Karine Herry : « J’arrête les ultras de plus de 100 km »

C’est un des grands personnages de la course à pied. Médecin de campagne et championne internationale, elle a décidé de ne plus s’élancer sur des courses au-delà de 100 km ou 7 à 8 heures d’effort. Rencontre avec une femme hors du commun.

Karine Herry

C’était son dernier Ultra. En ce vendredi 23 août 2013, à 5 heures du matin au cœur du village de Veille-Aure, elle prend le départ du 160 km du Grand Raid des Pyrénées. « Avec l’ambition de faire au mieux. Tous les voyants étaient au vert, je savais que je pouvais faire un podium mais je ne savais pas sur quelle marche j’allais monter. Et puis un trail reste un trail, on ne sait jamais ce qui peut se passer, tant que l’on n’a pas franchi la ligne… »

La course se déroule idéalement. Elle est en seconde position jusqu’à la montée vers le Col de Sencours juste avant l’ascension du Col du midi. L’Espagnole Nerea Martinez est juste devant elle, à portée de ses runnings. Elle accélère, passe en tête, accentue son avance dans l’ascension du col du midi et lâche tout dans la descente. Personne ne viendra lui contester sa victoire. Karine Herry s’octroie une dernière victoire sur un ultra de plus de 100 km. Une magnifique sortie. Une sortie à la hauteur de son talent et de son palmarès.

Médecin de campagne, Karine découvre la course à pied lorsqu’elle rencontre Bruno Tomozyk, son mari et entraîneur et père de ses deux jumeaux (un garçon et une fille de 12 ans). Non contente de mener sa carrière d’athlète, Karine s’est spécialisée en médecine sportive, traumatologie du sport, mais aussi en micronutrition et  chrononutrition, deux spécialités qui lui permettent d’avoir une large clientèle avec des patients qui n’hésitent pas à venir de Lyon, Marseille ou même Quimper.

« En fait, ces spécialités en nutrition viennent de ma pratique. Lorsque je courrais des 100 km par exemple, je me suis vite aperçue qu’il se passait des choses dans mon corps qui demandaient des explications. J’ai d’abord pris des conseils auprès de Denis Riché, puis j’ai choisi de me spécialiser

Karine débute en course à pied à 23 ans « après 12 ans de danse », et s’exprime sur route même si rapidement l’appel des sentiers est le plus fort. Elle teste donc le cross, le 10 km, le semi-marathon, le marathon mais aussi le trail et la course en montagne. « Ce ne fut pas toujours simple, je me souviens que pour mon premier cross du Mont Blanc à Chamonix j’ai terminé à la limite du malaise vagal même si je m’étais terriblement amusée notamment dans la descente. Si alors on m’avait dit que 20 ans plus tard j’aurais fait une telle carrière….»

Une carrière qui détonne. Un profil qui a longtemps dérangé car Karine ne se met dans aucune case. Ce n’est pas une routière ou une traileuse mais une coureuse qui s’exprime sur tous les terrains. En 1999, elle a ainsi sa première sélection en Equipe de France du 100 km pour les championnats du monde. Deux ans après un premier marathon en 2h47. Et entre ce 42,195 km et le 100 km ? Les Templiers qu’elle remportera neuf fois en neuf participations. « En fait, je crois que c’est une erreur d’être exclusif. Le trail apporte le gainage, la lecture du terrain, la gestion mentale ; la route le rythme, le travail des allures, de pied. Par exemple, j’ai toujours été la plus grosse en Equipe de France sur route et pourtant je ne suis pas bien épaisse. Mais ce gainage, mes cuisses, mes mollets m’ont permis de ne jamais me blesser gravement et surtout cette non lutte aux kilos m’a permis de ne pas perdre d’énergie mentale. »

Une non lutte qui n’exclut pas une attention toute particulière de sa diététique. « Mes choix nutritionnels sont complètement liés à ma réussite sportive. J’ai appris à me connaitre, j’ai exclu les aliments qui ne me conviennent pas, recherché ceux qui me faisaient du bien, me nettoyaient, m’apportaient la bonne énergie. Il y a eu des courses notamment sur 24 heures où nous avons fait de nombreux tests avec Bruno afin de bien comprendre comment mon corps réagissait. »

Karine est aussi une coureuse qui aime ne pas prendre de montre. « J’écoute, je sais exactement à quelle allure je suis sans avoir à regarder un chrono. Je sais aussi quand je suis bien ou pas, même si je me suis fait avoir ! J’ai fait des hypoglycémies notamment, des erreurs, mais on apprend et puis tout ne va pas forcément comme on le voudrait et parfois on ne s’écoute pas assez voire pas du tout. C’est là que l’entourage est important, la famille et le coach car ce sont aussi eux qui détectent avant vous que ça ne va pas.»

