24 heures : rencontre avec Ludovic et Christian Dilmi

Au nom de leur mère

Au classement masculin des meilleures performances françaises de l’année sur 24 heures*, le même nom – Dilmi - occupe les deux premières places, mais les prénoms différent. Ludovic et Christian, deux frères porte-drapeaux d’une belle histoire de famille.

Christian et Ludovic Dilmi

On les surnomme « le robot » et « le rouleau compresseur ». Au fond, l’idée est la même : « Quand il faut aller au charbon, on y va. On n’est plus dans la mesure, on est dans la démesure », résume Christian. Avec son frère Ludovic, ils viennent de vivre une année 2012 inespérée. A 46 ans, Christian a remporté son deuxième Raid Golfe du Morbihan en juin  (voir les résultats), avant de devenir champion de France des 24 heures en octobre, à Vierzon (251.411 km au compteur). Ludovic, 47 ans, a lui pulvérisé son record personnel sur 100 km (7h03mn29s) pour sa première sélection en équipe de France en avril (voir les résultats) et décroché la médaille de bronze aux championnats du monde des 24 heures en septembre (257.819 km, voir les résultats).

Pour les « France » des 24 heures, « Ludo » (qui soigne une pubalgie) a joué les accompagnateurs. « Je n’ai jamais eu envie de dormir, lance-t-il. En tant qu’accompagnateur, tu es aussi dans la course, tu accompagnes jusqu’au bout.  Je n’ai pas donné trop de conseils à Christian, sauf quand j’ai vu qu’il transpirait trop, et que je lui ai dit de s’hydrater. Mais il a géré sa course d’une main de maître ». « J’étais en tête, je regardais les autres, on jouait au jeu du chat et de la souris. Je gérais ma course », confirme l’intéressé.
Lors des Mondiaux de la spécialité un mois plus tôt, Christian n’était pas en Pologne avec son frère. « J’étais à des milliers de kilomètres, mais je n’ai pas dormi de la nuit, je le suivais sur Internet. A 5 heures du matin, j’étais devant mon ordinateur en train de crier « allez Ludo, tiens le coup ! » J’ai vécu un moment d’euphorie. Troisième, c’était inespéré. »

Sur cette discipline extrême de la course sur route, les deux frangins occupent donc les deux premières places du bilan français 2012*.  « La récompense de beaucoup d’efforts », insiste Ludovic. Et une belle fierté pour leur entourage que les deux hommes, tous deux mariés et pères de deux enfants, ne manquent d’ailleurs pas de remercier. L’ultra « c’est une équipe », soutient Christian. Ma femme et ma plus jeune fille, de 17 ans, me suivent. La seconde n’est jamais bien loin. Elles sont au top et m’apportent un gros soutien moral. Je n’ai pas besoin de leur parler, elles sont capables de voir si je suis fatigué, si je suis dans le dur. Elles me connaissent bien ».  Et Ludovic de se souvenir avec émotion des larmes de son épouse lors des Mondiaux en Pologne.

« C’est sûr qu’à la maison, le canapé, ce n’est pas nous qui l’usons ! »

Mais la famille Dilmi ne s’arrête pas là. Il faut y ajouter deux autres frères et une sœur. Au total donc, cinq enfants dont deux « sont anti-sport » et souffrent lors des repas de famille… tant la course à pied est un sujet de conversation majeur. Pour mieux cerner cette joyeuse tribu, il suffit de regarder le palmarès du dernier marathon de la Liberté, à Caen (voir les résultats). Plus précisément la catégorie V4… chez les femmes. Nom du vainqueur : Dilmi. Prénom : Claudette. Dans cette famille un peu hors norme, voici donc la maman, 69 ans, qui a couru ce jour-là en 4h42mn07s. C’est elle qui a initié les deux champions à la course à pied. « Il faut se replacer dans le contexte. Quand notre mère a commencé à courir, c’était une époque où le fait qu’une femme coure était mal vu. Pour beaucoup, cela voulait dire que ça n’allait pas bien dans son couple. Ou qu’elle ne s’occupait pas de ses enfants. Elle a entendu beaucoup de réflexions, mais elle a persisté. Quelque part, nos résultats d’aujourd’hui sont une belle récompense pour elle, un juste retour », confie Ludovic. Qui se souvient : « Quand j’avais une vingtaine d’années, elle m’a un jour lancé le défi de courir un 10 km avec elle. J’étais jeune, je pensais que j’allais la battre. Ca n’a pas été le cas… Là, je me suis dit que quelque chose n’allait pas ! » De « coureur du dimanche » il s’est finalement progressivement hissé en tête des pelotons. « J’ai fait beaucoup de sport à l’armée, explique de son côté Christian. Ensuite, j’ai eu une vie plus sédentaire, une vie de famille, j’ai eu des enfants, etc… J’ai arrêté la cigarette. Et puis je me suis remis en questions, parce que niveau volume, ce n’était pas terrible ! »

L’un à Rambouillet, l’autre à Orléans, les frères Dilmi sont aujourd’hui des boulimiques de kilomètres à l’entraînement, si bien qu’ils usent environ cinq paires de runnings par an. Leur éclosion au plus haut niveau est certes tardive, mais leur esprit de compétition ne date pas d’hier. « On l’a toujours eu. Il y avait deux kilomètres entre la maison et l’école, on y allait à vélo, et toujours à bloc. Et pourtant, on n’était pas forcément pressés d’aller à l’école ! », sourit Christian.

L’un et l’autre se savent hyperactifs. Ludovic travaille dans le secteur de la vente d’objets publicitaires et promotionnels et préside son club de Rambouillet Sports. Christian exerce dans la maintenance sur les véhicules pétroliers, aide sa femme à gérer un commerce spécialisé dans la vente de mousse synthétique sur mesure (pour la confection de canapés, fauteuils, coussins notamment), et trouve encore du temps pour aller couper des stères de bois en pleine forêt.  « C’est sûr qu’à la maison, le canapé, ce n’est pas nous qui l’usons ! », résument-ils.

Tous deux convaincus que le sport « est le meilleur des antidépresseurs », ils savent que la réussite en ultra est autant (voire davantage) mentale que physique. En la matière, ils ont de l’expérience, et un net ascendant psychologique sur beaucoup de leurs concurrents, grâce notamment à un faciès qui ne marque pas à l’effort, même si la douleur est là. Si tout va bien, « le robot » et « le rouleau compresseur » devraient porter, ensemble, les couleurs de l’équipe de France lors des prochains championnats du monde des 24 heures, les 11 et 12 mai 2013 à Steenbergen (Pays-Bas). « On veut maintenant écrire une belle page lors de ces Mondiaux. Vu notre âge, si on doit faire quelque chose, c’est maintenant. On va se serrer les coudes ». Et il y a fort à parier que tout le clan Dilmi fera de même…

(*) Classement valable au 5 novembre 2012

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