Emmanuelle Jaeger : « On commence à prendre conscience qu’il n’y a pas qu’un athlétisme national et qu’il faut des pratiques locales de l’athlétisme. »

10 ans déjà ! En ce mois d'avril, le site Lepape-info créé lors du Marathon de Paris 2011 fête son 10ème anniversaire. L'occasion d'échanger avec les spécialistes des disciplines que nous traitons régulièrement.
Emmanuelle Jaeger vice-présidente de la Fédération française d'athlétisme depuis quelques mois se confie sur l'évolution et sa vision dans le futur de l'athlétisme fort de son expérience de présidente de club mais aussi d'athlète sur marathon et longue distance. 10 ans, 10 questions. Entretien.

Emmanuelle Jaeger vice-championne 2015 du monde du 100 km sur route catégorie M45.

Lepape-info : Emmanuelle, vous êtes vice-présidente de la FFA, c’est un nouveau challenge    

Emmanuelle Jaeger : Avec ce poste j’ai des responsabilités dans le domaine fédéral que je ne connaissais pas. Je commençais à maîtriser celui de club en tant que présidente de l’AO Charenton. Il faut prendre connaissance des dossiers, du fonctionnement, c’est une fédération qui a 100 ans avec des règles. Je viens du running je suis là pour apporter un nouveau regard, utile à une fédération qui possède notamment un historique de la piste avec des acteurs traditionnels de l’athlétisme.

 

Lepape-info : Quelles sont vos principales missions ? 

E.J : Je suis en charge de la vie des clubs en premier lieu tout en étant rentrée dans plusieurs commissions dont celles de l’athlétisme féminin, masters. Je m’occupe aussi de développement durable. Le développement des clubs est ma principale mission c’est d’ailleurs le domaine que je connais le mieux. L’idée est de reconnecter la fédération avec les clubs et de les accompagner vers une transition pour un athlétisme futur, peut-être un peu moins traditionnel mais en tout cas de les mettre dans les meilleures conditions. Un accompagnement qui comprend notamment un soutien à court terme avec la crise sanitaire que nous vivons actuellement. Le public est différent, ses attentes changent il faut aider les clubs à avoir les outils, à être préparés pour satisfaire ce nouveau public. Et puis il faut prévoir aussi un développement à long terme.

 

Lepape-info : Quelle est la priorité vis-à-vis des clubs ?  

E.J : Faire revenir des licenciés. En un an, la fédération en a perdu 18% au niveau national mais cette baisse est très inégale selon les régions, les sites. Certains clubs n’ont absolument pas perdu de licenciés, ils ont énormément travaillé sur les valeurs que l’on apporte dans un club. D’autres clubs ont souffert par le défaut de compétitions avec des membres avant tout licenciés en vue de faire de la compétition. Il faut permettre à ces clubs de récupérer un public, le même ou un autre. Pour cela il faut redonner de la confiance aux clubs pour leur permettre de récupérer leurs licenciés et de fidéliser ceux qui sont restés.

 

EMMA JAEGER 2

 

Lepape-info : Quels sont les moyens pour relancer l’intérêt du public pour les clubs ou de garder ceux qui sont restés ? 

E.J : Pour y arriver des opérations ont déjà été mises en place comme les Défis Mile avec pour principe des challenges entre clubs, le Run 2k (180 clubs de la fédération Française d’athlétisme ont accueilli des runners de tous niveaux, du débutant au pratiquant aguerri, pour se mesurer à la distance symbolique des deux kilomètres). Pour la marche il y a aussi des opérations en cours. Les outils de la fédération sont là pour offrir aux clubs des choses toutes faites pour garder leur public, leur proposer du renouveau. On travaille aussi énormément pour que tout soit en place dès que les compétitions pourront reprendre pour tout le monde. Accueillir un nouveau public cela peut se faire en club mais aussi à l’école. La fédération est pilote dans le programme du sport scolaire notamment avec notamment l’opération du 30 mn de sport à l’école. On souhaite également accueillir un autre public de télétravailleurs, de personnes qui sont restées sédentaires pendant la crise avec des activités comme l’Athlé Fit (mélange d’athlétisme, de crossfit) qui permet aux clubs de regarder ailleurs et de palier l’absence de compétition par d’autre moyens attractifs.