La seule Française vainqueur de l’UTMB

Dans son palmarès garni de plus de 100 victoires, une année est marquante. 2006. La championne réalise un triplé magnifique en s’imposant sur l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, en 25 h 22, le Grand raid de l’île de la Réunion (la Diagonale des fous) en 26 h 23 (elle récidive en 31 h 43 en 2011) et les Templiers en 7 h 47. En 2007, ce sera aussi une réussite parfaite mais sur route cette fois avec deux titres de championnes de France de 100 km et de 24 heures.

20 ans de pratique et une expérience hors du commun. Ainsi Karine a vu le peloton évoluer. Des athlètes à la recherche du toujours plus, toujours plus long, toujours plus dur. « C’est une erreur de tous, et je crois que ce sont les organisateurs qui doivent mettre le mettre le holà et dire stop. Même les athlètes de haut niveau en font trop à mon sens mais je pense aussi au peloton, à tous ces coureurs qui recherchent l’exploit avant de penser plaisir et progression. J’ai toujours pensé qu’il fallait progresser de 1% par an même s’il est vrai que je suis très vite passée sur 100 km et sur des trails longs mais j’étais encadrée et j’avais le potentiel tant physique que psychologique. A la maison, j’étais aidée aussi afin de pouvoir m’entraîner, ce fut une pratique en famille où chacun a trouvé sa place. Je suis affolée par le nombre de divorce ou de crises personnelles dans le monde du running, c’est une dérive qu’il faut stopper et vite. »

Professionnellement, la coureuse a toujours privilégié la qualité du travail et n’hésite pas à passer 1h30 à 2h avec un patient. « Même pour une bronchite je cherche toujours à connaitre le contexte, à voir si ce n’est pas le symptôme de quelque chose d’autre. J’ai aussi la chance d’avoir une clientèle fidèle qui connait ma pratique et s’adapte. Cette année ce fut quand même un peu dur car quatre médecins ont fermé leur cabinet. »

Ces derniers temps, Karine a ainsi eu de plus en plus de mal à trouver du temps pour s’entraîner sans empiéter sur son repos ou plus encore sur le temps accordé à ses enfants. Des jumeaux sportifs en sport étude outdoor qui, à l’annonce de la décision de leur maman championne, ont répondu : « tu vas pouvoir faire de la rando avec nous maintenant ! Hé oui, jusqu’ici on ne se retrouvait que pour le pique nique… Je crois que c’est le bon moment. Ils n’ont jamais rien dit ou fait passer de message car ils aiment avoir une maman qui va courir tout le temps mais maintenant ils ont encore plus besoin que je sois là, que je les accompagne. C’est le bon moment. Je ne vais va quitter le peloton mais mes entraînements seront moins longs, les déplacements aussi, ce sera bien pour tout le monde. Ma pratique a toujours été  axée sur le partage au sein de ma  famille et d’un groupe d’amis. Je ne veux pas perdre ça. J’aime aussi travailler sur la compréhension du corps humain et de ses faiblesses et le respect de sa santé. C’est une des raisons pour lesquelles

Iker Karrera et Karine Herry
Iker Karrera et Karine Herry

j’aimerais que le trail conserve ses valeurs de partage, de communion entre les coureurs et avec la nature. En route, je n’ai jamais connu ça, seul le chrono compte et c’est dommage. Il nous faut donc tous veiller à ce que le trail ne dérive pas. »

Une championne aux valeurs, qui a su soigner sa sortie avec une ovation de tous les traileurs du Grand Raid des Pyrénées qui ont salué comme il se doit sa dernière participation et sa dernière victoire sur un ultra de plus de 100 km ou une course de plus de 8h d’effort. La compétitrice ne raccroche pas, bien au contraire, puisqu’elle sera au départ du championnat de France de trail lors de la Gapencimes ! A la recherche d’un podium en vétérane !

  • Sa carte de visite

Date de naissance: 2 janvier 1968
Lieu de résidence: Les Estables, Haute-Loire (France)
Formation: Médecin généraliste, spécialisée en nutrition, diplôme de médecine du sport de haut niveau

  • Son palmarès

Route

Vice-championne d’Europe des 100 km en 2000 et 2004.
Championne du monde des 100 km par équipe avec l’équipe de France en 1999.
Championne d’Europe des 100 km par équipe avec l’équipe de France en 2000 et 2005.
8 titres de championne de France : 
7 fois championne de France des 100 km entre 2001 et 2007  ; 
championne de France des 24 heures en 2007 avec 222,657 km

Trail
Victoire au Swiss Alpin Marathon de Davos en 2002.
2 fois troisième à la Western States Endurance Run (États-Unis) en 2005 et 2007.
victoire à l’UTMB (Ultra-Trail du Mont-Blanc) et record féminin en 2006 en 25 h 22’.
victoire au Grand raid de la Réunion en 2006.
9 victoires à la Course des Templiers (sur 9 participations).
2 victoires au Volcano Trail Guadeloupe en 2011 et 2012

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