’Hexagone (et pas forcément uniquement les très gros pelotons), le marathon Nice-Cannes fait le choix de proposer un plateau élite d’athlètes venus d’Afrique pour animer la tête de course. « C’est incontournable pour nous, tranche Pascal Thiriot, pour donner des indications aux coureurs qui viennent de l’étranger (et représentent près d’un tiers du peloton de l’épreuve, ndlr). Avec un temps en 2h08, on n’existe pas sur la scène internationale, mais pour beaucoup, cela donne l’image que le parcours n’est pas forcément très dur ». Et que donc, que ça vaut le coup de se déplacer… Un investissement intéressant, mais à quel prix pour l’organisation ? « Le plateau Elite nous coûte environ 50 000€. On ne verse aucune prime au départ, uniquement des primes à la performance, selon une grille ».

Bien loin de ces considérations et bien loin également du bitume : le Gruissan Phoebus Trail, avec entre autres son 50 km épreuve du Trail Tour National (257 finishers en 2013), et 60 000 euros de budget. Prix des dossards : entre 20 et 25€ pour 50 km, soit largement moins qu’un euro du kilomètre. « Et encore, on nous dit qu’on est trop chers ! », souffle Sylvie Ferrasse, qui gère l’équipe d’organisation aux côtés de son mari Yves. Selon le bilan des impôts 2012, l’Aude figurait parmi les trois à quatre derniers départements de France en matière de richesses fiscales. Un indicateur parmi d’autres qui fait dire à Sylvie Ferrasse qu’en tant qu’organisateurs ils doivent combiner avec des impératifs locaux, dans un département « pas très riche ». Pour aider au financement, l’organisation peut compter sur quelques subventions (22.5% des recettes), dont 4 000 euros de la ville de Gruissan, qui met également à disposition le Palais des Congrès (pour la remise des dossards, les arrivées et le repas d’après-course) et du personnel pendant quatre jours. Et si le bilan comptable peut être légèrement excédentaire à la fin d’une édition, « c’est en fait notre fond de roulement d’année en année, car on n’a pas toujours les subventions avant d’engager les frais ».

prix dossards TTN 2013Du côté de l’Oxy’trail, en Seine et Marne, l’heure est au bilan en cette fin d’année après la première édition de l’événement organisé le 6 octobre 2013, par la communauté d’agglomération du Val Maubée, et les clubs de Noisiel-Lognes Athlétisme, l’Union sportive Torcy Athlétisme et l’Association Sportive de Champs-sur-Marne Athlétisme. Les organisateurs avaient décidé de suivre le principe du « 1 euro par kilomètre » pour fixer les prix d’engagement : 23€ pour le 23 km et 13€ pour le 13 km. Une fois le bilan comptable effectué, Benoît Ponton, responsable de l’événement, estime que, s’ils avaient dû réellement répercuter les frais majeurs de l’organisation, (chronométrie, ravitaillement, lots, service médical), le « prix du dossard aurait dû être entre 30 et 35€ ». Et encore, ne sont pas pris en compte les salaires des personnes de la collectivité qui ont travaillé sur ce dossier, les heures supplémentaires des agents mobilisés, ou encore la mise à disposition de la police municipale.

Toujours en Ile de France, mais dans les Yvelines, Patrick Cadiou, organisateur de la corrida de Houilles, rappelle que la gratuité (hormis 1 euro facturé actuellement pour les inscriptions par Internet) est le principe fondateur de l’événement, depuis 1972. Avec un budget aux alentours de 150 000 euros, la course, organisée par le Comité des Fêtes, devrait attirer plus de 2 000 participants, ce dimanche 29 décembre 2013 (course des As et course populaire confondues). « Nous sommes financés principalement par des subventions de partenaires institutionnels que sont la ville et le conseil général, et de partenaires privés ». L’organisateur sait que le principe des courses gratuites suscite de nombreuses interrogations et s’entend souvent demandé : « Comment tu fais ? ». Il a également conscience du fait que sur de nombreuses courses, les bénévoles ont finalement un coût pour les organisateurs. En matière de nourriture, d’équipement… « Nous, ça ne nous coûte rien, grâce à l’aide de nos partenaires. Les locaux nous sont prêtés par la ville. Les denrées alimentaires livrées gratuitement par un annonceur. Et nous avons une batterie de personnes en cuisine qui viennent gratuitement. Essentiellement des personnes du tissus associatif local qui est très développé  ». Réseau relationnel, historique de la course, et soutien des collectivités : sans cela, Patrick Cadiou l’affirme : « Ce serait impossible d’organiser la course dans ces conditions ».

De tous ces exemples, une conclusion : organiser une course impose des contraintes et génère des coûts dont la plupart des coureurs n’ont pas idée. Ce qui n’empêche pas, cela dit, la course à pied de prendre de plus en plus d’ampleur. A l’image des dossards qui s’arrachent de plus en plus vite… quels qu’en soient finalement les prix !

Réagissez