 

Emmanuelle Jaeger : « On a un sport extraordinaire que l’on peut commencer tardivement comme moi. C’est une passion, j’ai beaucoup travaillé, j’ai été énormément soutenue par d’autres coureurs et on a avancé ensemble. Cela m’a donné confiance en moi, cela m’a donné une force, une volonté et cela a mis à nu des qualités que j’avais peut-être en moi avant. On est nu face à l’effort et la fragilité de la réussite qui en soit est dérisoire mais qui représente tellement aussi. »

 

Lepape-info : Vos 10 dernières années ont été riches en expériences, que retenez-vous ? 

E.J : L’associatif, les valeurs du club avec leurs difficultés, leurs joies, ce que l’on apprend humainement à la fois sur soi-même, sur les autres, comment on peut porter des valeurs auxquelles on croit. Des valeurs que l’on retrouve à tout moment dans un parcours athlétique en tant que pratiquante lorsque je faisais du 100 km et que j’ai notamment été vice-championne du monde sur route dans ma catégorie M45, dirigeante lorsque j’étais présidente de l’AO Charenton. Je suis arrivée très tardivement à l’athlétisme, en 2005, j’avais 37 ans, je ne connaissais rien, je n’avais jamais pratiqué en club, je ne savais pas ce que c’était une association à part juridiquement de part mon activité d’avocate. J’ai vraiment appris et je retiens les valeurs véhiculées par un club qui n’a que pour unique vocation le bien-être, la performance, la convivialité sans aucun but lucratif avec des bénévoles qui consacrent un temps infini au club.

 

Lepape-info : Il y a aussi votre parcours d’athlète sur marathon, 100 km route…

E.J : On a un sport extraordinaire que l’on peut commencer tardivement comme moi. C’est une passion, j’ai beaucoup travaillé, j’ai été énormément soutenue par d’autres coureurs et on a avancé ensemble. Cela m’a donné confiance en moi, cela m’a donné une force, une volonté et cela a mis à nu des qualités que j’avais peut-être en moi avant. On est nu face à l’effort et la fragilité de la réussite qui en soit est dérisoire mais qui représente tellement aussi. C’est un paradoxe incroyable. Mon titre de vice-championne du monde du 100 km route peut paraître incroyable alors que j’ai commencé l’athlétisme à 37 ans. Il faut préciser que les distances très longues ne requiert pas de qualité de vitesse extrêmes même si j’ai fait plusieurs marathons en moins de 3 heures mais principalement des qualités d’endurance. Sur un 100 km il faut courir à l’économie on a pas besoin d’avoir acquis une technique dans une école d’athlétisme lorsque l’on était enfant. Le fait que j’ai commencé tard a fait surement que j’ai été moins blessée, traumatisée, j’étais en fait « toute neuve ». Je m’entraîne encore (4 à 5 fois par semaine) mais beaucoup moins qu’avant, j’ai perdu énormément de vitesse. Avant ce qui maintenait mon niveau c’était l’énergie que je dépensais pour être compétitive. Pour moi, 60-70 % de la performance vient du mental et mon énergie je l’ai mise maintenant dans autre chose en raison de mes activités.

 

Emmanuelle Jaeger : « Pour moi l’athlétisme de demain, c’est d’arriver à profiter des moyens offerts par notre territoire. En zone urbaine on pourrait envisager un tourisme de monuments et de faire venir des gens au sport de manière plus culturelle… L’autre côté fort à développer c’est le sport santé, l’athlétisme a toute sa valeur dans cette pratique à la mode. » 

 

Lepape-info : Comment avez-vous vu évoluer l’athlétisme en 10 ans ? 

E.J : Très clairement on adapte des structures prévues pour un sport technique à un sport de bien-être et je pense que c’est très bien. On l’ouvre vers un horizon qui consiste à dire aux gens que chacun peut y trouver son compte, c’était plus fermé avant. La performance existe toujours avec un dépassement de soi mais dans un cadre plus ouvert comme avec la pratique du trail. L’autre changement est l’adaptation au territoire, on commence à prendre conscience qu’il n’y a pas qu’un athlétisme national et qu’il faut des pratiques locales de l’athlétisme, que chacun a ses forces, ses équipements et que l’on peut attirer du public quelque soit l’endroit où l’on se trouve.

