Nuria Picas : « Je cours pour ces moments où on a l’impression de ne faire qu’un avec la montagne »

Vainqueur de la Transgrancanaria, du Grand Raid de la Réunion ou encore de l'Ultra Pirineu la coureuse catalane Nuria Picas signe une année 2015 au sommet. De passage à Paris pour la cérémonie de remise des prix de l'Ultra Trail World Tour qu'elle remporte pour la deuxième année consécutive, elle revient sur sa saison, sa vision du trail et ses projets pour l'avenir.

Templiers 2014 Nuria Picas

Lepape-info : Comment ne pas commencer par évoquer cette première victoire sur le Grand Raid de la réunion. Une semaine après (entretien réalisé le 5 novembre 2015), comment se sent-on ?

Nuria Picas : Je suis vraiment heureuse parce que je ne m’attendais pas à gagner cette course. Pour moi c’est une des courses les plus dures au monde et c’est un rêve qui se réalise avec cette victoire. J’ai pris le départ sans pression particulière car je voulais simplement finir la course. Après, comme je suis tout de même très bien entraînée, je savais que si tout se passait bien, je pouvais faire un résultat mais de là a imaginer la victoire…non ça n’était vraiment pas le cas.

Lepape-info : Vous avez suivi une préparation particulière pour cette échéance ?

N.P. : Non pas du tout, je me suis entraînée comme j’ai l’habitude de le faire avec mon coach, Pau Bartolo (ndlr : vainqueur de la TDS 2015). Je ne connaissais vraiment rien sur la course à part le fait que c’était une épreuve très dure, très longue et technique… Je suis arrivée à la Réunion 3 jours seulement avant la course donc j’ai fait très peu de reconnaissances et j’avais juste vu le profil sur internet. Je ne sais pas si je le referais de la même façon mais c’était une approche très sympa de quasiment découvrir le parcours pendant la course.

Lepape-info :  Un vrai dépaysement en quelque sorte ?

N.P. : Oui ça change radicalement de ces courses que je connais déjà et c’était très agréable et rafraîchissant de le faire comme ça. Quand je cours l’UTMB (Ultra Trail du Mont Blanc) par exemple, je connais chaque mètre de la course, chaque montée, chaque descente. Pour ma première venue sur le Grand Raid, j’avais envie de découvrir la Réunion vraiment comme lorsqu’on arrive dans un pays étranger, avec émerveillement.

Lepape-info : Pour certains, la Diagonale des Fous est une course plus dur que l’UTMB, c’est un avis que vous partagez ?

N.P. : Non je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette affirmation. C’est vrai que j’ai couru presque 4 heures de plus sur la Diagonale que sur l’UTMB 2014 (ndlr : 28h11mn14s contre 24h54mn29s) mais à la Diagonale on marche plus souvent que sur l’UTMB. Donc pour moi se sont deux courses très proches en termes de difficulté.

Lepape-info : Et au niveau de la technicité du terrain ?

N.P. : Le Grand Raid est plus technique, c’est sûr mais je suis très à l’aise sur les portions techniques et j’ai vraiment apprécié courir à la Réunion. Je préfère sans doute la Diagonale en termes de terrain mais ce sont deux courses extraordinaires et j’aurais bien du mal à choisir entre les deux !

« Je n’étais pas seule sur cette île, même si je courrais seule »

Lepape-info : Courir sur une île en plein milieu de l’Océan Indien, sacré changement par rapport aux Alpes et aux Pyrénées que vous avez l’habitude de parcourir !

N.P. : Le dépaysement est complet même si la Transgrancanaria est aussi une course sur une île volcanique que je connais bien (ndlr : vainqueur en 2014 et 2015) ! La grosse différence pour moi avec les courses continentales ce sont les changements de températures entre le jour et la nuit qui sont énormes. La journée c’est un four et la nuit le froid vous saisit et les vêtements chauds sont indispensables ! Ajoutez à ça le coté sauvage et presque inhospitalier par endroits de l’île et vous avez vraiment une course unique au monde !

UMTB 2014 Nuria Picas
Nuria Picas, 2e de l’UTMB 2014

Lepape-info : En tant qu’ultra traileuse, vous avez besoin de cette difficulté pour vous dépasser et gagner ce type de course ?