 

Lepape-info : Quel est l’avenir de l’athlétisme ? 

E.J : Pour moi l’athlétisme de demain, c’est d’arriver à profiter des moyens offerts par notre territoire. En zone urbaine on pourrait envisager un tourisme de monuments et de faire venir des gens au sport de manière plus culturelle. En montagne vous le faites différemment. En parlant avec les clubs, je vois qu’il y’a des initiatives extraordinaires j’ai l’exemple d’un club dans l’arrière-pays Niçois qui a organisé pour Noël une descente aux flambeaux en mode trail. Les mentalités commencent à changer et on peut miser sur une action plus large. L’autre côté fort à développer c’est le sport santé, l’athlétisme a toute sa valeur dans cette pratique à la mode. Enfin l’autre évolution à étudier est le partenariat avec d’autres sports et d’autres systèmes associatifs. La vie associative requiert d’élargir le champ d’interaction. Se dire par exemple faire une séance de PPG avec des joueurs de foot et puis après on ira les encourager sur un match avant qu’ils soient bénévoles sur notre course. Envisager des partenariats avec des associations locales de jumelage en faisant des courses dans un pays et un autre par exemple entre villes jumelées. C’est important d’avoir une vision plus transversale. Nos outils technologiques plus modernes pour mieux communiquer, échanger le permettent.

 

Lepape-info : Le running toujours de plus en plus pratiqué, le trail en plein développement, l’athlétisme connait un vrai succès auprès des amateurs 

E.J : Oui et je pense que l’Athlé Fit peut-être une troisième voie également pour des amateurs et amatrices qui se forment différemment, qui cherchent différentes choses afin de se sentir bien dans son corps, se muscler, éviter des maux de dos quand ils ou elles travaillent trop souvent en position assise. On voit l’engouement des personnes pour les salles de sport, le crossfit, cela touche un public jeune mais cela peu très bien concerner un public un peu plus âgé, sédentaire qui va trouver un moyen d’avoir une source de bien-être. Il existe d’autres pratiques comme le running yoga à Charenton. Le yoga avec la respiration, l’importance du relâchement sont des éléments intrinsèquement nécessaires à une pratique du running pour la performance tout en étant relâché. Ce sont des disciplines complémentaires. Enfin il  faut que le sportif soit de plus en plus en phase avec la planète en terme d’écoresponsabilité et les interactions avec le monde qui l’entoure.

 

Lepape-info : Quel est votre leitmotiv au quotidien ? 

E.J : J’avance à l’instinct parce que je ne sais pas où je vais mais je sais qu’il faut aller de l’avant, j’avance toujours de manière optimiste même si les choses se font ou pas. Il faut avancer, essayer, ne jamais revenir en arrière.

 

6 réactions à cet article

  1. Merci pour cette vision positive et entreprenante et puis pour ce soutient aux clubs.

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  2. Emma est une très belle personne bien dans sa tête et bien dans son corps qui peut faire bouger les montagnes.
    L’athlétisme à besoin d’elle et de sa vision pour se renouveler et sortir des postures statiques en places un peu trop tournées sur le soucis de garder sa place ce qui fait que ça n’avance pas et au final on se mord la queue en tournant en rond…

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    • Une sportive et une dirigeante bénévole accomplie. Merci pour ce que tu fais pour le sport et de m’avoir accueilli a l’Azur Charenton avec toute l’équipe de dirigeants, d’entraîneurs et de pratiquants formidables. Malgré mes performances me positionnant a la traîne du groupe je ne me suis jamais senti à l’écart…
      bonne continuation a tous.

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  3. Quel plaisir de te lire depuis Rio ou j’ai la nostalgie des sorties dans le bois de Vincennes où lorsque l’on c’était retrouvé à Lisbonne au marathon. Tu fais un parcours merveilleux dans ta vie de femme et j’admire ton talent…

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  4. Merci pour cette visions positive

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  5. Merci Emma. Tu as su e redonner le goût de la marche.bonne continuation

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