N.P. : Pour moi c’est indispensable. J’ai besoin d’être poussée dans mes retranchements pour être performante sur ce genre de course. Si il pleut, qu’il fait froid ça ne me dérange pas. Je me considère parfois comme une guerrière et j’ai besoin de sentir que je suis à la limite. Je cours pour ces moments où on a l’impression de ne faire qu’un avec la montagne, lorsque j’arrive à trouver cet équilibre parfait entre la vitesse et l’effort physique. C’est dans ces instants-là que j’apprécie le plus les paysages et la nature que l’on traverse.

Lepape-info : Vous avez remporté de nombreux ultra-trails, pourtant vous aviez déclaré être plus à l’aise sur des formats plus courts (voir notre portrait). C’est toujours votre impression ?

N.P. : Pour moi, le format idéal se situe entre 80 et 100 km. Les ultras de 160 km c’est une autre discipline. Il faut être au top physiquement mais il faut aussi avoir un peu de chance pour remporter ces courses. Il faut que « les étoiles soient parfaitement alignés » comme on dit en espagnol. Il faut aussi être très fort mentalement pour courir pendant plus de 20 heures, il y tellement de petits détails qui peuvent faire basculer votre course… Sur les distances plus courtes, seul le physique compte et cela me convient bien.

Lepape-info : Dans ce cas où trouve-t-on les ressources nécessaires pour gagner des ultras quand on aime les courtes distances ?

N.P. : Il faut avoir tout un tas de petites astuces pour tenir le coup. J’ai toujours mon Ipod vissé sur les oreilles et la musique me permet de m’évader un peu de l’effort physique. On pense à des moments de notre vie positifs, agréables pour oublier un peu la monotonie qui s’installe parfois. Sur le Grand Raid cette année c’était différent parce que je savais que je me battais pour un titre (ndlr : l’Ultra Trail World Tour) donc mon cerveau est resté concentré la dessus pendant 28h ! Je me disais « avance, avance, ne perd pas de temps au ravitaillement ! » et je n’ai pas pensé à grand-chose d’autre. Il faut aussi gérer son alimentation, son hydratation, c’est un jeu d’échecs qu’il faut réellement maitriser si vous voulez vous imposer. Une pièce qui n’est pas à sa place et tout peut s’arrêter.
L’entourage et les suiveurs sont également très importants et je pensais aux personnes qui me suivaient en Espagne et en Catalogne par internet. Je n’étais pas seule sur cette île, même si je courrais seule et ça, mentalement, c’est un énorme plus.

Lepape-info : Après cette belle année 2015, quels sont vos projets pour la saison prochaine ?

N.P. : Je vais participer à l’Ultra Trail World Tour mais je ne suis pas seulement une coureuse. J’aime aussi l’alpinisme et l’escalade et je m’entraine toute l’année en pratiquant ces disciplines. J’aimerais aussi monter quelques expéditions en Alaska ou dans l’Himalaya par exemple mais je n’ai rien prévu de très précis pour l’instant. Je sais seulement que ça se fera car j’en ai besoin pour mon équilibre. Je me considère vraiment comme une montagnarde, je vis dans les Pyrénées, et je ne peux pas envisager mon quotidien sans ces montagnes. Je ne vais pas suivre Kilian Jornet qui vise l’Everest mais il y aura des ascensions à mon calendrier l’an prochain, ça c’est sûr ! Peut-être avec une autre montagnarde sur le Shishapangma (ndlr : sommet tibétain de 8 027 m d’altitude)…on verra !

Lepape-info : Pour terminer, si vous aviez une course à gagner ou un défi à relever, quel serait votre choix ?

N.P. : L’Ultra Trail du Mont Blanc, sans aucune hésitation. Je serais bien sûr au départ l’année prochaine mais je ne préfère pas dire que c’est mon objectif principal car généralement ça ne me réussit pas…
Si tout se passe bien, je sais que je peux gagner cette course mais on verra ça l’été prochain !
Et puis ça sera l’occasion de me débarrasser de mon collier que je porte depuis près de 10 ans maintenant (ndlr : un petit scarabée porte bonheur égyptien offert par son meilleur ami) ! Il ne veut pas se casser et je n’ose pas le faire… Mais si je gagne l’UTMB, je l’arrache, c’est sûr !

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